Nouvelles d'Orient
Grave crise entre les émirats du Golfe
Alain Gresh
Alain
Gresh - Photo: D.R.
Vendredi 7 mars 2014
La décision n’a pas vraiment surpris,
car le feu couvait depuis longtemps sous
la cendre. Le 5 mars, trois pays membres
du Conseil de coopération du Golfe
(CCG), l’Arabie saoudite, les Emirats
arabes unis et le Bahreïn annonçaient,
dans
un communiqué commun, le rappel de
leurs ambassadeurs au Qatar (« Saudi,
Bahrain, UAE recall envoys to Qatar »,
Saudi Gazette, 5 mars).
Le communiqué précise que les trois
pays « ont fourni des grands efforts
pour négocier avec le Qatar à tous les
niveaux et pour arriver à une politique
commune (...) et garantir les
principes de non ingérence dans les
affaires intérieures des Etats-membres »
(du CCG). « Ils ont aussi demandé au
Qatar de ne soutenir aucun mouvement
dont le but est de menacer la sécurité
et la stabilité des Etat membres. »
Le communiqué fait également
référence au sommet tripartite du
23 novembre 2013 entre l’émir du Koweït,
celui du Qatar (le cheikh Tamilm qui
venait de succéder à son père) et le roi
d’Arabie saoudite, sommet au cours
duquel un accord aurait été signé et que
le Qatar n’aurait pas appliqué malgré
plusieurs tentatives de médiation.
Cette mesure de retrait a entraîné
une chute importante de la bourse de
Doha, de 2 % pour l’index des 20 plus
grandes sociétés, la plus forte baisse
depuis 6 mois — mais les valeurs du
marché sont en hausse de près de 10 %
sur un an. Les valeurs les plus touchées
ont été les télécommunications, les
banques, le transport, l’immobilier (« Qatar
shares drop 2%, largest single-day loss
in 6 months », Gulf Times,
5 mars).
Le gouvernement de Doha a exprimé
« ses regrets et sa surprise » après
cette décision prise par « des pays
frères ». Celle-ci est
« contraire aux intérêts, à la sécurité
et à la stabilité des peuples du CCG »,
mais est liée à des différences de
points de vue sur des questions qui ne
concernent pas le CCG (allusion sans
doute à l’Egypte, lire « Qatar
“regrets” envoys’ recall by three GCC
states », Gulf Times,
6 mars). Toutefois, Doha a décidé de
maintenir ses ambassadeurs dans les
trois capitales.
Une source officielle à Doha,
s’exprimant anonymement, a employé un
langage moins diplomatique : « Le
Qatar ne renoncera pas, quelles que
soient les pressions, à sa politique
étrangère. C’est une question de
principes auxquels nous sommes attachés,
quel que soit le prix à payer » (« Qatar
“will not bow to pressure to alter
foreign policy” », Reuters, 6 mars
2014).
Avant de revenir sur le fond des
problèmes qui opposent le Qatar aux
trois autres pays, une remarque
s’impose : deux des six membres du CCG
ne se sont pas joints à l’Arabie
saoudite, ce qui est un revers pour le
royaume. D’abord le Koweït, qui a tenté
des médiations mais ne souhaite pas
envenimer les choses ; de plus, comme le
Qatar, le pays n’a pas signé l’accord de
sécurité (le Parlement s’y oppose
fortement). Ensuite Oman, qui s’est
opposé à plusieurs reprises à ce qui est
perçu comme une volonté hégémonique de
Riyad et qui a refusé, lors du sommet du
CCG en décembre, de cautionner le projet
d’union des pays du Golfe, avec une
dimension militaire (lire Marc Cher
Leparrain, « Fronde
d’Oman contre l’Arabie saoudite »,
OrientXXI, 22 janvier 2014.) Pour
aggraver leur cas, les Omanais ont servi
d’intermédiaires aux négociations
secrètes entre l’Iran et les Etats-Unis.
Même le front des trois pays n’est
pas aussi solide qu’on pourrait le
penser, les Emirats arabes unis ayant,
contrairement à l’Arabie saoudite,
repris langue avec l’Iran : le ministre
des affaires étrangères émirati s’est
rendu à Téhéran le 28 novembre et son
homologue iranien a été reçu à Abou
Dhabi le 4 décembre.
