Opinion
La politique américaine en Ukraine
va-t-elle entraîner une nouvelle guerre froide ?
Alexandre Latsa
© Flickr/ North Atlantic Treaty
Organization NATO
Lundi 2 février 2015
Au cœur du glacial hiver russe de
l‘année 1990, le très républicain et
très texan secrétaire d'état américain
James Baker a fait à Moscou une bien
étonnante promesse.
Présent au Kremlin, il a juré la main
sur le cœur pendant une discussion avec
Mikhaïl Gorbatchev, que l'Alliance
militaire occidentale ne s'étendrait pas
vers l'est si Moscou acceptait que
l'Allemagne réunifiée intègre l'Otan.
Plus largement, cela voulait dire que
les occidentaux ne chercheraient pas à
profiter de la dissolution du pacte de
Varsovie, et du retrait des troupes
soviétiques d'Europe centrale. Ceci fut
confirmé par le ministre des affaires
étrangères allemand qui s'adressait à
son homologue soviétique, Edouard
Chevardnadze.
Plus tard c'est Bill Clinton lui-même
qui raconta dans un ouvrage qu'il avait
écrit qu'en 1997, Boris Eltsine lui
avait demandé de limiter une éventuelle
extension de l'OTAN aux anciens membres
du pacte de Varsovie mais d'en exclure
les états de l'ex-Union Soviétique,
comme les pays Baltes et l'Ukraine.
Alors que la nouvelle Russie était
promise à l'effondrement, le sursaut
russe avant le chaos s'est traduit par
l'élection d'un inconnu: Vladimir
Poutine. Pendant les 15 années
suivantes, (de 2000 à nos jours) il
s'est attaché à rétablir non seulement
l'ordre et la stabilité intérieure mais
aussi à préserver autant que possible la
complexe relation qui existe entre
Moscou et ses marches depuis
l'effondrement de l'Union Soviétique.
Etrange naïveté postsoviétique, les
Russes en général sont restés longtemps
médusés en constatant que les élites
américaine ne tenaient absolument pas
leur parole, et que la promesse: «
L'OTAN ne s'étendra pas à l'Est », qui
résonnait encore à leurs oreilles,
n'avait aucune valeur. Bien au
contraire, la pression américaine n'a
fait que s'accentuer.
Il y a eu tout d'abord le
bombardement de l'allié serbe en 1999 et
l'adhésion à L'OTAN des Polonais, des
Tchèques et des Hongrois la même année.
Puis la création d'une force de réaction
rapide à Prague en 2002 suivie en 2004
d'une vague d'extension de l'OTAN a 7
états supplémentaires: l'Estonie, la
Lettonie, la Lituanie, la Bulgarie, la
Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie,
amenant ainsi l'Otan aux frontières
russes.
N'oublions pas la mise en place qui
se poursuit en Pologne, de missiles
américains soit disant installés là pour
intercepter des missiles
intercontinentaux qui pourraient être
lancés par l'axe du mal (Iran — Corée du
Nord).
La
Pologne, gladiateur des USA en pleine
guerre froide
© U.S.
Army photo by Master Sgt. Donald Sparks
Dans le même temps, d'étranges
révolutions démocratiques managées par
des ONG américaines se sont produites
sur les marches russes, en Ukraine et en
Géorgie. Dans le cas de la Géorgie, la
situation a débouché sur des opérations
militaires. La Russie et l'Ouest se sont
affrontés dans une guerre indirecte et
asymétrique, par l'intermédiaire d'un
état fusible interposé.
En 2009 c'est la France, via Nicolas
Sarkozy qui opère son retour dans le
commandement intégré de l'OTAN, fermant
ainsi la fenêtre historique qui avait
été ouverte en 1966 par le Général de
Gaulle et achevant ainsi la mainmise de
l'OTAN sur l'Europe.
