Opinion
L’enseignement au Maroc
victime de la mauvaise gouvernance
Ahmed Benseddik
Mardi 4 février 2014
L’immense
pouvoir du bac moins 10
Le dernier rapport de l’UNESCO sur
l’enseignement dans le monde vient nous
rappeler ce que nous savons déjà :
l’enseignement au Maroc est dans un état
catastrophique. Sur 150 pays, le Maroc
se trouve dans la catégorie de 21 pays
ayant les pires systèmes éducatifs.
C’est le résultat d’un crime contre la
Nation et son avenir.
Cette performance s’ajoute aux autres
classements de la honte que le Maroc
collectionne, dans des domaines aussi
variés que le développement humain (130ème
en 2012) ou la liberté de la presse (136ème
en 2012), et au dernier recul enregistré
dans le domaine de la perception de la
corruption (passage de la 88ème
place à la 91ème place entre
2012 et 2013) ainsi que le recul de 7
places dans le classement de
compétitivité élaboré par le World
Economic Forum.
La mauvaise gouvernance est le point
commun de ces tristes chiffres, qui sont
corroborés par les rapports relatifs au
respect des droits de l’Homme. Chacun
constitue un miroir dans lequel nous
pouvons admirer le vrai visage de notre
pays dans le concert des nations, et
voir à quel point le futur de nos
enfants est incertain.
Les médias officiels, parce qu’au
Maroc il n’y a pas de vrais médias
publics, évitent comme d’habitude ce
type de sujet. L’agence MAP et les
chaines de TV demeurent hors zone.
La qualité des responsables est parmi
les obstacles à l’amélioration du
système éducatif. En novembre dernier,
Lahcen Daoudi, ministre PJD de
l’enseignement supérieur, a avoué devant
le parlement, que « les rapports
sécuritaires jouent un rôle décisif dans
la nomination aux hauts postes à
responsabilité ». C’est ainsi qu’un
cadre particulièrement brillant mais
pas assez obséquieux vis-à-vis des
autorités, ne sera ni doyen de faculté,
ni président d’université.
Compte tenu du niveau intellectuel au
sein des appareils sécuritaires qui
élaborent ces fameux rapports, il n’est
pas étonnant qu’un mauvais bac moins 10
prive le pays entier des talents d’un
bon bac plus 10. Voilà l’une des
sordides facettes de ce crime contre la
Nation.
Circulez, il n’y a
rien à voir…
La pourriture et la corruption qui
rongent l’univers sécuritaire au Maroc
ont conduit l’été dernier à l’éclatement
d’un scandale doublé d’une tragédie
lorsqu’un policier de la petite ville de
Machraa Belksiri, a tué trois de ses
collègues. Vraisemblablement, un banal
conflit sur fond d’affectation aux
barrages policiers les plus « juteux » a
tourné au drame, la localité se trouvant
sur la route vers Ceuta et Tétouan,
connues pour le commerce de la
contrebande avec l’Espagne.
Malheureusement, lors du procès, le
juge a refusé l’expertise médicale et la
convocation de témoins. De son côté, la
DGSN (la direction générale de la sûreté
nationale) n’a pas informé l’opinion
publique des résultats de son enquête
promise. Alors que ce drame devait être
l’occasion de disséquer en toute
transparence les dysfonctionnements de
la gouvernance de cet organe important,
tout a été fait pour éviter de mettre le
doigt sur le vrai mal.
Pendant ce temps, le Chef du
Gouvernement, qui a oublié sa promesse
de lutter contre la corruption,
s’évertue à vanter les mérites des
prières rogatoires à l’onction royale,
alors que les dirigeants de l’instance
centrale de lutte contre la corruption
multiplient les missions à l’étranger et
comptent les milliers de « miles »
offerts par les compagnies aériennes.
En février 2013, le même ministre
Daoudi a eu une belle occasion pour
donner un coup de pied dans la
fourmilière de la mal gouvernance de
l’enseignement supérieur. En effet,
l’incorrigible site Lakome avait révélé,
preuves à l’appui, le scandale du
plagiat dans le mémoire de Master de
l’étudiant Khalid Fikri, obtenu en avril
2012 avec mention « très bien » à la
faculté des sciences juridiques,
économiques et sociales de Settat. Cet
étudiant particulier, puisqu’il est
garde du corps du roi, avait été,
déclaré major de sa promotion. La
cérémonie de remise des diplômes,
couverte par la télévision publique,
avait mobilisé le Wali de Settat, le
directeur des ressources humaines de la
DGSN et le directeur de l’Institut royal
de police.
