Lakome
Sahara Marocain,
le discours de la panique
Ahmed Benseddik
Mercredi 30 octobre 2013
Un réveil tardif
Le roi du Maroc, une fois n'est pas
coutume, reconnaît que le dossier du
Sahara traverse un moment pénible.
Lors du discours d'ouverture de la
nouvelle session parlementaire le 10
octobre 2013, il a notamment déclaré: « La
situation est difficile. Rien n'est
encore tranché. Les manœuvres des
adversaires de notre intégrité
territoriale ne vont pas s'arrêter, ce
qui pourrait placer notre cause devant
des développements décisifs. »
Ahmed Benseddik
Mohammed VI en a profité pour reprocher
aux parlementaires et aux partis leur
passivité en affirmant, une fois n'est
pas coutume aussi, que « la question
du Sahara n'est pas seulement la
responsabilité du Roi, mais elle est
également la cause de tous et de chacun
: institutions de l'Etat, parlement,
Conseils élus, et tous les acteurs
politiques, syndicaux et économiques,
les organisations de la société civile,
les médias et l'ensemble des citoyens. »
Le reproche est plus vif quand il
a déclaré que « la majorité des acteurs
ne se mobilisent avec force qu'en cas de
danger imminent menaçant notre intégrité
territoriale, comme s'ils attendaient le
feu vert avant d'entreprendre quoique ce
soit. »
Ainsi, après avoir monopolisé avec
ses proches courtisans, la gestion de ce
dossier, la franchise soudaine traduit
le désarroi d'un homme et l'échec d'un
système de gouvernance qui demeure en
état de gravitation perpétuelle autour
du même homme et de ses humeurs,
autoritarisme oblige.
Rétrospective rapide
Pourtant, c'est le même Mohammed VI
qui, il y a à peine trois mois,
affirmait sur un ton satisfait, lors
du discours du trône le 30 juillet
2013 : « Le capital sympathie dont
jouit notre première cause à
l'international, s'est accru grâce à une
bonne appréciation des tenants et des
aboutissants de la question de notre
intégrité territoriale. Cette évolution
trouve son illustration dans le soutien
grandissant apporté à notre initiative
judicieuse, en l'occurrence notre
proposition d'autonomie. A cet égard,
Nous relevons notamment que la dernière
résolution du Conseil de Sécurité a
fermement réaffirmé les paramètres
incontournables pour parvenir à une
solution politique consensuelle et
réaliste. »
C'est aussi le même roi, qui une
année auparavant, déclarait sereinement
le 30 juillet 2012: « A cet effet,
le Royaume du Maroc réaffirme sa
détermination à continuer à s'investir
de bonne foi dans le processus de
négociation visant à trouver une
solution définitive au différend
régional artificiel autour du Sahara
marocain, sur la base de la proposition
marocaine d'autonomie, dont le sérieux
et la crédibilité sont reconnus par la
communauté internationale, et dans le
cadre de la souveraineté et de
l'intégrité territoriale du Maroc. »
Deux années auparavant, le 30 juillet
2010, le discours rappelait les vertus
de seule vision royale: « En tout
état de cause, le Maroc continuera à
défendre sa souveraineté, son unité
nationale et son intégrité territoriale,
avec la détermination de ne pas renoncer
au moindre pouce de son Sahara. Nous
continuerons donc à aller de l'avant
dans la mise en œuvre de la vision
ambitieuse que Nous avons définie dans
Notre dernier discours de la Marche
Verte. Ainsi, le Sahara marocain sera en
tête des bénéficiaires du processus de
régionalisation avancée. De même que
seront poursuivis sans relâche les
efforts soutenus que nous déployons en
faveur du développement solidaire de nos
provinces du Sud. Nous comptons au même
titre, procéder à une restructuration
profonde du Conseil Royal Consultatif
pour les Affaires Sahariennes
(CORCAS). »
Depuis, la régionalisation, avancée
n'a pas avancé d'un iota. Quant au
malheureux CORCAS, il est tombé dans
les oubliettes et a même été
royalement "zappé" lorsque le roi a
confié au conseil économique, social et
environnemental la mission de définir
une feuille de route pour le
développement des provinces du Sud. Les
honorables parlementaires-applaudisseurs
n'ont pas levé le petit doigt.
