Opinion
États-Unis : « Autant en apporte le
vent ! »
Ahmed Bensaada
Vendredi 1er septembre 2017
Qui ne se souvient
pas du célèbre roman de Margaret
Mitchell « Autant en emporte le vent
» ("Gone with the wind", 1936),
porté à l’écran en 1939 par Victor
Fleming et magistralement interprété par
Vivien Leigh et Clark Gable ? Esthétiquement
admirable, cette œuvre relate, sur fond
de guerre de Sécession, l’écroulement
d’un mode vie et des « valeurs » prônées
par un Sud blanc, raciste et
esclavagiste.
Un monde qu’on
croyait à tout jamais emporté par le
vent du changement, laminé de concert
avec les États confédérés puis, ensuite,
balayé par un Mouvement des droits
civiques guidé par un illustre pasteur
scandant : « I have a dream ! ».
Mais les récents
évènements survenus à Charlottesville
ont révélé que ce monde n’était pas
encore totalement enterré. Un vent du
sud souffle sur Washington, charriant
avec lui des relents pestilentiels,
surtout depuis qu’un certain Donald
Trump s’est attablé au bureau ovale.
Lors d’une
manifestation d’extrême-droite organisée
dans cette ville de Virginie (un état
confédéré !), la violence a éclaté entre
des suprémacistes blancs, des néonazis
et des membres du Ku Klux Klan (KKK)
d’un côté et, de l’autre, des militants
antiracistes qui avaient organisé une
contre-manifestation.
La brutalité a
atteint son paroxysme lorsqu’un néonazi,
membre d’un groupe de suprémacistes
blancs, a délibérément foncé avec sa
voiture sur les contre-manifestants
causant la mort d’une manifestante
antiraciste.
Cette tragédie a eu
pour effet de lever le voile sur
l’existence, aux États-Unis, d’une
multitude de groupes d’extrême-droite
qui prône la haine et l’intolérance[i].
D’autre part, une étude montre que leur
nombre est en nette progression depuis
le début du nouveau millénaire,
exception faite d’une brève chute entre
2012 et 2014. Après l’élection de Trump,
la hausse a repris de plus belle[ii].
Réagissant à ce
violent attentat, l’actuel locataire de
la Maison-Blanche a, comme de coutume,
gazouillé sur la toile. Dans son tweet,
on pouvait lire :
« Nous devons
TOUS nous unir et condamner tout ce qui
représente la haine. Il n'y a pas de
place en Amérique pour ce type de
violences. »[iii]
La réponse du camp
de la haine ne s’est pas fait attendre.
Elle s’est exprimée par un tweet de
David Duke, un ancien dirigeant du KKK :
« Je vous
suggère de regarder dans le miroir et de
vous souvenir que ce sont les Américains
blancs qui vous ont porté à la
présidence, pas des radicaux de gauche.
»[iv]
Quelques jours plus
tard, Trump se ravisa et fit une
nouvelle déclaration en rejetant la
responsabilité de la violence sur les
deux camps :
« J'ai condamné
les néo-nazis. Mais tous les gens qui
étaient là-bas n'étaient pas des
néo-nazis ou des suprémacistes blancs,
loin s'en faut. Il y avait des gens très
bien des deux côtés. »[v]
Ce qui attisa la
joie de David Duke[vi]
et l’ire d’une large frange de la
classe politique[vii].
Cette réaction de
Donald Trump n’était pourtant pas
étonnante si l’on considère la nature de
sa base électorale[viii],
ses relations avec l’extrême-droite[ix]
ainsi que celles de son père avec le KKK[x].
Le sénateur John
McCain fait partie de ceux qui n’ont pas
apprécié la déclaration du président
américain.
« Il n’y a pas
d’équivalence morale entre les racistes
et les Américains se battant contre la
haine et le sectarisme. C’est ce que le
président des États-Unis devrait dire.
»[xi]
Il est évident que
le sénateur de l’Arizona n’apprécie pas
les néonazis qui perturbent la
tranquillité des citoyens américains et
qui écrasent les jeunes filles avec
leurs autos. Mais alors que faisait-il
en Ukraine lors de l’Euromaïdan ?
N’avait-il pas aidé des néonazis
ukrainiens à commettre des assassinats,
à perpétrer un coup d’état contre un
président élu et à prendre le pouvoir[xii]
?
Le président Obama
a, quant à lui, rédigé un tweet qui est
passé à la postérité en reprenant une
citation de Nelson Mandela. Vrai signe
des temps, ce gazouillis est devenu le
plus « liké » de toute l’histoire[xiii].
