Je me trouve à
Saint-Pétersbourg, seconde cité
russe et joyau d’humanisme, avec six
millions d’habitants ou presque, et,
là, en interaction avec les Russes,
je n’arrive pas à comprendre comment
on peut imaginer la Russie détachée
de l’Europe, que ce soit au plan
culturel, économique ou politique,
et même plus, de l’Occident en
général, comme le voudrait la
propagande orwellienne
anglo-saxonnne, qui pratique la
distorsion sémantique (en anglais « misnomer »)
au point d’inclure dans le G-7 le
Japon, fort oriental pourtant,
depuis la géographie jusqu’à sa
culture, mais non la Russie.
Le tandem Wall Street–City qui
contrôle étroitement des
gouvernements aussi lâches
qu’impopulaires (Obama rivalise avec
David Cameron, dans la haine
citoyenne) incruste donc le Japon,
racialement jaune et culturellement
oriental, et exclut la Russie,
blanche et occidentale, de son
Nouvel Occident déboussolé et
corrompu.
Embrassée dans un regard
holistique, Saint-Pétersbourg, la
métropole la plus occidentale de la
Russie, il faut le redire,
représente l’un des creusets
modernes de la véritable
civilisation occidentale humaniste :
depuis ses incomparables Ballets
Russes du théâtre Mariinsy, jusqu’au
merveilleux Musée de l’Hermitage,
qui détient la plus grande
collection de peinture d’Occident,
sans compter d’autres attributs qui
civilisent chacun, ses églises de
rite orthodoxe chrétien (la religion
semi-orientale adoptée par Rome au
départ, puis par les nouvelles Rome
que furent Byzance et enfin Moscou),
et ses palais de rêve si italiens
par leur architecture, et qui
semblent en outre conjuguer
Grande-Bretagne, France et
Allemagne.
Le grandissime sage chinois
Confucius disait que le signe
suprême du chaos est dans la
confusion linguistique. Exclure la
Russie, tant du défunt G-8 que de
l’entéléchie d’un Occident vicié par
les impératifs géopolitiques du
tandem anglo-saxon, et qui plus est,
comparer de façon grotesque Poutine
à Hitler, alors que c’est la Russie
qui a permis la déroute de
l’Allemagne nazie, c’est le signe de
la perte profonde de syndérèse [1],
et c’est faire preuve d’incontinence
verbale.
Autre confusion linguistique aux
racines géopolitiques, c’est la
question byzantine du savoir s’il
s’agit d’une nouvelle Guerre froide,
selon l’avertissement solennel
d’Henry Kissinger et de Mikhaïl
Gorbatchev, ou s’il s’agit d’une
guerre multidimensionnelle, dominée
par un enjeu économique (évoquée par
Vladimir Poutine [2]
lequel, dans l’entretien désormais
célèbre qu’il a accordé à la
télévision allemande ARD [3],
s’est écrié que l’Otan et les USA
ont des bases militaires réparties
dans le monde entier, jusqu’aux
abords du territoire russe, et que
leur nombre ne cesse d’augmenter.
Après cet éclat, Poutine a avoué que
face à la décision de l’Otan de
déployer des forces spéciales près
de la frontière russe, Moscou a bel
et bien répondu avec des exercices
similaires, par exemple dans le
Golfe du Mexique [et face aux côtes
normandes].
La nouvelle Guerre froide a
froidement été déclarée, et son
épitomé c’est la guerre économique
dont l’effondrement des prix du
pétrole, voulu, constitue une
attaque décisive contre la Russie.
Dans un long document [4],
Vladimir P. Kozine —chef des
conseillers de l’Institut russe
d’études stratégiques— aborde la
« seconde Guerre froide » que les
États-Unis et OTAN ont imposée à la
Russie, et se demande comment la
surmonter ; voici ses quatre
axiomes :
1. US
et alliés otanesques doivent mettre
fin à toute construction militaire
près des frontières russes, ce qui
inclut la série d’accords
stratégiques sur les armes
nucléaires et conventionnelles déjà
conclus, et ces pays doivent
considérer la Russie comme alliée
permanente, et non pas comme ennemie
permanente.
2.
Toutes les « sanctions » économiques
et financières contre la Russie
doivent être levées.
3.
L’Ukraine devra déclarer promettre
de s’en tenir à son statut de pays
non aligné et non nucléaire pour
toujours. À noter qu’au moment de la
dissolution de l’URSS, l’Ukraine a
cédé une partie de sa dotation en
armes nucléaires, tout comme le
Belarus et le Khazakstan, sans avoir
été récompensée le moins du monde
par la communauté internationale
bien ingrate.
4.
La communauté internationale doit
s’opposer avec fermeté aux
tentatives pour faire revivre les
hantises de la Deuxième Guerre
mondiale et combattre sérieusement
toute forme de racisme, xénophobie,
nationalisme agressif et
chauvinisme.
Ces quatre points devront être
abordés dans le cadre d’un sommet
spécial USA-Russie, mais pas avec
Barack Obama, parce que Kozine le
géostratège, estime que c’est
« impossible » dans le temps qui lui
reste à la présidence.
Il ajoute qu’à la veille d’une
guerre nucléaire clarificatrice, les
guerres d’aujourd’hui sont des
hybrides de guerres conventionnelles
et de cyberguerres de
désinformation, par le biais
d’infiltrations dans les affaires
domestiques des autres, débouchant
sur des chaos contrôlés et des
guerres par alliés interposés
(« proxy-wars »).
Kozine se prononce pour une
détente globale, qui mette en
action, « sous le principe du monde
unipolaire, une sécurité mutuelle
garantie ».
Il y a une aversion profonde et
personnelle des géostratèges russes
contre Obama, mais elle n’atteint
pas les niveaux de la russophobie
massive de Brzezinski le polaco-canadien-usien,
Brzezinski, après avoir tendu un
piège mortel à l’URSS en
Afghanistan, envisageait de
balkaniser ce qui resterait de la
Russie en trois morceaux, afin
d’incorporer l’Ukraine à l’OTAN,
comme il l’énonce dans son livre
aujourd’hui caduc Le grand
échiquier, livre qui n’avait pas
prévu les défaites militaires des
USA en Irak et en Afghanistan, ni
l’avènement du nouvel ordre
tripolaire géostratégique (Russie,
USA, Chine).
Le véritable conseiller
géostratégique d’Obama n’est autre
que le même Brzezinki, jadis
conseiller à la sécurité nationale
de Carter, et toujours tourmenté par
ses phobies ataviques, à 86 ans bien
sonnés.
Les géostratèges russes ont perdu
tout espoir d’arriver à un accord
avec Obama —paix impossible, donc—
tandis que ce dernier a tout intérêt
à geler le conflit ukrainien le
temps qu’il passe les commandes à un
Congrès hostile.
Peut-être que les Russes
préfèreront attendre le prochain
président US, d’ici trois ans, pour
négocier.
Ce serait une erreur d’optique
subjective d’attribuer aux
mandataires russes et états-uniens
des politiques qui sont le produit
de leurs machines de guerre et de
certains groupements d’intérêts.
-
La posture d’un think tank de la
taille de l’Institut russe d’études
stratégiques n’a que peu de rapports
avec la trivialité de la guerre
psychologique, vicieuse propagande
noire, qui remplit les pages des
publications financiéristes
anglosaxonnes, depuis The
Economist jusqu’au Wall
Street Journal, qui, depuis leur
confort boursier, n’en finissent pas
d’inciter à la guerre entre les USA
et Russie.
Auront-ils assez de bunkers
anti-nucléaires où se blottir le
jour venu, les funestes banquiers de
Wall Street et de la City ?