The Electronic
Intifada
Pourquoi l’ONU dit-elle aux Palestiniens
de protéger leurs occupants ?
Ali Abunimah
30 mars 2016. Un
Palestinien portant un écriteau
dénonçant la « coordination sécuritaire
»
entre l’occupation israélienne et
l’Autorité palestinienne participe à une
manifestation
de la Journée de la Terre à proximité de
la prison d’Ofer, en Cisjordanie
occupée.
(Crédit photo : Hamza Shalash APA
images)
Vendredi 8 avril 2016
La semaine dernière, le bureau du haut
commissaire des Nations unies pour les
droits de l’homme
a fait savoir qu’il était
« extrêmement préoccupé » au sujet
de l’exécution manifestement
extrajudiciaire d’un jeune Palestinien
par un militaire israélien.
Mais, suite à cette déclaration, je
me suis quand même demandé pourquoi cet
organe des Nations unies attend
également des Palestiniens qu’ils
protègent l’armée qui les occupe et
qu’ils aident les colons israéliens à
leur voler leurs terres.
Le matin du 24 mars, à Hébron, en
Cisjordanie, Abd al-Fattah al-Sharif et
Ramzi al-Qasrawi, 21 ans tous deux, ont
été abattus par balles après avoir
prétendument poignardé un soldat –
lequel a été légèrement blessé.
Une
vidéo filmée par un militant des
droits de l’homme montrait un soldat
israélien, plus tard identifié comme
Elor Azarya, qui pointait son fusil sur
al-Sharif, puis le tuait d’une balle
dans la tête, alors que le jeune homme
gisait sur le sol, blessé et dans
l’impossibilité d’encore agir.
De façon désespérément prévisible,
les dirigeants israéliens et le public
en général
ont pris fait et cause pour Azarya,
et nombreux sont ceux qui l’ont salué
comme un héros.
Azarya, qui doit répondre d’une
accusation d’homicide – il n’est
déjà plus question de meurtre – a été
remis en liberté sous caution.
Des questions
restées sans réponse
Rupert Colville, le porte-parole du
haut commissaire des Nations unies pour
les droits de l’homme, le prince Zeid
Ra’ad Al Hussein, a réclamé une
« enquête rapide, complète, transparente
et indépendante » sur la mort
d’al-Sharif et sur d’autres homicides
commis en des circonstances similaires.
« Une préoccupation majeure
réside dans le fait que des cas
semblables n’ont pas fait
systématiquement l’objet d’enquêtes
criminelles », a déclaré Colville.
Jusqu’ici, ça va. Mais voici la
partie qui m’a quelque peu troublé :
« Nous demandons instamment aux
autorités palestiniennes de prendre
toutes les mesures envisageables afin
d’empêcher les agressions contre les
Israéliens, qui constituent des actes
répréhensibles. »
Colville d’ajouter que les
« forces de sécurité israéliennes sont
habilitées à se défendre et à défendre
d’autres personnes contre ce genre
d’agressions », mais il leur a
également recommandé « de
faire en sorte que tous les membres de
leurs forces de sécurité se soumettent à
leur obligation de ne recourir à la
force qu’avec modération ».
Rappelons qu’à Hébron, les deux
jeunes hommes avaient prétendument
agressé un militaire armé des forces
d’occupation déployées dans leur ville
afin de protéger les colons qui s’y
trouvent en violation des lois
internationales.
En effet,
la plupart des agressions ou
agressions supposées commises par des
Palestiniens depuis octobre dernier ont
visé les forces d’occupation aux
check-points et à proximité des colonies
implantées en Cisjordanie.
Des officiers supérieurs de l’armée
israélienne ont même reconnu que les
Palestiniens impliqués, en majorité des
jeunes, cherchent à « attaquer des
symboles de l’occupation israélienne »,
rapportait le quotidien de Tel-Aviv,
Haaretz.
Nous pouvons tous être d’accord pour
dire que des agressions visant des
civils, et quels qu’en soient les
auteurs ou les victimes, sont
effectivement répréhensibles.
Mais la déclaration de l’ONU ne
contient aucune nuance de ce genre ;
elle condamne toutes les actions armées
commises par des Palestiniens, quelles
qu’en soient les circonstances.
Le droit de résister
Ainsi donc, j’ai écrit à
Colville pour demander des
éclaircissements. Je voulais savoir, en
particulier :
Le haut commissaire des Nations
unies pour les droits de l’homme
considère-t-il comme répréhensibles
des agressions contre des forces
armées d’occupation par des
personnes vivant sous occupation
militaire de belligérants
étrangers ? Si oui, quelle est la
base juridique de cette position ?
Sur quoi s’appuie-t-il pour
demander que des personnes vivant
sous occupation militaire agissent
en tant que force de protection de
leurs occupants ?
Les « autorités palestiniennes »
ont-elles également la
responsabilité de protéger les
colons, ou uniquement celle
d’assurer la protection et la
sécurité de l’armée israélienne ?
Apparemment, le haut commissaire des
Nations unies pour les droits de l’homme
reconnaît que les forces d’occupation
armées et belligérantes sont
« habilitées à se défendre » contre
le peuple qu’elles occupent.
Reconnaît-il de même que la
population palestinienne, qui vit sous
une occupation militaire au sujet de
laquelle la communauté internationale
n’a absolument rien entrepris hormis
sortir des déclarations inoffensives
depuis près de cinquante ans, est elle
aussi habilitée à résister et à se
défendre contre la susdite occupation ?
