Opinion
De l’honnêteté intellectuelle chez
certains islamophobes
Ahmed Bensaada
Mercredi 8 avril 2015
C’est en ces termes
qu’un lecteur a réagi à mon
récent article sur Pegida – Québec.
L’utilisation des majuscules et des
points d’exclamation révélant une
évidente colère, je l’imagine en train
de postillonner, tapant nerveusement sur
son clavier avec un doigt tout en
maintenant (inutilement) enfoncée la
touche « caps lock » avec l’autre.
Cette admonition
était accompagnée d’un hyperlien
pointant vers un
article écrit par Djemila Benhabib,
publié le 30 mars 2015 sur le site
québécois « Vigile.net ».
C’était sans doute
pour me contredire car j’avais avancé
dans mon article que la madame « À
contre-Coran » ne s’était pas prononcée
sur Pegida. Mais comme mon article avait
été rédigé et envoyé pour publication le
29 mars, je n’ai malheureusement pas pu
lire le sien à temps. Je dis bien
« malheureusement » car ce papier aurait
pu enrichir mon article tant il contient
de faussetés et de formules
dégoulinantes de dédain. Sans parler de
ce ton suffisant de celle qui a tout
compris et tout analysé (en quatre
points!) afin de diriger adéquatement
l’action de ses « ouailles » jusqu’à la
victoire finale contre le « péril vert »
qui menace le Québec.
Commençons tout
d’abord par le site où a été publié
l’article de madame Benhabib et qui y
tient d’ailleurs tribune officielle. Se
définissant comme souverainiste,
c’est-à-dire en faveur de l’indépendance
du Québec, il est par essence proche du
Parti Québécois (PQ). C’est ce parti
qui, lors des dernières élections
provinciales, a déposé une
Charte des valeurs québécoises qui
voulait, entre autres, interdire les
signes religieux dans la fonction
publique. Mais, comme en France et dans
certains pays européens, cette mesure
était clairement dirigée contre la
communauté musulmane, même si elle était
enveloppée dans le beau papier de la
laïcité et de la neutralité de l’État.
D’autre part, c’est
pour ce parti que madame Benhabib a été
candidate lors des deux derniers
rendez-vous électoraux.
Elle a été battue dans la première
élection malgré son parachutage dans la
ville de Trois-Rivières et des sondages
dithyrambiques.
« J'avais
pris un engagement de m'installer à
Trois-Rivières et je m'y installerai
» avait-elle déclaré à l’annonce de
sa défaite. Cela ne l’avait pas empêchée
de se présenter dans la circonscription
des Mille-Îles, dix-huit mois plus tard,
lors des élections d’avril 2014. Comme
quoi, les promesses de certains
politiciens ne valent rien contre
l’attrait du pouvoir.
La Charte et le
programme du PQ ont été balayés par un
raz-de-marée électoral qui a
emporté avec lui Djemila Benhabib et
d’autres candidats qui avaient les
musulmans dans le collimateur.
Pour revenir au
site « Vigile.net », disons qu’il ne
porte pas les minorités ethniques dans
son cœur, c’est le moins qu’on puisse
dire. Notons, par exemple, qu’il
a été poursuivi en 2014 par une
étudiante musulmane voilée l’accusant de
diffamation. En 2011, ce même site
a été accusé d’antisémitisme par le
Comité Canada-Israël. On apprend aussi
dans
un article consacré à ce dossier,
que Bernard Drainville, le « père » de
la Charte des valeurs, finançait ce site
de concert avec de nombreuses grosses
pointures (et anciens ministres) du PQ.
Le site publie des
textes anti-islam aux titres explicites
comme « Islam
et islamisme : même combat ! » et
d’autres faisant « l’apologie
de Marine Le Pen et du Front National
».
D’après
certains observateurs, Djemila
Benhabib ne serait qu’une version
québécoise de Caroline Fourest, figure
de la lutte contre « l’islamisation de
l’Occident », bien connue dans
l’Hexagone. D’ailleurs l’islamophobe
française
ne tarit pas d’éloges à l’égard de
son sosie idéologique algéro-québécoise
et ne se prive pas de
gazouiller avec elle lorsque
l’occasion se présente ou de participer
avec elle à des
colloques: les « grands » esprits se
rencontrent toujours, n’est-ce pas ?
Mais revenons à
l’article dont la lecture m’a été
suggérée par mon lecteur fâché. Tout
d’abord, on y voit en guise
d’illustration principale une femme en
niqab noir montrant, sur fond de drapeau
allemand, une pancarte sur laquelle on
peut lire : « Unsere Zukunft? Nein danke !
» (« Notre avenir ? Non, merci »).
Quoi ? Une manifestante « niqabée »
brandissant une pancarte rédigée en
allemand dans la manifestation anti-Pegida
du « Petit Maghreb » ? Ayant été sur
place lors de cette manifestation, j’ai
vu des femmes portant le hijab, mais
aucun niqab en vue. Encore moins des
slogans ou des drapeaux allemands. Une
petite recherche sur Internet allait
s’avérer fructueuse : il s’agissait
d’une photo prise lors d’une
manifestation organisée le… 2 mars
dernier à Dresde (Allemagne) ! Et,
comble de la malhonnêteté, la photo
« décorant » l’article de madame
Benhabib n’était accompagnée d’aucune
légende explicative : l’exemple parfait
d’un mensonge par omission.