Mais au fait, Obama
n’était-il pas président des États-Unis
lors de l’Euromaïdan ?
Et ce n’était pas
sa sous-secrétaire d'État pour l'Europe
et l'Eurasie, Victoria Nuland, qui
distribuait des biscuits aux « gentils »
émeutiers néonazis ukrainiens[xiv],
appelant les leaders de l’Euromaïdan par
leurs petits noms tout en utilisant un
langage châtié en parlant des alliés
européens : « Fuck the UE ! »[xv].
Mais tant qu’ils
font du grabuge dans des pays autres que
celui de l’Oncle Sam, les néonazis sont
sympathiques, n’est-ce pas ?
Il faut reconnaître
que la connivence entre l’administration
américaine et les nazis ukrainiens et
leur utilisation dans des objectifs
géostratégiques servant les intérêts des
États-Unis ne date pas de l’Euromaïdan,
loin s’en faut.
Durant la seconde
guerre mondiale, les nationaliste
ukrainiens de l’OUN-B (OUN :
Organization of Ukrainian Nationalists)
ainsi que leur leader, Stepan Bandera,
ont collaboré de manière active avec
l’Allemagne nazie[xvi].
Ce sont ces nationalistes qui ont été
impliqués dans le massacre et la torture
inhumaine de milliers de Juifs, en
particulier dans la ville de Lviv[xvii].
Après la fin de la
guerre, les services secrets américains
ont recruté de nombreux nazis, fascistes
et criminels de guerre pour combattre
l’URSS[xviii].
Certains d’entre eux ont été accueillis
aux États-Unis et y ont vécu[xix],[xx].
Parmi eux, citons Mykola Lebed, un
proche collaborateur de Bandera, qui a
été recruté et financé par la CIA.
Installé à New York, il n’a jamais été
inquiété et ses crimes de guerre ont été
passés sous silence. Pour la petite
histoire, ce « charmant » personnage
était qualifié de « sadique bien
connu et collaborateur allemand »
dans un rapport de l’armée américaine[xxi]
de l’époque.
Un autre exemple
édifiant est celui de Yaroslav Stetsko,
le numéro deux de l’OUN-B et un des
responsables du massacre antisémite de
Lviv. Le 19 juillet 1983, ce notoire
criminel nazi a été reçu en grande pompe
à la Maison-Blanche par le président
Reagan qui lui dit : « Votre lutte
est notre lutte. Votre rêve est notre
rêve »[xxii].
Les États-Unis ne
se sont donc jamais offusqués du
nazisme, du fascisme ou du racisme pour
autant qu’ils servent leurs intérêts. La
seule différence, comme le note si bien
un journal français, est que « sous
Trump, l’Amérique raciste défile et
défie à visage découvert »[xxiii].
De quoi faire rêver
les suprémacistes blancs américains à un
remake du film de Victor Fleming. Mais
avec un nouveau titre : « Autant en
apporte le vent » !
Références
[i] Emilie Tôn,
Néonazis, groupes anti-musulmans, KKK...
État des lieux de la haine aux
États-Unis, L’Express, 16 août 2017,
http://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique-nord/neonazis-groupes-anti-musulmans-kkk-etat-des-lieux-de-la-haine-aux-etats-unis_1935646.html
[ii] SPL Center,
« Hate groups »,
https://www.splcenter.org/hate-map#.WZBNE3fQl44.facebook
[iii] Le Figaro,
« Violences à Charlottesville : la
polémique racontée en quatre épisodes »,
16 août 2017,
http://www.lefigaro.fr/international/2017/08/16/01003-20170816ARTFIG00075-violences-a-charlottesville-la-polemique-racontee-en-quatre-episodes.php
[iv]Valérie de
Graffenried, « Le Ku Klux Klan n’est pas
mort, Charlottesville vient de le
prouver », Le Temps, 14 août 2017,
https://www.letemps.ch/monde/2017/08/14/ku-klux-klan-nest-mort-charlottesville-vient-prouver
[v]L’Express,
« Extrême droite: Trump minimise ses
critiques et plonge dans la crise », 16
août 2017,
http://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique-nord/charlottesville-selon-trump-il-y-avait-des-gens-tres-bien-des-deux-cotes_1935493.html
[vi]Libération,
« Charlottesville : un ancien leader du
Ku Klux Klan salue le «courage» de Trump
pour avoir dénoncé «les terroristes de
