Iran
Iran : la saison des attentats
terroristes est ouverte
Ahmed Bensaada
Danse
kurde en Iran: "chalouar" et large
ceinture de tissu
Samedi 1er juillet 2017
Lovée dans une des innombrables vallées
bucoliques de la chaîne des Monts
Zagros, la ville de Paveh est située
dans la province de Kermanshah. Cette
région de l’extrême ouest de l’Iran,
limitrophe de l’Irak, est
majoritairement peuplée par des Kurdes
sunnites, arborant fièrement le « chalouar »
et la large ceinture en tissu. Sise à
une trentaine de kilomètres de la
frontière irano-irakienne, Paveh
n’aurait pu garder que le charme
champêtre de son paysage et celui de ses
routes sinueuses qui bordent les vergers
d’arbres fruitiers si ce n’était sa
position géostratégique, les intentions
belliqueuses des pays voisins et
l’instrumentalisation des minorités
ethniques de l’Iran.
Déjà, en 1979, Paveh a été l’épicentre
de la rébellion kurde à la suite de la
chute du Chah et de la proclamation de
la République islamique d’Iran[1].
C’est dans cette même région que, durant
la guerre Iran-Irak, les opposants
iraniens de l’Organisation des
moudjahidines du peuple iranien (Mujaheddin-e-Khalq, MeK),
mouvement militaire armé par les
autorités irakiennes ont essayé
d’envahir l’Iran en marchant vers
Kermanshah. Ils furent écrasés par
l’armée iranienne[2].
Le 7 juin dernier,
Téhéran fut frappé par un double
attentat terroriste sanglant qui fit 17
morts et des dizaines de blessés. Selon
des sources officielles, quatre des cinq
terroristes étaient Iraniens, d’origine
kurde[3].
Parmi eux, certains étaient originaires
de Paveh[4][5],
dont Serias Sadeghi, un individu connu
des services de sécurité iranienne et
considéré comme un notoire recruteur
pour Daech dans le Kurdistan iranien[6].
Certaines sources ont d’autre part
mentionné que ces terroristes étaient
impliqués par le passé dans des attaques
contre des salons de beauté féminins
dans la région de Paveh, jugés
contraires à la moralité[7].
De passage en
Norvège, le chef de la diplomatie
iranienne, M. Javad Zarif, a accusé
l’Arabie saoudite d’être derrière ces
attentats et d’autres qui ont touché la
frontière Est du pays, fin avril
dernier. « Nous avons des
renseignements montrant que l'Arabie
saoudite est activement engagée dans la
promotion de groupes terroristes opérant
dans l'Est de l'Iran » a-t-il
déclaré tout en ajoutant « Dans
l'Ouest, des activités du même type sont
menées, là aussi en abusant de
l'hospitalité diplomatique de nos autres
voisins »[8].
Il faut dire les
Saoudiens, gonflés par l’indécent
soutien du président Trump, ne se sont
pas gênés de proférer des menaces à
peine voilées contre l’Iran. En effet,
quelques semaines avant l’attentat
meurtrier, Mohammed Ben Salmane, le
vice-prince héritier du royaume saoudien
(il est récemment devenu le prince
héritier), fit la déclaration suivante :
« Nous n’attendrons pas que la bataille
soit menée en Arabie saoudite. Au
contraire, nous ferons en sorte qu’ils
aient à mener bataille en Iran »[9].
À peine quelques
heures avant les attaques terroristes,
le ministre saoudien des affaires
étrangères, Adel Jubeir, avait de son
côté déclaré que l'Iran devait être puni
pour son ingérence dans la région et le
soutien d'organisations terroristes[10].
Cette poussée de
témérité tartarinesque des Al Saoud a,
comme par hasard, éclos juste après la
visite du président Trump qui leur a
réservé rien de moins que son premier
voyage à l’étranger, une première dans
l’histoire des États-Unis.
Reçu royalement
avec cavalerie, danse du sabre et
grotesque collier en or, le président
américain a traîné sa mèche rebelle dans
les palais saoudiens, promené Mélania et
Ivanka cheveux dans le vent[11]
et, évidemment, signé des contrats
astronomiques, dont 110 milliards de
dollars en vente d’armes pour contrer
les « menaces iraniennes » (sic !)[12].
Un moyen comme un autre pour estomper
les visées de la loi « JASTA » (Justice against
Sponsors of Terrorism Act), votée sous
la présidence Obama et qui ciblait tout
particulièrement le royaume wahhabite[13].
Trump ne retourna
cependant vers sa tour manhattanienne
qu’après avoir réuni le « monde
musulman » sur, selon son expression, « cette
terre sacrée où se trouvent les lieux
saints de l’islam »[14].
Oubliés ses propos islamophobes[15],
son « muslim ban »[16],
sans parler de son projet de « fichier
musulman »[17].
Trump a profité de l’occasion pour
réchauffer le concept « bushien » de « bataille
entre le bien et le mal » et appelé
les dirigeants musulmans à « combattre
l’extrémisme islamiste »[18].