L'emprise de l'OTAN s'est en effet
fortement accentuée sur l'Europe, il
faudrait être sourd et aveugle pour ne
pas en être conscient. L'Amérique est
plus unilatéraliste que jamais, les
décisions de l'Union Européenne sont de
plus en plus alignées sur les décisions
de Washington, c'est ce que constatent
et ressentent les élites russes, qui
voient que la Russie est progressivement
cernée par des pays qui abritent des
bases de l'OTAN.
La politique extérieure de la Russie
s'attache pour sa part à faire émerger
un monde multipolaire. Dans ce contexte,
les évènements qui secouent l'Ukraine
prennent une importance particulière, et
ne peuvent que détériorer gravement les
relations entre l'Ouest et la Russie.
En novembre 2013, un député ukrainien
du nom
d'Oleg Tsarev, lors d'un
discours à la Rada ukrainienne
(l'assemblée nationale locale) dénonce
clairement l'implication directe de
l'Amérique dans la préparation d'un coup
d'Etat et le déclenchement d'une guerre
civile en Ukraine.
Selon lui, ce ne sera pas une
révolution de couleur « pacifique »
comme en 2004 mais bel et bien une
opération sanglante visant à faire de
l'Ukraine une zone d'affrontement entre
la Russie et l'Ouest dominé par l'OTAN.
Oleg Tsarev sera après ce discours
brutalement agressé pendant que sa
tête et celle de ses proches seront
mises à prix par l'un des oligarques
qui ont émergé après les évènements du
Maïdan de Kiev.
118 mois plus tard on ne pourra que
constater la justesse des propos d'Oleg
Tsarev alors que l'Ukraine plonge dans
une guerre civile dont on se demande
bien comment elle va en sortir, et alors
qu'OTAN et Russie s'y affrontent de
nouveau en sous-main et de façon
indirecte, comme ils l'ont fait en 2008
en Géorgie, mais d'une manière beaucoup
plus radicale cette fois-ci.
Ukraine:
55% des Russes sceptiques sur
l'association avec l'UE (sondage)
© RIA Novosti. Ilya
Pitalev
Sur ce point on peut clairement réaliser
que les élites russes ne se sont pas
trompées: l'accord d'association de l'UE
à l'Ukraine visait bien à accélérer
l'intégration de l'Ukraine à l'OTAN pour
permettre à la coalition d'achever la
réalisation d'un axe
Berlin-Varsovie-Kiev, nouvelle colonne
vertébrale de l'OTAN au sein du
continent.
Les Occidentaux ont beaucoup de mal à
percevoir que le printemps russe de 2014
en Crimée est un miroir du printemps
allemand au moment de la réunification.
Les manifestants qui ont traversé le mur
les 9 et 10 novembre 1989 n'étaient sans
doute pas si différents de ceux qui ont
chanté à Sébastopol le 18 mars 2014 lors
du retour de la Crimée au sein de la
Fédération de Russie. Comme en
Allemagne, il y avait bien sur l'espoir
d'un avenir meilleur, mais aussi et
surtout le retour au sein de la patrie
historique.
AA la pression militaire déclenchée
par l'ingérence occidentale en Ukraine
s'est ajoutée une guerre économique
visant à étouffer la Russie
financièrement et économiquement, en
profitant de la baisse du pétrole ou par
l'escalade malsaine des sanctions. Ce
n'est pas une surprise, la Russie opère
donc en retour de grandes manœuvres de
ré-réorientation économiques et
stratégiques qui l'éloignent encore plus
d'une Europe de l'Ouest toujours plus
dominée par l'OTAN.
Un divorce total est donc en train
d'émerger, qui risque de replonger le
monde dans une quasi guerre froide et de
scinder à nouveau l'hémisphère nord en
deux blocs. Cette fois-ci le mur ne
serait pas au cœur de l'Allemagne mais
vraisemblablement quelque part au cœur
de l'Ukraine.
© 2015 Sputnik Tous droits réservés.
Publié le 4 février 2015 avec l'aimable autorisation de
l'auteur
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