Les relations entre le Qatar et
l’Arabie saoudite sont tendues depuis
des années, notamment à cause de la
chaîne de télévision Al-Jazira, dont les
critiques à l’égard du régime saoudien
ont été constantes. L’Arabie avait
retiré son ambassadeur à Doha en 2002,
pour protester contre ses émissions. Il
n’avait repris son poste qu’en 2008 à la
suite d’une promesse de Doha d’atténuer
le ton de sa chaîne satellitaire.
Mais cette crise semble beaucoup plus
grave que les précédentes, car elle
dépasse largement Al-Jazira, accusée par
Riyad d’avoir repris ses critiques
contre le royaume ces deux derniers
mois. Riyad (et Abou Dhabi) reprochent
au Qatar d’avoir aidé et financé les
Frères musulmans en Arabie et dans les
Emirats arabes unis (ce pays a arrêté
des dizaines de membres de la confrérie,
ou supposés tels). Or les Frères
musulmans sont devenus l’ennemi
principal des deux monarchies (lire mon
article de novembre 2012, « Les
Frères musulmans à l’épreuve du pouvoir »,
Le Monde diplomatique). Le
7 mars, à la suite de l’Egypte, l’Arabie
saoudite a désigné les Frères comme
« organisation terroriste ».
Au-delà de ce reproche, la pomme de
discorde essentielle reste l’Egypte,
Riyad et Abou Dhabi ayant salué le coup
d’Etat de l’armée du 3 juillet 2013, le
Qatar l’ayant condamné. Les relations
entre Doha et Le Caire restent mauvaises
et l’Egypte, dont l’ambassadeur au Qatar
a quitté son poste en février, reproche
à l’émirat de s’ingérer dans ses
affaires intérieures et de refuser
d’extrader des « criminels » qui s’y
sont réfugiés.
Enfin, les critiques du cheikh
Youssef Al-Qaradhawi contre la famille
régnante aux Emirats début février avait
provoqué
une convocation de l’ambassadeur du
Qatar à Abou Dhabi. Il faut noter
toutefois que le cheikh, qui présentait
une des émissions phare d’Al-Jazira,
« La charia et la vie », en a été privé
depuis plusde six mois sans qu’aucune
explication n’ait été avancée ; en
revanche, il prononce la khotba du
vendredi dans l’une des grandes mosquées
de Doha.
La presse saoudienne a ajouté deux
griefs à ces accusations (« Saudi Arabia
and other Gulf States lose patience with
Qatar », BBC Monitoring research, 5 mars
2014) :
celui
d’aider les groupes les plus extrémistes
en Syrie, notamment le Front Al-Nosra
(reproche fait aussi à la Turquie) ; il
est à noter pourtant que le Qatar, les
Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite
soutiennent tous la rébellion en Syrie ;
celui
d’aider les rebelles « houtistes » au
Yémen (c’est la première fois que je lis
une telle accusation ; lire Pierre
Bernin, « Les
guerres cachées du Yémen », Le
Monde diplomatique, octobre 2009).
Cette crise est la plus sérieuse
qu’ait connue le CCG depuis sa
fondation. Elle est d’autant plus
significative que l’on assiste à une
réorganisation de la région avec la
détente (relative) entre l’Iran et les
Etats-Unis. Le sommet arabe qui doit se
tenir à la fin du mois au Koweït risque
d’être agité. La réaction française est
restée discrète, c’est le moins qu’on
puisse dire. Seule la sénatrice Nathalie
Goulet a publié un
communiqué attirant l’attention sur
le caractère dangereux de l’escalade.
Les
Etats-Unis face à l’islam
politique
Université populaire, samedi
8 mars 2014
Séance
1 (10h30-12h30)
Dialogue introductif,
avec Jean-Paul Chagnollaud,
professeur des Universités,
directeur de l’iReMMO et de
la revue Confluence
Méditerranée, et Alain Gresh,
journaliste au Monde
diplomatique et
animateur du blog Nouvelles
d’Orient.
Séance
2 (14h-16h)
Le tournant de la guerre
en Afghanistan, avec Gilles
Donrrosoro, professeur en
science politique à
l’Université Paris I.
Séance
3 (16h-18h)
Positionnement politique
des Etats-Unis face aux
gouvernements post révoltes
arabes, avec Karim Emile
Bitar, directeur de
recherche à l’IRIS.
Contact et inscription :
universite-populaire@iremmo.org
Participation : 20 euros
pour la journée (12 euros
pour les étudiants et les
demandeurs d’emploi) ; carte
Intégrale 145/90€
Lieu : iReMMO 5, rue
Basse des Carmes, 75005
Paris (M° Maubert Mutualité)
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