Colville n’a pas répondu à mes
questions, de sorte que j’en suis réduit
à conclure que le plus haut
fonctionnaire des droits de l’homme à
l’ONU ne fait aucune distinction entre
des attaques contre des civils et la
résistance contre des forces
d’occupation, dans le même temps qu’il
soutient le droit des forces
d’occupation de recourir à la violence
contre les gens qu’elles occupent.
Ce point de vue va a l’encontre du
large consensus international selon
lequel les peuples occupés et colonisés
ont le droit de résister.
Personne ne remet sérieusement en
question le droit des citoyens français,
belges et hollandais de s’être engagés
dans la résistance contre l’occupation
allemande, ou celui des Indonésiens et
des Algériens d’avoir résisté à
l’occupation hollandaise ou française.
Ce consensus a été exprimé dans de
nombreuses résolutions de l’Assemblée
générale des Nations unies, y compris la
résolution 3246 du 29 novembre 1974,
qui « condamne avec fermeté »
tous les gouvernements qui ne
reconnaissent pas « le droit à
l’autodétermination et à l’indépendance
des peuples sous domination coloniale et
étrangère et sous emprise étrangère et,
entre autres, les peuples de l’Afrique
et le peuple palestinien ».
La même résolution « [ré]affirme
la légitimité de la lutte des peuples
pour leur libération de la domination
coloniale et étrangère et de l’emprise
étrangère par tous les moyens à leur
disposition, y compris la lutte armée ».
Le droit et le devoir de résister à
l’occupation sont même repris dans la
Constitution suédoise, qui déclare
que «« toute institution publique en
territoire occupé agira de la façon qui
sert le mieux l’effort de la défense et
les activités de résistance ».
La collaboration
palestinienne
Il est, bien sûr, beaucoup plus
difficile de plaider au niveau
international en faveur du droit des
Palestiniens – à l’instar des
autres peuples occupés au cours de
l’histoire – à résister, quand leur
façade la plus connue s’emploie nuit et
jour à aider Israël à opprimer toute
résistance.
Jeudi dernier, Haaretz
rapportait que le chef de l’Autorité
palestinienne, Mahmoud Abbas, « insistait
pour poursuivre la coopération
sécuritaire avec Israël ».
Abbas a déclaré à la télévision
israélienne qu’il voulait qu’Israël
cesse ses raids à l’intérieur des
centres-villes palestiniens de sorte
que l’AP puisse faire le travail pour le
compte d’Israël.
« Mettez-moi à l’essai pendant
une semaine – si je n’assume pas mes
responsabilités, revenez », a
expliqué Abbas lors de l’émission Uvda,
qui traite de l’actualité.
« Donnez-moi la responsabilité
des territoires palestiniens et
testez-moi… Si Israël a des informations
spécifiques émanant de ses
renseignements, transmettez-les-moi et
je les traiterai. Si je ne le fais pas,
il [Netanyahou] peut venir et il le
fera », a ajouté Abbas.
Un peu plus tôt, Abbas
avait déjà rappelé que son rôle pour
assurer le maintien de l’occupation
israélienne était « sacré ».
Ses porte-parole avaient eux aussi
déjà
rassuré Israël en affirmant que l’AP
mettait tout en œuvre pour empêcher une
« troisième intifada ».
Cette assistance à Israël implique,
entre autres activités,
la complicité de l’AP dans la
torture des prisonniers palestiniens et
la répression des protestations contre
l’occupation.
Mais elle est largement perçue par
les Palestiniens, y compris par certains
personnages de la faction de Hamas au
sein du même du Fatah, comme une forme
répréhensible de collaboration.
La cause de BDS
C’est aux Palestiniens qu’il revient
de débattre et de décider des meilleures
formes de résistance et, dans la
situation actuelle, l’un des moyens les
plus puissants d’affronter Israël n’est
autre que le mouvement non violent et
dirigé par la société civile de boycott,
désinvestissement et sanctions (BDS).
Israël perçoit BDS comme une menace
importante contre sa domination et son
impunité à un point tel que, désormais,
il lance à son tour des menaces directes
contre la personne même des activistes.
Il y a une différence entre choisir
les tactiques appropriées dans la façon
de protester et de résister, d’une part,
et renoncer au droit à la résistance,
voire même collaborer avec l’occupation,
d’autre part.
Les Palestiniens peuvent choisir de
ne pas recourir à la lutte armée de la
même façon qu’en Afrique du Sud, Nelson
Mandela avait
adopté la lutte armée, puis l’avait
suspendue lorsque lui et ses
camarades avaient estimé que les
conditions s’y prêtaient. Mais jamais
ils ne renoncèrent à ce droit.
Comme le montre également l’histoire
de l’Afrique du Sud, la voie qui
s’écarte de la violence est toujours
plus facile quand il existe des
alternatives efficaces.
Ainsi ceux qui, à l’instar du haut
commissaire des Nations unies pour les
droits de l’homme, considèrent comme
répréhensible toute forme de violence
des Palestiniens, mais pas d’Israël,
devraient être les premiers au créneau
pour promouvoir des stratégies non
violentes du type BDS.
Mais personne, ni Abbas ni aucun
fonctionnaire de l’ONU n’est habilité à
priver les Palestiniens de leur droit
fondamental à la résistance et à
l’autodéfense.
Publié le 4 avril 2016 sur
The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal
Ali
Abunimah, journaliste
palestino-américain est le cofondateur
de ’The
Electronic Intifada’ et
auteur des livres One
Country : A bold Proposal to end the
Israeli-Palestinian Impasse et
The battle for Justice in Palestine
On peut suivre Ali Abunimah
sur Twitter :
@AliAbunimah
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