Au moins 60% du mémoire élaboré par
Khalid Fikri a été « copié-collé », sans
toujours citer les sources, certaines
phrases sont même tronquées et
incomplètes. Dans un premier temps, la
faculté a promis une enquête et Daoudi
avait déclaré que « cette
enquête s’impose, nous devons rendre
compte à la société ».
Une année après, la société attend
toujours, le parlement n’attend rien, et
le ministre, incapable d’aller au bout
de sa logique, a montré qu’il a raté une
occasion de se taire.
En principe, ces scandales sont
autant d’opportunités d’évaluer les
maux, de mettre à plat la cartographie
des responsabilités en vue de prendre
les mesures correctives, de sanctionner
les auteurs des « wrongdoing » quel que
soit leur rang hiérarchique ou leur
proximité du centre du Pouvoir.
Vous avez dit
engagement ?
Les classements scandaleux
représentent des symptômes visibles des
maladies du pays et devraient servir
d’alerte aux gouvernants. D’ailleurs, le
13 février 2009, au Palais royal de Fès,
l’Etat s’était publiquement et
solennellement engagé dans ce sens, lors
de la cérémonie de présentation du Pacte
National pour l’Emergence Industrielle
2009-2015. Ce document, signé par 9
ministres, en plus de la CGEM
(Confédération Générale des Entreprises
du Maroc) et le GPBM (Groupement
Professionnel des Banques du
Maroc) comporte 111 mesures concrètes,
dont la 69ème située à la
page 52, stipule :
« L’Etat s’engage à créer dans les
meilleurs délais un comité Public-Privé,
présidé par Monsieur le Premier
Ministre. Ce comité sera chargé de :
• L’identification des besoins et le
recueil des propositions de solutions
opérationnelles ;
• La coordination et l’affectation
des chantiers ;
• La supervision de l’avancement des
chantiers et l’évaluation des résultats
;
• La mise en cohérence des projets
existants ;
• La gestion proactive des
classements internationaux ;
• La communication publique sur les
réformes prévues, entamées et réalisées
…. »
Est-ce que ce comité s’est réuni ?
Combien de fois ? Quelles
décisions et quelles mesures a-t-il
prises pour honorer l’engagement
d’assurer cette gestion proactive des
classements internationaux ?
Le même document officiel met en
évidence l’importance de l’enseignement
dans son tout premier paragraphe,
extrait du discours du roi le 30 juillet
2008 : « Aussi profonde qu’elle puisse
être, la réforme institutionnelle ne
peut aboutir que si elle est étayée par
des réformes structurelles ou
complémentaires qui devraient nous
permettre de renforcer nos atouts
économiques et sociaux, en donnant une
nouvelle impulsion aux secteurs clés,
notamment ceux de l’enseignement, de
l’agriculture, de l’énergie, de l’eau,
et du développement industriel »
Responsabilité
Aujourd’hui, la claque bien
méritée que nous donne le rapport de
l’UNESCO concerne ce premier secteur
clé, et qui est LA clé des autres
secteurs. Il a toujours été géré
directement ou indirectement par les
hommes du Palais royal, qu’ils soient
ministres comme Ahmed Akhchichène ou
Rachid Belmokhtar, ou conseillers du roi
qui président le Conseil Supérieur de
l’Enseignement, comme Feu Abdelaziz
Meziane Belfqih ou actuellement Omar
Azziman. Par conséquent, c’est le Palais
qui endosse la plus grande
responsabilité dans l’état calamiteux où
se trouve notre système éducatif.
Or, aussi bien le roi que ses
conseillers et ses ministres
technocrates échappent à la règle de
base de la bonne gouvernance et de la
démocratie, à savoir la reddition des
comptes. L’acte qui consiste à rendre
des comptes suppose que le
responsable politique se soumet
périodiquement au jugement de ceux qui
lui ont conféré la légitimité du
Pouvoir.
Cet exercice est plus délicat
lorsque l’on tire sa légitimité d’un
auguste spermatozoïde.
ahmed.benseddik@gmail.com
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