Une diplomatie sans vision
stratégique
En réalité, le discours du roi du 10
Octobre reconnait à demi-mot le déficit
de vision stratégique diplomatique au
Maroc et l'absence de la diplomatie
préventive. En effet, les millions de
dollars dépensés par le Palais et ses
organes, sans aucun contrôle
parlementaire, pour s'attirer la
sympathie de certains lobbies aux USA et
ailleurs, n'ont pas été très rentables.
La « taginisation » et la « mamounisation »
de la diplomatie ont permis, à titre
d'exemple, de gaspiller
30 millions de dollars pour financer
un complexe touristique dans une île des
caraïbes (Dominique) en espérant acheter
la voix de son gouvernement aux Nations
Unies.
De même, le fait de décorer l'un des
plus grands sionistes du monde, Malcolm
Honlein en espérant que l'AIPAC, le plus
grand lobby pro israélien, fasse
pression sur le Congrès et l'Exécutif
américains en faveur du Maroc, ne semble
pas mettre à l'abri l'affaire du Sahara
des turbulences qu'elle traverse et
n'efface pas les dégâts causés à l'image
du Maroc par la violence policière
quotidienne au nord comme au sud du
pays. Cette image a été encore plus
ternie par le scandale de la malheureuse
grâce royale accordée au pédophile
espagnol Daniel Galvan puis par
l'emprisonnement injuste pendant 39
jours d'un journaliste talentueux, Ali
Anouzla, directeur de publication de la
version arabe du site Lakome, en vue de
le punir d'avoir souvent brisé les
lignes rouges. Ces faits successifs
révèlent au grand jour les
dysfonctionnements d'une gouvernance
basée sur la docilité, la corruption,
l'incompétence et l'absence de
contre-pouvoir.
Il est évident que le souvenir de la
tentative de Washington, en avril 2013,
de faire voter par le conseil de
sécurité de l'ONU une résolution
élargissant le mandat de la MINURSO au
contrôle du respect des droits d'homme,
a laissé des cicatrices profondes sur la
diplomatie marocaine. Si la résolution a
été retirée in extremis, rien ne
garantit qu'en avril 2014 une résolution
similaire (ou une autre mauvaise
surprise), ne viendra pas gâcher la
fête.
Le récent
rapport du US Army War College
montre que la demande US d'étendre ce
mandat n'était pas un coup de tête
contre le Maroc mais une décision
stratégique pour la région (page 74). Le
rapport parle clairement d'« authoritarian
regimein Rabat » (page 68) et
explique les succès du Polisario par
trois facteurs : le soutien de
l'Algérie, la faiblesse de la Mauritanie
et les erreurs du Maroc. Il signale
aussi que le scepticisme des Sahraouis à
propos des intentions de Rabat est bien
fondé, et que ce n'est qu'à travers de
vraies réformes, l'autonomie et une
réduction significative de clientélisme
et de la corruption que le gouvernement
marocain a une chance de gagner une
certaine crédibilité parmi les Sahraouis
(Sahrawi skepticism about Rabat's
intentions is well grounded; only
through genuine reforms, autonomy, and a
significant reduction in clientelism and
corruption does the Moroccan government
stand a chance of gaining some
credibility among the Sahrawis.)
Les brutalités légendaires des forces
de sécurité Marocaines, qui ne rendent
compte qu'aux hommes du Palais, sont
toujours prêtes à agir comme le
footballeur qui marque contre son propre
camp.
En plus de l'attitude peu amicale des
USA, que la diplomatie marocaine
continue de qualifier d'allié
stratégique du Maroc, les derniers
développements de l'affaire sur le plan
mondial ont de quoi inquiéter Rabat,
puisque les pressions se font de plus en
plus fortes pour trouver une issue à ce
conflit qui a trop duré.
Si le Maroc s'accroche à une seule
solution, à savoir le plan d'autonomie,
le rapport Tannock voté le 22 octobre
par le parlement européen cite, dans son
paragraphe 99, le mot anglais
self-determination
(auto-détermination) à trois reprises. A
ce propos, il n'est pas inutile de
rappeler que la MINURSO veut dire
Mission des Nations Unies pour le
Référendum au Sahara Occidental.