gauche »,16 août 2017,
http://www.liberation.fr/direct/element/charlottesville-un-ancien-leader-du-ku-klux-klan-salue-le-courage-de-trump-pour-avoir-denonce-les-te_69139/
[vii]Jérôme
Cartillier, « Trump dans la tourmente
après ses propos sur Charlottesville »,
Le Devoir, 17 août 2017,
http://www.ledevoir.com/international/etats-unis/505816/trump-dans-la-tourmente-apres-ses-propos-sur-charlottesville
[viii] L’Obs, « Ku
Klux Klan, néonazis... : les soutiens
gênants de Trump », 9 août 2017,
http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20160809.OBS6053/ku-klux-klan-neonazis-les-soutiens-genants-de-trump.html
[ix] Ben
Mathis-Lilley, « Depuis des années,
Trump fait la promotion des
suprémacistes blancs », Slate, 15 août
2017,
http://www.slate.fr/story/149931/trump-charlottesville-supremacistes-blancs
[x] Ben Kentish,
« Donald Trump's father was arrested at
a Ku Klux Klan rally, reports suggest »,
The Independent, 3 mars 2017,
http://www.independent.co.uk/news/world/americas/us-politics/donald-trump-father-kkk-ku-klux-klan-rally-arrest-report-suggestions-a7607556.html
[xi] Saheli Roy
Choudhury, « John McCain: 'No moral
equivalency between racists and
Americans standing up to defy hate' »,
CNBC, 15 août 2017,
https://www.cnbc.com/2017/08/15/sen-john-mccain-criticized-trumps-response-to-white-national-rally.html
[xii] Ahmed
Bensaada, « Ukraine : autopsie d’un coup
d’état », Reporters, 10 mars 2014,
http://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=257:ukraine-autopsie-dun-coup-detat&catid=48:orientoccident&Itemid=120
[xiii] L’Express,
« Le tweet d'Obama sur Charlottesville
devient le plus aimé de toute
l'histoire », 17 août 2017,
http://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique-nord/le-tweet-d-obama-sur-charlottesville-devient-le-plus-aime-de-toute-l-histoire_1935573.html
[xiv] Asia Times,
« Ukraine: Euromaidan’s godmother
engages Kremlin grey cardinal », 18
janvier 2016,
http://www.atimes.com/article/ukraine-euromaidans-godmother-engages-kremlin-grey-cardinal/
[xv] BBC, « Ukraine
crisis: Transcript of leaked
Nuland-Pyatt call », 7 février 2014,
http://www.bbc.com/news/world-europe-26079957
[xvi] Arielle
Thedrel, « Lviv, confins d'Europe en
quête d'avenir », Le Figaro, 21 octobre
2009,
http://www.lefigaro.fr/international/2009/10/22/01003-20091022ARTFIG00006-lviv-confins-d-europe-en-quete-d-avenir-.php
[xvii] OUN-B Live
Journal, « The Lvov pogrom of 1941 », 27
juillet 2012,
http://oun-b.livejournal.com/14552.html
[xviii] Konrad
Kreft and Clara Weiss, « Nationalism and
fascism in Ukraine: A historical
overview », WSWS, 10 juin 2014,
https://www.wsws.org/en/articles/2014/06/10/fasc-j10.html
[xix] Paul H.
Rosenberg, « Seven Decades of Nazi
Collaboration: America’s Dirty Little
Ukraine Secret », FPIF, 18 mars 2014,
http://fpif.org/seven-decades-nazi-collaboration-americas-dirty-little-ukraine-secret/
[xx] Wayne Madsen,
« America’s longtime support for
Ukrainian fascists », Strategic Culture,
10 juin 2015,
https://www.strategic-culture.org/news/2015/06/10/america-longtime-support-for-ukrainian-fascists.html
[xxi] Voir réf. 18
[xxii] Russ Bellant,
« Old Nazis, the New Right and the
Republican Party », South End Press,
Boston, 1991, p. 72
[xxiii] Laurence
Mariaucourt, « Sous Trump, l’Amérique
raciste défile et défie à visage
découvert », L’Humanité, 13 août 2017,
https://www.humanite.fr/sous-trump-lamerique-raciste-defile-et-defie-visage-decouvert-640366
Cet article a été
publié dans le numéro de septembre 2017
de la revue Afrique
Asie (pp. 70-71)
Nous venons
d'apprendre la déprogrammation du film
"Autant en emporte le vent" dans un
cinéma de Memphis (Tennessee)
Lire l'article: "Gone
with the Wind déprogrammé à Memphis"
Le
dossier Monde
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