Le président Trump et le roi Salman
n’ont pas raté l’occasion pour pointer
du doigt l’Iran, leur ennemi commun. Le
premier l’a accusé de « soutenir le
terrorisme » et le second l’a
qualifié de « fer de lance du
terrorisme mondial »[19].
Ils ont juste oublié de préciser que
leurs pays respectifs font partie du
club des plus grands sponsors du
terrorisme djihadiste mondial.
En ce qui concerne
le monde musulman, il faut reconnaître
une certaine continuité entre Trump et
son prédécesseur, Obama. Ce dernier
avait débuté son premier mandat en
adressant au monde musulman son pompeux
« discours du Caire »[20].
Nous connaissons malheureusement le
résultat de son sermon démagogique, le
mal nommé « printemps arabe » étant là
pour nous le rappeler quotidiennement.
La seule différence, certainement pas
anodine, réside dans le choix du lieu.
Obama a choisi la terre de la Confrérie
des Frères musulmans alors que Trump a
préféré celle du Wahhabisme.
La politique
étasunienne n’a décidément que des
effets néfastes sur le monde arabe et
ses institutions. L’action d’Obama a
achevé ce qui restait de la « Ligue
arabe », celle de Trump vient de
provoquer une gigantesque lézarde dans
les fondations du CGG (Conseil de
coopération du Golfe).
En effet, la visite
de Trump en « terre sainte de l’islam »
a eu une autre conséquence. En plus de
l’attaque en règle contre l’Iran, le
royaume saoudien a unilatéralement coupé
ses relations diplomatiques avec son
voisin le Qatar, en raison de son
« soutien au terrorisme »[21].
Heureusement que le ridicule ne tue pas.
Pièce
« shakespearienne » comme l’a qualifiée
le journaliste britannique Robert Fisk [22]?
Pantalonnade ou bouffonnerie royale,
seraient des termes plus appropriés. Non
pas parce que le Qatar ne soutient pas
le terrorisme djihadiste (une réalité
connue depuis des lustres et que
viennent de découvrir les « fins
limiers » saoudiens !), mais parce que
l’Arabie saoudite et les États-Unis font
pire !
La vraie raison est
à chercher ailleurs : le rapprochement
stratégique entre Doha et Téhéran qui
défie les desiderata de l’administration
Trump et ceux de ses affidés saoudiens.
D’ailleurs, puisqu’on est si sûr que le
Qatar fricote avec le terrorisme
islamiste, pourquoi aucun des pays
occidentaux – si sensibles à ce sujet !
– n’a sévi contre ce pays ?
Après le terrorisme
scientifique qui a coûté la vie aux
savants iraniens[23],
le terrorisme informatique qui a ciblé
leur programme nucléaire[24],
une nouvelle saison d’attentats
terroristes, injustes et déraisonnables,
vient d’être ouverte sur le territoire
iranien par les États-Unis et ses
vassaux saoudiens.
L’instrumentalisation de la jeunesse[25]
(comme lors des élections
présidentielles de 2009), l’exacerbation
des tensions ethniques, l’exploitation
de conflits religieux ou linguistiques
seront les moyens de choix pour tenter
de déstabiliser ce pays.
Pourtant, il aurait
fallu déambuler sur l'avenue « Vali-e-Asr
», à Téhéran, les soirées précédant la
récente élection présidentielle pour
voir cette foule dense et joyeuse, cette
belle jeunesse iranienne, scandant des
slogans et distribuant des tracts en
faveur de leurs candidats, pour
comprendre leur soif de paix et de
bonheur.
Pourtant, il aurait
suffi de sillonner les routes
pittoresques de Paveh et de sa région,
admirer ses merveilleux paysages
vallonnés, s’émerveiller devant cette
nature généreuse et féconde, contempler
ces beaux villages qui apparaissent au
gré d’un virage pour comprendre la
fierté de ces homme vêtus de « chalouars »
et de larges ceinture en tissu, et
saisir leur attachement profond non
seulement à leur terroir mais aussi à la
quiétude d’une vie paisible et sereine.