La "décoration" de
l'article de Djemila Benhabib sur la
manifestation montréalaise anti-Pégida:
une photo prise le 2 mars 2015 à Dresde
(Allemagne)!
Et ce n’est pas la
seule escroquerie que contient le texte.
En effet, dans le chapeau de l’article,
notre auteure mentionne que « la
manifestation a été tuée dans l’œuf…par
les Québécois eux-mêmes qui ont tout
simplement boudé l’initiative ».
Rien de plus faux.
Certes, la majorité
des Québécois s'est désolidarisée de
cette première sortie publique de Pegida
– Québec, mais les membres de cette
association xénophobe n’ont annulé leur
manifestation qu’à cause de la grande
mobilisation de certains groupes
antifascistes et antiracistes. Ceux-là
même que madame Benhabib appelle, non
sans un zeste de mépris, « des
groupuscules d’extrême gauche qui
brandissaient avec nostalgie le drapeau
de l’ère soviétique et l’étendard
anarchiste ».
http://ici.radio-canada.ca/widgets/mediaconsole/medianet/7265275/?seektime=undefined
Écoutez le
reportage de Radio-Canada qui contredit
les dires de Djemila Benhabib sur les
raisons de l'annulation de la
manifestation Pegida - Québec
Extrême
gauche ?
Madame Benhabib
a-t-elle oublié qu’elle a été élevée
dans une respectable famille communiste
militante ? Son père n’était-il pas un
membre du Parti de l’avant-garde
socialiste algérien (PAGS) ? Et
qu’elle-même
reconnait avoir milité dans ce
parti ?
D’ailleurs, la
menace de mort émanant des islamistes
algériens visant son père n’était
motivée que par son appartenance au PAGS
et non par d’autres raisons qu’elle aime
bien enjoliver.
Drapeau de
l’ère soviétique ?
Les drapeaux « de
l’ère soviétique » présents lors de la
manifestation étaient ceux, rouges et
arborant faucille et marteau, du Parti
Communiste Révolutionnaire.
Les mêmes
« faucille et marteau » sous l’ombre
desquels est née madame Benhabib pendant
« l’ère soviétique », en Ukraine.
Les mêmes
« faucille et marteau » qui ont permis à
ses parents d’étudier en ex-Union
soviétique et d’obtenir des diplômes
leur ouvrant les portes de l’université
d’Oran (Algérie) ainsi que d’enviables
positions susceptibles d’offrir une vie
décente à leurs enfants.
Madame Benhabib a
la particularité de faire table rase de
tout ce qu’elle a connu dans le passé :
le communisme, l’ère soviétique,
l’Algérie, l’islam, voire son arabité
même partielle…
Il est vrai que
c’est le rêve américain qui a commencé
pour elle au Canada. L’eau a coulé sous
les ponts et la nostalgie
est un mot qui ne fait plus partie de
son vocabulaire. Ce qui l’intéresse
c’est plutôt son inextinguible désir de
grimper aux plus hautes sphères de
l’État, quitte à piétiner une montagne
de hijabs.
Quitte à nuire
gratuitement aux musulmans du Québec, à
essuyer ses pieds sur leurs rêves dorés,
à annihiler leurs désirs d’émancipation
et à briser leurs ailes avec lesquelles
ils peuvent s’extirper de leur éternel
statut d’immigrant.
Quitte à entendre
des gens, « dopés » par son discours
haineux et ceux de ses porte-voix, se
féliciter de la mort d’un être humain « étranglé
par son hijab ».
Quitte à voir le
spectacle de cette dame voilée,
invectivée puis brutalement et
publiquement agressée par une
personne qui s’en est pris à elle à
cause de son hijab.
Quitte à
participer, même indirectement, à
l’éclosion de mouvements racistes,
fascistes et xénophobes tels que Pegida…
Absente lors de la
manifestation anti-Pegida, la
pourfendeuse de hijabs n’a évidemment
pas pu se rendre compte de la présence
des nombreux manifestants issus de la
communauté maghrébine et ne l’a donc pas
mentionnée dans son article. Ce qui ne
pouvait que faire son affaire, bien sûr.
Mais son absence ne l’a pas empêchée
d’user de son pédantisme légendaire pour
« analyser », les relations entre
l’extrême-gauche et l’extrême droite,
oubliant volontairement qu’elle et ses
idées appartiennent à cette seconde
mouvance politique. Elle aura ainsi
bouclé la boucle, de gauche à droite.
Adopter le point de
vue de Sirius aplanit certes les
détails, mais ne masque jamais la
vérité. Pourrais-je scander, à mon tour,
« Mensonges ! Honte à vous ! » ?
Reçu de l'auteur
Cet
article a été publié par le
quotidien algérien
Reporters
et sur:
http://www.ahmedbensaada.com/...
Le sommaire d'Ahmed Bensaada
Les dernières mises à jour
|