Signalons au passage, à propos de ce
rapport, que la propagande officielle
marocaine s'en est "félicité", tout en
omettant de relever que,
selon le texte, le Parlement
européen « se dit gravement
préoccupé par le récent rapport du
rapporteur spécial des Nations unies sur
la torture », « condamne les
violations des droits de l'homme dont
sont victimes les femmes sahraouies qui
se manifestent notamment par du
harcèlement et des violences sexuelles »,
« déplore vivement que, le 6 mars
2013, le Maroc ait expulsé une
délégation de quatre députés au
Parlement européen » et
« soutient la création d'une mission
MINURSO-CICR (Comité International de la
Croix Rouge) officielle dans la zone de
Fadret Leguiaa afin de procéder à
l'exhumation et à la restitution des
dépouilles aux familles, à la suite de
la découverte de fosses communes par
l'équipe d'investigation de l'Université
du Pays basque. »
Les puissances mondiales pourraient
pousser vers une formule de
confédération ou de fédération, sans
toutefois écarter l'indépendance pure et
simple, même si elles sont convaincues
qu'un petit Etat Sahraoui est peu viable
et serait une source d'instabilité.
Quoique, le Soudan a bien perdu son sud,
l'Espagne pourrait être amputée de la
Catalogne, la Belgique est menacée
d'être coupée en deux et le Maroc
lui-même considérait la Mauritanie comme
territoire marocain et n'a reconnu son
indépendance qu'en 1969.
Mais tant que les autorités
Marocaines continuent de violer les
droits de l'homme au Sahara, comme
partout au Maroc d'ailleurs, lesquelles
violations n'ont pas cessé depuis
l'épisode d'avril 2013, la crédibilité
de la proposition marocaine s'amenuise.
En effet, autonomie ne rime pas avec
absence de vraie démocratie et avec
autoritarisme, qui demeure au cœur de la
nature intrinsèque du régime marocain.
En mai dernier, l'académicien
espagnol Bernabé López García avait
publié
une analyse pertinente sur l'échec
du Maroc au Sahara, qui n'a pas pris une
seule ride. Il met en lumière la
politique de répression, les
incohérences stratégiques de Rabat et
surtout son « incapacité au
cours des six années écoulées à faire
évoluer vers une solution le problème du
Sahara, alors qu'il constitue la plus
grande hypothèque de la monarchie et sa
maladie chronique. » Il conclut que
« loin de constituer le point final
des négociations, ce plan (d'autonomie)
peine maintenant à en constituer le
point de départ, si tant est qu'il
puisse y arriver. » En
d'autres mots, le Maroc a une cause
juste mais de mauvais avocats.
Des services de
renseignements dépassés
Le discours royal est aussi un aveu
de l'incapacité des organes sécuritaires
et de renseignements intérieurs DGST et
extérieurs DGED, à contrecarrer les
efforts du Front Polisario qui a réalisé
des percées au sein de certains
parlements nationaux (comme la Suède) et
du Parlement Européen. Le dossier Sahara
est devenu un élément qui hypothèque les
relations Morocco-Européennes comme le
montre l'évolution des accords de pêche
entre les deux parties. Or, ces organes
sont sous le strict contrôle du Palais.
Ni le gouvernement, ni les
parlementaires dont le roi a tiré les
oreilles, ne les contrôlent.
Nos services de renseignements et
diplomatiques ont-ils vraiment anticipé
les changements de l'administration US ?
L'ancienne secrétaire d'Etat, Mme
Hillary Clinton qui défendait à
Washington et New-York la vision
marocaine a été remplacée par un John
Kerry qui semble bien moins séduit par
les beaux caftans. En même temps,
d'autres positions clés US ont été
prises par des personnages moins
sensibles au discours marocain et
surtout intransigeantes lorsqu'il s'agit
des violations avérées des droits de
l'Homme, comme Susan Rice, responsable
de la sécurité nationale et Samantha
Power, ambassadrice US à l'ONU.
Ces services ont-ils assimilé les
changements majeurs de la scène
mondiale: la guerre froide est finie et
la guerre contre le terrorisme a pris
une autre tournure. Comment
élaborent-ils leurs analyses ? En
principe, ils doivent définir et mette
en œuvre des stratégies pour prémunir le
pays, sa sécurité et son unité, des
dangers et risques. Or, ils ont échoué
sur le plan interne à contenir les
aspirations séparatistes et sur le plan
externe à gagner la sympathie de
l'occident, y compris sa société civile
et ses médias. Ils ont aussi échoué à
construire une stratégie de
communication crédible et convaincante.
