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La Syrie illustre-t-elle une crise de
la diplomatie française ?
Alexandre Latsa
© REUTERS/
Bassam Khabieh
Mercredi 25 mars 2015
Ces dernières
semaines, plusieurs nouvelles du front
syrien ont pu laisser penser aux
observateurs les plus attentifs que
notre diplomatie avait commis de lourdes
erreurs d’appréciation, et qu'une prise
de conscience était en cours.
Victime d'une
agression extérieure à haute intensité
qui a commencé en 2011, l'Etat syrien
mène une guerre pour maintenir l'unité
nationale et éviter une désintégration
qui transformerait le pays en un Irak
bis.
Dès le début des
événements, en 2011, la France a pris
sans réfléchir des positions tranchées
qui semblaient ne laisser aucun avenir
au système Assad. Notre ministre des
Affaires étrangères nous
ressassait en 2011 et 2012 que
Bachar el-Assad n'en avait plus « que
pour quelques mois », ajoutant que même
les Russes « envisageaient de laisser
tomber le président syrien ».
Visiblement très
mal informée de la réalité de la
situation sur le terrain, notre
diplomatie n'avait pas envisagé un
quelconque scénario alternatif.
Pourtant, de nombreux experts non
alignés avaient fait à l'époque d'autres
prévisions qui se sont finalement
réalisées: au cours des années 2013 et
2014, la coalition syrienne, c'est à
dire l'appareil politique et militaire
syrien et ses nombreux soutiens
intérieurs et extérieurs, allait petit a
petit
regagner du terrain et connaître
d'importants succès militaires et
politiques.
Ces succès
militaires engrangés au cours des deux
dernières années permettent au régime de
contrôler aujourd'hui 60% du territoire
et environ 75% de la population du pays.
En parallèle de cette dynamique positive
pour le pouvoir syrien, l'opposition
dite démocratique s'est retrouvée de
plus en plus écrasée entre la puissance
des loyalistes et l'éclosion d'une
multitude de fractions islamistes
radicales à l'influence croissante.
Parmi ces dernières, le front Al-Nosra
qui tient une grande poche entre Idlib
et Alep, ou l'Emirat islamique qui
contrôle la zone allant de l'est d'Alep
à la frontière irakienne dans le nord du
pays.
Cette carte éditée par le blogueur
Peto_Lucem illustre à titre
informatif les rapports de force sur le
terrain fin janvier 2015.
Alors que la France
s'apprêtait à frapper militairement
la Syrie et l'Etat syrien à la fin
septembre 2013, c'est finalement une
coalition militaire de 22 pays
impliquant puissances occidentales
et arabes qui procéda à une intervention
militaire au cœur de l'été 2014 mais
cette fois contre…
l'Etat islamique et non le régime
syrien! Un renversement historique
total.
Il faut rappeler
que si l'abominable décapitation du
journaliste James Foley a été l'un des
déclencheurs médiatiques de cette
opération militaire contre l'Etat
islamique, le mainstream médiatique n'a
cessé ces derniers mois d'insinuer que
ce dernier avait été kidnappé par les
forces d'Assad, comme on peut le voir
ici.
Alors que l'EI
connaît actuellement ses premières
défaites militaires importantes que ce
soit face aux forces kurdes (Kobane) ou
face à l'armée syrienne (Deir ez-Zor,
Palmira…), après presque cinq ans de
guerre, Assad
est toujours là et il y a désormais
peu de chances qu'il s'en aille aussi
rapidement que certains avaient
envisagés ou que l'Armée syrienne ne
soit militairement défaite, sans une
intervention extérieure très appuyée. La
récente et courageuse visite de
parlementaires français en Syrie
confirme que l'homme est visiblement
« tout sauf isolé (…) parfaitement
informé de la situation (…) Et ne compte
pas quitter la barque ».
Alors que pour le
président, le
premier ministre et le ministre
des Affaires étrangères français
aucune négociation avec le président
syrien ne semble encore envisageable, ce
n'est apparemment plus le cas pour la
diplomatie américaine dont la ligne de
conduite semble connaître une inflexion
assez importante: John Kerry lui-même a
admis la possibilité de négociations
avec le président syrien. Washington
peine, il est vrai, à trouver les
milliers de volontaires qu'elle
souhaitait former pour aller combattre
le régime syrien dans un premier temps,
mais dont l'objectif serait désormais
d'aller combattre au sol l'Etat
islamique.
Il est plausible
que les chancelleries européennes,
France en tête, vont sans doute dans les
mois qui viennent devoir revoir leur
copie sur le dossier syrien et prendre
en compte quelques réalités de terrain.
— Tout d'abord, si
le régime syrien semble ne pas pouvoir
l'emporter militairement aussi
rapidement qu'il l'envisageait, il
continue sa reconquête militaire et
territoriale.
— Il n'existe
quasiment plus en Syrie d'opposition
modérée au régime d'Assad (ayant un
poids militaire ou politique suffisant)
avec qui discuter.
— Un fort consensus
international s'établit progressivement
sur le fait que la priorité est de
neutraliser la nébuleuse « Etat
islamique » pour éviter qu'elle ne
devienne un élément supplémentaire et
décisif de déstabilisation régionale.
Une priorité d'autant plus importante
pour l'Occident et la Russie que des
milliers de citoyens européens et russes
combattent au sein des milices
islamiques, ce qui représente un gros
risque pour leurs pays d'origine.
Cette équation
complexe implique donc que si la guerre
continue, l'armée syrienne devrait
progresser dans sa reprise de contrôle
du territoire syrien; dans le même
temps, il n'existe plausiblement pas
d'interlocuteurs crédibles pour
remplacer Assad. Dans un tel cas de
figure, ce dernier, après avoir déjoué
l'agenda des grandes puissances
impérialistes (occidentales ou pays du
Golfe) pourrait potentiellement
apparaître comme un symbole d'un genre
nouveau, une sorte de De Gaulle arabe,
héros de la souveraineté nationale.
L'équation syrienne
pourrait constituer un piège pour la
France si notre diplomatie devait
s'entêter, pour des raisons idéologiques
et non pragmatiques, à refuser de
constater que non seulement Assad n'est
pas prêt à partir, mais qu'il est aussi
la clef du dossier syrien.
Un dossier dont la
solution est strictement politique,
comme ne cesse de le répéter la
diplomatie russe depuis maintenant près
de cinq ans.
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Publié le 26 mars 2015 avec l'aimable autorisation de
l'auteur
Le sommaire d'Alexandre Latsa
Le
dossier Syrie
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