Un film censuré révèle la campagne
menée en secret
sur Facebook par The
Israel Project
Ali Abunimah
Dimanche 23 septembre 2018
Par Ali Abunimah et
Asa Winstanley, The Electronic Intifada,
13 septembre 2018
The Israel Project,
important groupe de plaidoyer basé à
Washington, s’efforce d’élargir son
influence au moyen d’une campagne
secrète sur Facebook.
C’est ce que révèle
The Lobby – USA, un
documentaire d’Al Jazeera tourné
clandestinement et jamais diffusé en
raison de
la censure exercée par le Qatar à la
suite de pressions de la part
d’organisations pro-israéliennes.
La vidéo ci-dessus,
une exclusivité de The Electronic
Intifada, montre des extraits obtenus
récemment grâce à une fuite.
Des séquences obtenues précédemment
et publiées par The Electronic Intifada
et le
Grayzone Project ont déjà
révélé les manœuvresinsidieuses
de groupes anti-palestiniens, élaborées
et menées à bien en collusion avec le
gouvernement israélien.
Dans les clips les
plus récents, on entend David Hazony,
directeur général de The Israel Project,
dire au journaliste clandestin d’Al
Jazeera : « Parmi les choses que nous
faisons, certaines échappent à tous les
regards. Nous collaborons avec beaucoup
d’autres organisations. »
« Nous produisons
des contenus qu’elles publient en y
apposant leur nom », précise Hazony.
Une partie
importante de l’opération consiste à
créer un réseau de « communautés »
Facebook centrées sur l’histoire,
l’environnement, les affaires mondiales
ou le féminisme, sans aucun lien
apparent avec le plaidoyer pro-Israël,
mais utilisées par The Israel Project
pour répandre des messages pro-Israël.
« Un truc
secret »
La page Facebook
« Cup of Jane » définit ainsi son
objet : « Sugar, spice and everything
nice » [chanson traditionnelle qui
décrit en quoi sont faites les petites
filles : « du sucre, des épices, et
toutes les bonnes choses »]. Elle est
gérée par The Israel Project dans le
cadre d’une campagne d’influence
« secrète ».
Dans une
conversation également révélée par les
extraits vidéo fuités, Jordan Schachtel,
qui travaillait à l’époque pour The
Israel Project, décrit au journaliste
d’Al Jazeera infiltré la logique et
l’étendue de l’opération Facebook
occulte.
Le journaliste
infiltré, dont le pseudonyme est
« Tony », se faisait passer pour un
stagiaire de The Israel Project.
« Nous regroupons
une quantité de médias pro-Israël en
passant par des médias sociaux
différents de ceux utilisés par The
Israel Project », indique Schachtel.
« Nous avons donc une quantité de
projets parallèles au moyen desquels
nous cherchons à influer sur le débat
public. »
« Voilà pourquoi
c’est un truc secret », précise
Schachtel. « Parce que nous ne voulons
pas que les gens sachent que ces projets
parallèles ont un rapport avec The
Israel Project. »
Tony demande alors
si l’idée, pour « tout le reste du
matériel qui ne concerne pas Israël,
c’est de faire mieux passer ce qui
concerne Israël. »
« C’est juste qu’on
souhaite, si tu veux, bien brasser tout
ça ensemble », explique Schachtel.
Une de ces pages
Facebook,
Cup of Jane, a presque cinq cent
mille followers.
La page « À
propos » de Cup of Jane indique le
thème « Sugar, spice and everything
nice ».
Mais nulle part il
n’est révélé que cette page a pour but
de promouvoir Israël.
Certes, la page « À
propos » précise que Cup of Jane est
« une communauté lancée par le projet
Future Media de TIP. »
Mais Israël n’est
pas mentionné de façon directe et
explicite, et jamais il n’est indiqué
que « TIP » signifie The Israel Project.
The Electronic
Intifada a des raisons de penser que
cette référence permettant de savoir qui
est derrière la page, aussi vague
soit-elle, n’a été ajoutée que lorsque
The Israel Project a appris l’existence
du documentaire clandestin d’Al Jazeera
et, vraisemblablement, s’est attendu à
être démasqué.
De plus, The Israel
Project a ajouté sur son propre site web
une mention indiquant qu’il gère les
pages Facebook. Mais sur les pages
Facebook en question, aucun lien ne
conduit à son site web.
Il n’y a
dans l’archive Internet aucun indice
relatif à l’existence de cette page
avant mai 2017 – des mois après que la
fausse identité de « Tony » a été mise
au jour.
Selon Schachtel,
The Israel Project met en œuvre des
ressources considérables pour produire
Cup of Jane et un réseau de pages
similaires.
« Nous avons une
équipe qui fait dans les 13 personnes.