[1] BBC, « 1979: Kurdish revolt
grows in Iran », 23 août 1979,
http://news.bbc.co.uk/onthisday/hi/dates/stories/august/23/newsid_2535000/2535165.stm
[2]Wikipedia, « Operation Mersad »,
https://en.wikipedia.org/wiki/Operation_Mersad
[3] Louis Imbert, « Iran : après les
attentats, les réseaux djihadistes
kurdes dans la ligne de mire de
Téhéran », Le Monde, 14 juin 2017,
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2017/06/14/iran-apres-les-attentats-les-reseaux-djihadistes-kurdes-dans-la-ligne-de-mire-de-teheran_5144003_3218.html
[4] Thomas Erdbrink, « Iran Kurds
Are Implicated in Terrorist Attacks in
Tehran », The New York Times, 9 juin
2017,
https://www.nytimes.com/2017/06/09/world/middleeast/iran-attack-isis-terrorism.html?_r=0
[6] Ara Bendix, «Iranian Kurds
Likely Responsible for ISIS Attacks in
Tehran», The Atlantic, 10 juin 2017,
https://www.theatlantic.com/news/archive/2017/06/iranian-kurds-likely-responsible-for-isis-attacks-in-tehran/529917/
[7] Voir référence 3
[8] AFP, « Golfe :
l'Iran propose un mécanisme de paix et
accuse Ryad», Romandie, 13 juin
2017,
https://www.romandie.com/news/Golfe-l-Iran-propose-un-mecanisme-de-paix-et-accuse-Ryad/804927.rom
[9] Louis Imbert, « L’Iran se sent
acculé par l’agressivité des États-Unis
et de l’Arabie saoudite », Le Monde, 8
juin 2017,
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2017/06/08/l-iran-se-sent-accule-par-l-agressivite-des-etats-unis-et-de-l-arabie-saoudite_5140535_3218.html
[10] Al Arabiya English, « Saudi FM:
Iran must be punished for its
interference in the region », 6 juin
2017,
http://english.alarabiya.net/en/News/gulf/2017/06/06/Saudi-FM-Qatar-must-change-its-policies.html
[11] Huffington Post, « Melania et
Ivanka Trump sans voile en Arabie
saoudite... comme Michelle Obama que
Donald Trump jugeait "insultante"», 20
mai 2017,
http://www.huffingtonpost.fr/2017/05/20/melania-et-ivanka-trump-sans-voile-en-arabie-saoudite-comme-m_a_22100587/
[12] AFP, «Accueil royal et
méga-contrats pour Trump en Arabie
saoudite», La Libre, 20 mai 2017,
http://www.lalibre.be/actu/international/accueil-royal-et-mega-contrats-pour-trump-en-arabie-saoudite-59206d94cd70022542ef4e34
[13] Le Monde, « Loi « Jasta » :
vent de tempête entre Riyad et
Washington », 30 septembre 2016,
http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/09/30/loi-jasta-vent-de-tempete-entre-riyad-et-washington_5006066_3232.html
[14] AFP, « A Ryad, Trump appelle
les musulmans à lutter contre
l’extrémisme », Libération, 21 mai 2017,
http://www.liberation.fr/planete/2017/05/21/a-ryad-trump-appelle-les-musulmans-a-lutter-contre-l-extremisme_1571104
[15]7 sur 7, « Les propos
antimusulmans de Trump, le rêve de
l'EI », 8 novembre 2016,
http://www.7sur7.be/7s7/fr/14716/Presidentielles-USA/article/detail/2966989/2016/11/08/Les-propos-antimusulmans-de-Trump-le-reve-de-l-EI.dhtml
[16] Elodie Hervé, « Muslim Ban": ce
qu'il faut savoir du décret
anti-immigration de Trump », BFMTV, 30
janvier 2017,
http://www.bfmtv.com/international/muslim-ban-ce-qu-il-faut-savoir-du-decret-anti-immigration-de-trump-1092935.html
[17] Le Figaro, « USA : Trump
suggère de ficher les musulmans », 20
novembre 2015,
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2015/11/20/97001-20151120FILWWW00396-usatrump-suggere-de-ficher-les-musulmans.php
[18] Adrien Jaulmes, « À Riyad,
Trump appelle les musulmans à "combattre
l'extrémisme islamiste"», Le Figaro, 21
mai 2017,
http://www.lefigaro.fr/international/2017/05/21/01003-20170521ARTFIG00196--ryad-trump-appelle-les-musulmans-a-combattre-l-extremisme-islamiste.php
[19] Voir référence 13
[20] La Paix Maintenant, « Discours
d’Obama au Caire (texte intégral en
traduction française) », The Guardian, 4
juin 2009,
https://www.lapaixmaintenant.org/discours-d-obama-au-caire-texte/
[21] Europe 1, « L'Arabie et ses
alliés rompent avec le Qatar, accusé de
"soutenir le terrorisme" », 5 juin 2017,
http://www.europe1.fr/international/larabie-legypte-les-mirats-et-bahrein-rompent-avec-le-qatar-3351101
[22] Robert Fisk, « This is the real
story behind the economic crisis
unfolding in Qatar », The Independent, 8
juin 2017,
http://www.independent.co.uk/voices/qatar-crisis-economy-diplomatic-links-torn-middle-east-russia-hacking-real-story-robert-fisk-a7778616.html
[23] Dan Raviv, « U.S. pushing
Israel to stop assassinating Iranian
nuclear Scientists », CBS, 1er mars
2014,
http://www.cbsnews.com/news/us-pushing-israel-to-stop-assassinating-iranian-nuclear-scientists/
[24] Martin Untersinger, « Stuxnet :
comment les Etats-Unis et Israël ont
piraté le nucléaire iranien », Le Nouvel
Observateur, 04 juin 2012,
http://tempsreel.nouvelobs.com/rue89/rue89-internet/20120604.RUE0433/stuxnet-comment-les-etats-unis-et-israel-ont-pirate-le-nucleaire-iranien.html
[25] Ahmed Bensaada, « États-Unis :
déstabilisation 2.0 », Afrique Asie,
juin 2017,
http://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=443:2017-06-02-15-53-29&catid=46:qprintemps-arabeq&Itemid=119
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