Ces services n'ont pas réussi à saisir
les nouvelles techniques de la
diplomatie mondiale, basée sur la
coopération continue avec les grandes
ONG internationales comme Transparency
ou RSF, et sur les canaux de coopération
avec les faiseurs d'opinion mondiale et
les grands centres de recherches
stratégiques.
A l'heure où ces derniers sont
devenus à travers le monde des
partenaires à part entière des
décideurs, de par les notes de recherche
qu'ils produisent et les débats qu'ils
animent, le Maroc se distingue par un
Institut Royal des Etudes Stratégiques
qui ne réfléchit que sur ordre du roi,
puisque son
texte de création stipule : « L'Institut
a pour mission de mener des études et
analyses stratégiques sur les questions
dont il est saisi par Notre Majesté. »
Pourquoi n'a-t-il pas tiré la
sonnette d'alarme avant que le roi ne
prononce son discours de panique ?
Le Maroc dispose-il de services de
renseignement au sens noble et moderne
du terme ? Voilà un débat absent. Par
ailleurs, la partie du site Internet du
Ministère des AE consacrée au dossier du
Sahara est loin d'être à la hauteur
d'une cause réputée être nationale.
Des parlementaires
applaudisseurs
Comme pour le dossier de l'éducation,
le palais cherche à tout prix à faire
endosser la responsabilité des ses
propres échecs aux autres acteurs. Le
roi sait très bien que dans la question
du Sahara, comme tous les autres
domaines dont le Palais monopolise la
gestion, les parlementaires sont réduits
à de simples applaudisseurs. Après
chaque discours du roi, ils se
précipitent devant les caméras pour en
saluer le caractère historique et
exceptionnel et ânonner que leurs partis
sont mobilisés derrière Sa Majesté le
Roi pour appliquer ses Hautes
directives.
Les élites politiques, dont les
députés et les partis, de par leur
"béni-oui-ouisme" et leur silence, le
populisme et l'indigence intellectuelle
de certains de leurs leaders, portent
une lourde responsabilité dans cette
tragi-comédie dont l'enjeu n'est autre
que l'unité nationale.
Bis repetitae
Ainsi, la démarche est la même : le
Palais s'accapare le monopole d'un
dossier qui engage la nation, utilise
des fonds publics colossaux sans
contrôle institutionnel, le confie à ses
proches nationaux ou ses soi-disant amis
internationaux, et impose un discours
unique. Lorsqu'il s'aperçoit qu'il y a
le feu et que son meccano est
défaillant, il cherche des boucs
émissaires. On l'a vu pour le dossier de
l'éducation où le roi a voulu faire
endosser l'échec à un gouvernement qui a
moins de deux ans.
En septembre 1981, Abderrahim Bouabid,
leader du parti USFP à l'époque, s'est
trouvé jeté en prison pour avoir osé
exprimer une divergence avec le roi
Hassan II au sujet du Sahara. Lors de
son procès, il a déclaré : « Ce
procès s'inscrira dans l'histoire. La
prison m'est plus agréable que de me
taire et de ne pas exprimer mon opinion
sur une question nationale déterminante
et sacro-sainte. »
Le 30 avril 2013, après l'épisode de
l'ONU, le site d'information Lakome a
publié un éditorial lumineux et
prémonitoire cosigné Aboubakr Jamai et
Ali Anouzla, intitulé
Le coût de l'autoritarisme. On y lit
que « seul un processus de
démocratisation crédible permettrait la
reconnaissance internationale de la
marocanité du Sahara », que si
« les défaillances tactiques n'ont pas
manqué, plus problématique et plus
lourde de conséquence est leur
incohérence stratégique. » et
aussi : « le Maroc a, depuis le
début de cette affaire, misé sur le
facteur temps pour affaiblir ses
adversaires. Aujourd'hui, ce facteur
s'est transformé en guerre d'usure en
raison de l'accumulation des erreurs. Le
temps, au lieu d'effacer ces erreurs ou
les faire oublier, ne fait qu'en
amplifier le coût. »
Ils ont eu le tort d'avoir raison.
ahmed.benseddik@gmail.com
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Publié le 1er novembre 2013
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