Nous travaillons à tout un tas de
vidéos, d’explicatifs », dit-il à Tony
dans le documentaire d’Al Jazeera. « Une
bonne partie, c’est juste des sujets
variés, et ensuite il y en a peut-être
dans les 25 pour cent qui vont être plus
ou moins basés sur Israël ou les
Juifs. »
Al Jazeera affirme
dans le documentaire avoir « contacté
toutes les personnes apparaissant dans
ce film. Aucune des organisations de
plaidoyer pro-Israël ni aucun des
individus qui travaillent pour elles n’a
réagi à nos allégations. »
Pseudo-progressistes
Cup of Jane essaie
de se donner une crédibilité
progressiste en affichant des photos et
des citations de femmes noires renommées
comme
Maya Angelou ou
Ida B. Wells, à qui la page a rendu
hommage pour son anniversaire en ces
termes : « penseuse, écrivaine et
militante révolutionnaire. »
On trouve aussi des
billets sur la pionnière de l’écologie
Rachel Carson ou sur
Emma Gonzalez, qui a lancé avec ses
camarades de classe une campagne
nationale pour le contrôle des armes à
feu après avoir survécu au massacre
commis dans son lycée de Parkland, en
Floride, en février 2018.
Au milieu de ce
flot de messages à saveur progressiste
sont nichées des
attaques contre de véritables
mouvements progressistes, par exemple la
Dyke March [Marche des Gouines] de
Chicago, dont les organisatrices ont
affronté une
campagne de diffamation du lobby
israélien après avoir demandé à des
provocateurs pro-Israël de quitter leur
marche en 2017.
Au milieu d’un
flot continu de messages inoffensifs, la
page Facebook « Cup of Jane »
animée par
The Israel Project promeut le
militarisme israélien en le parant d’un
charme féministe.
Une photo publiée
en octobre 2016, peu après le
lancement de la page Cup of Jane,
s’efforçait de présenter le militarisme
israélien sous un jour séduisant et apte
à renforcer la capacité d’agir des
femmes.
« L’armée de l’air
israélienne a peint des avions de chasse
en rose pour soutenir le mois de la
sensibilisation au cancer du sein. C’est
cool, pas vrai ? », affirme le texte,
qui accompagne la photo d’un avion de
chasse israélien. « Trop fort.
D’ailleurs, les femmes ont besoin d’une
armée de l’air rien que pour elles »,
ajoute Cup of Jane qui conclut par un
smiley.
Parmi les pages qui
sont gérées par The Israel Project,
comme le montre le documentaire censuré
d’Al Jazeera, citons
Soul Mama [Maman Soul],
History Bites [Bouchées d’histoire],
We Have Only One Earth [Nous n’avons
qu’une Terre] et
This Explains That [Ceci explique
cela].
Certaines ont des
centaines de milliers de followers.
History Bites ne
révèle pas clairement son affiliation
avec The Israel Project ; cette page
utilise depuis peu la même formule vague
que Cup of Jane et les autres pages.
History Bites
se présente en ces termes : « Les
moments impressionnants de l’Histoire
sous forme de bouchées facilement
comestibles ! »
Cette page a repris
des messages de Cup of Jane présentant
comme une
héroïne
féministe Golda Meir, la Première
ministre israélienne qui a mis en œuvre
des politiques racistes et violentes
contre les Palestiniens indigènes, et
considérait comme une menace
existentielle l’enfantement de bébés par
les femmes palestiniennes.
Une
vidéo publiée en 2016 par This
Explains That propage des
allégations
israéliennes
mensongèresselon lesquelles
l’UNESCO, organe des Nations unies
chargé de la culture, aurait « effacé »
la vénération des juifs et des chrétiens
pour les lieux saints de Jérusalem.
History Bites a
relayé cette vidéo en décembre
dernier, soulignant qu’elle « semble
appuyer la déclaration faite aujourd’hui
par le président Trump, selon laquelle
Jérusalem est la capitale de l’État juif
d’Israël ».
La vidéo a
comptabilisé presque cinq millions de
vues.
Une autre
vidéo publiée par History Bites
tente de justifier l’attaque surprise
lancée par Israël en juin 1967 contre
l’Égypte, déclenchant la guerre au cours
de laquelle Israël a occupé la
Cisjordanie, la bande de Gaza, la
péninsule égyptienne du Sinaï et les
hauteurs syriennes du Golan.
Selon cette vidéo,
à la suite de l’occupation militaire de
Jérusalem-Est par Israël, la ville est
« réunifiée » et « libérée ».
Israël, une
marque toxique
En ayant recours à
la méthode proverbiale du
sucre qui fait passer la pilule ou,
en l’occurrence, les messages favorables
à Israël, The Israel Project reconnait
qu’il est bien difficile de promouvoir
un
État d’apartheid.
Comme le dit Ali
Abunimah, l’un des auteurs du présent
article, dans le documentaire d’Al
Jazeera, « La marque Israël est de plus
en plus toxique, on ne peut donc plus
vendre Israël directement. On doit
fournir des trucs à la mode, inoffensifs
et amusants, et de temps en temps y
glisser un petit quelque chose sur
Israël. »
Les efforts de The
Israel Project pour recruter des
sensibilités progressistes au service
d’Israël, alors même que sa ligne
politique le situe dans la droite dure,
s’intègrent
dans une vaste
stratégie israélienne qui vise à
diviser la
gauche et à affaiblir la solidarité
avec la Palestine.
