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Vers une guerre totale de l’information
Alexandre Latsa
© Flickr/
Libelul
Mardi 31 mars 2015
Nous voilà revenus à
une sorte de nouvelle guerre froide
médiatique cyber-violente, dans laquelle
la Russie d’aujourd’hui apparaît de
nouveau comme un modèle politique pour
bon nombre d’Européens.
Bien longtemps,
trop longtemps, le champ de
l'information a été le domaine réservé
d'une élite médiatique qui occupait tant
la presse écrite que le petit écran. Dès
le début des années 2000, la révolution
Internet a initié un processus qui
semble maintenant irréversible:
l'émergence de voix dissidentes sur
internet, mais aussi et surtout la
possibilité pour d'authentiques
spécialistes et experts de s'exprimer et
de toucher un public de plus en plus
large.
Le passage obligé
par la presse écrite ou par les chaînes
de télévision n'est plus, et ce
bouleversement a notamment donné
naissance à un nouveau type de citoyen:
le blogueur.
Généralement simple
commentateur, celui-ci peut être un
expert et donc apporter dans un domaine
précis une expertise qui manque
journalistes, correspondants et autres
pigistes de la presse généraliste. Le
bloggeur présente en outre une autre
force: écrivant souvent dans un esprit
Wiki, bénévole ou caritatif, il n'est
soumis à aucune rédaction, il tire ses
revenus d'activités professionnelles
sans rapport avec le monde médiatique.
Souvent il entretient un dialogue avec
les lecteurs de son blog, dialogue qui
provoque la création de quasi think-tanks
de toutes dimensions sur de différents
sujets.
Le blogueur est
bien souvent un travailleur acharné,
stakhanoviste de la vérité, ou de sa
vérité, celle qui ne va pas forcément
dans le sens des grands médias. Avec la
multiplication des blogs, forums et
témoignages venus du terrain, autant
dire que les journalistes professionnels
ne peuvent plus impunément écrire
n'importe quoi. Désormais, pour le
journaliste qui fournit une prestation
médiocre ou mensongère, la punition
n'est jamais très loin: elle fait
rapidement le tour de la planète sur
Internet, comme on peut s'en assurer
ici ou
là.
C'est sans aucun
doute cette médiocre qualité du travail
fourni par les journalistes français,
avec une bien trop forte empreinte
idéologique, qui a provoqué et favorisé
l'émergence de nombreux
fantassins idéologiques, pour
reprendre l'expression d'un journaliste
français, qui ont rejoint la bataille de
l'information de façon totalement
bénévole, avec leur conviction pour
seule arme.
Ce processus de «
bloggerisation » de la communication, et
donc de l'information sur Internet,
bouleverse la donne et inquiète
fortement les centres d'information
traditionnels. Un des correspondants
français à Moscou avec lequel j'ai
échangé il y a quelques années m'avait
confié qu'il avait parfaitement compris
qu'il faisait partie de la dernière
génération de journalistes
traditionnels, génération qui serait
probablement remplacée à terme par des
bloggeurs.
Alors qu'en France
on fait désormais écrire des robots à la
place des journalistes, en s'inspirant
de la tendance anglo-saxonne qui émerge
au sein des agences généralistes de type
Associated Press, en Russie c'est
une tendance inverse qui émerge. Le
blogueur y est de plus en plus pris en
considération, et depuis août 2014, une
loi assimile le blogueur qui dépasse une
certaine audience (plus de 3.000
visiteurs uniques par jour) à un média
presque à part entière, avec des devoirs
mais aussi des droits (source).
Cette évolution est
fondamentale dans le cadre global de la
guerre de l'information qui oppose de
plus en plus frontalement l'Otan à la
Russie. Longtemps les populations
d'Europe n'ont eu droit qu'à une seule
lecture des événements et de l'histoire:
celle concoctée par les chancelleries
des pays de l'Otan, puis médiatisée par
les principales agences généralistes
occidentales (AP, AFP et Reuters).
Pendant la dernière
décennie, la situation a évolué à mesure
que de nombreux outils de communications
non occidentaux ont émergé et pris de
l'importance, que l'on pense à Al-Jazeera,
Russia Today ou encore à des supports
indiens ou chinois de très grande
dimension qui communiquent de plus en
plus activement dans les langues des
pays occidentaux.
L'apparition de
points de vue non-occidentaux, et non «
occidentophiles » (soit absolument pas
pro-américains) a beaucoup inquiété les
chancelleries de certains pays
occidentaux. Depuis deux ans environ,
Bruxelles a activé et financé une
armée de « trolls » chargés
d'influencer les votes aux élections
européennes. Cette révélation a
probablement convaincu une large part
des européens que si l'UE critique la
Corée du Nord, elle emploie pourtant les
mêmes méthodes quand il s'agit de «
convaincre » ses populations de bien
voter.
Dans ce monde
médiatique en mutation, les outils de
communication russes vers l'étranger ont
enregistré quelques succès. Il y a les
plateformes RIA Novosti et Voix de la
Russie, désormais fusionnées sous
l'appellation Sputnik mais aussi Russia
Today, qui sont aujourd'hui des acteurs
majeurs de l'information/ré-information
et donc de la guerre entre médias qui
fait rage.
A l'ouest c'est la
panique.
Le commandant en
chef des troupes de l'Otan en Europe a
récemment appelé à mener une guerre de
l'information, notamment sur les réseaux
sociaux, tandis que le conseil américain
des gouverneurs de la radiodiffusion
déplorait que les Etats-Unis soient en
train
de perdre la guerre de l'information
face à la Russie. A Bruxelles,
l'ambiance est la même. Les Etats baltes
et la Grande-Bretagne ont appelé à
mettre en place un plan de réponse aux
médias russes en lançant notamment une
chaîne de télévision paneuropéenne en
russe.
Face aux médias
russes, une haine suintante est apparue
au grand jour lorsque l'année dernière
le rédacteur du magazine The Economist,
Edward Lucas, a qualifié les employés de
Russia Today
d'excentriques et de propagandistes
et appelé à rejeter et exclure « ces
gens » (sic) du monde du journalisme.
Pour la présidente de Lituanie, la
propagande russe doit être identifiée et
tout bonnement
éradiquée.
Nous voilà revenus
à une sorte de nouvelle guerre froide
médiatique cyber-violente, dans laquelle
la Russie d'aujourd'hui apparaît de
nouveau comme un modèle politique pour
bon nombre d'Européens. Mais alors que
les pays occidentaux faisaient autrefois
de la propagande antisoviétique en
s'appuyant surtout sur les mouvements de
droite, conservateurs ou patriotiques,
la situation s'est aujourd'hui inversée.
Désormais, il y a
en France et un peu partout en Europe
des gaullistes et des patriotes qui
soutiennent majoritairement la Russie,
alors que ce sont les gens de
centre-droit et de centre-gauche qui
sont les meilleurs relais de Washington
et de Bruxelles. Leur influence sur la
vie de la Cité est cependant en train de
fondre lentement, comme du reste le
lectorat des grands médias traditionnels
français.
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Publié le 2 avril 2015 avec l'aimable autorisation de
l'auteur
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