Sous la direction
de Josh Block, ancien membre de
l’administration Clinton et ancien
responsable de stratégie pour l’AIPAC,
puissante entité du lobby pro-israélien,
l’un des objectifs principaux de The
Israel Project était de saborder
l’accord nucléaire international avec
l’Iran.
La campagne cachée
de The Israel Project sur Facebook est
de toute évidence manipulatrice, mais
elle est d’autant plus cynique que son
chef d’orchestre se nomme Gary Rosen.
Pendant des années,
Rosen a tenu un compte Twitter
caractérisé par son homophobie et son
islamophobie virulentes, et appelé
@ArikSharon – surnom du défunt Premier
ministre israélien
Ariel Sharon, responsable de
l’invasion du Liban par Israël en 1982
et des
massacres commis la même année dans
les camps de réfugiés palestiniens de
Sabra et Chatila.
Dans une
transcription d’un enregistrement
effectué par le journaliste clandestin
d’Al Jazeera et que The Electronic
Intifada a pu consulter, Rosen admet
qu’il a tenu @ArikSharon en tant que
« compte secret ».
Rosen était salarié
de l’entreprise mondiale de publicité
Saatchi & Saatchi, mais il a rejoint en
novembre 2013 The Israel Project, où il
est responsable de la stratégie
numérique.
Rosen a supprimé de
nombreux tweets particulièrement
choquants sur le flux Twitter
@ArikSharon après qu’un des auteurs du
présent article l’a
démasqué en 2013 comme la personne
qui tenait le compte.
Cependant, tout en
gérant des pages Facebook occultes qui
visent à normaliser le soutien à Israël
au sein de publics progressistes, Rosen
continue à utiliser le compte Twitter
@ArikSharon pour répandre des messages
de droite favorables à Israël.
Des publicités
anonymes démasquées
Ce n’est pas le
seul effort clandestin du lobby
pro-Israël pour utiliser Facebook afin
de réaliser ses objectifs.
Un rapport conjoint
de The Forward et ProPublica
révèle que la
Coalition Israel on Campus a fait
passer sur Facebook des annonces
anonymes qui diffamaient
Remi Kanazi, poète
palestino-américain, préalablement à sa
venue sur différents campus aux
États-Unis.
Israel on Campus Coalition, a DC group
funded largely by right-wing mega
donors,
anonymously set up Facebook
pages to attack my events in 2016.
https://t.co/motLHIbPni
The Electronic
Intifada a été
le premier média à signaler les
révélations du film d’Al Jazeera sur la
coordination clandestine avec le
gouvernement israélien des actions de la
Coalition Israel on Campus pour salir et
harceler les militant·e·s de la
solidarité avec la Palestine.
Un porte-parole de
Facebook s’est adressé à The Forward
et à ProPublica dans les termes
suivants : les annonces de la Coalition
Israel on Campus qui ciblaient Kanazi
« violent nos politiques relatives aux
déclarations trompeuses et elles ont été
retirées ».
En 2012, The
Electronic Intifada
a révélé un plan élaboré par le
syndicat national des étudiants
israéliens, soutenu par le gouvernement
et projetant de payer des étudiants pour
qu’ils répandent sur Facebook de la
propagande pro-israélienne. Cependant,
les menées clandestines actuelles de The
Israel Project sont manifestement bien
plus élaborées.
Depuis l’élection
présidentielle de 2016 aux États-Unis,
Facebook a été accusé d’autoriser une
utilisation de sa plate-forme en faveur
d’une propagande manipulatrice appuyée
par la Russie et visant à influencer la
vie politique et l’opinion publique.
Le Conseil
atlantique est un groupe de réflexion de
Washington
financé par l’OTAN, l’armée
américaine, les
gouvernements d’Arabie saoudite, des
Émirats arabes unis, du Bahreïn, tous
adeptes d’une répression brutale, des
gouvernements de l’Union européenne, et
la fine fleur des sociétés
d’investissement, des compagnies
pétrolières, des fabricants d’armes et
autres profiteurs de guerre.
Aujourd’hui, alors
que nous disposons d’éléments
convaincants selon lesquels The Israel
Project mène sur Facebook une campagne
d’influence de grande ampleur et
disposant de ressources abondantes, il
nous reste à voir si le géant des médias
sociaux va prendre des mesures pour que
ses utilisateurs soient conscients de ce
qu’ils reçoivent : de la propagande
destinée à promouvoir l’État d’Israël et
à dissimuler sa face sombre.
En réponse à une
demande de commentaire, un porte-parole
de Facebook a dit à The Electronic
Intifada que la société examinerait la
question.
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