Actualité
L’antisionisme, la gauche radicale
et les nouveaux droits d’Israël
Adlene Mohammedi
Manifestation au Royaume-Uni contre la
politique israélienne à Gaza et en
Cisjordanie (MEE)
Mardi 26 février 2019
Le président de la
République française a décidé de
reconnaître l’antisionisme comme « l’une
des formes modernes de l’antisémitisme
». Un syllogisme doublé d’un parti pris
politico-juridique qui pénalise la
critique d’Israël et encourage
l’antisémitisme.
Les débats
politiques français sont hélas parfois
une resucée des débats britanniques. Si
les équivalents de Margaret Thatcher et
de Tony Blair ont triomphé en France
avec quelques années de retard, il
n’aura fallu que quelques mois aux
polémiques sur l’antisionisme et
l’antisémitisme pour s’exporter dans des
termes analogues.
L’été 2018 a été
marqué, au Royaume-Uni, par la polémique
– qui n’a toujours pas désenflé malgré
tout ce qui a été concédé – autour de
l’antisémitisme dont pâtirait
spécifiquement le Parti travailliste
britannique. Les attaques concernent
principalement
Jeremy Corbyn, chef du Parti
travailliste et de l’opposition
officielle, et Israël – donc un État
étranger – y a grossièrement
participé.
Parmi les nombreux
reproches que l’on a pu faire à Jeremy
Corbyn, il y avait l’hésitation de son
parti à adopter la
définition de l’antisémitisme de
l’Alliance internationale pour la
mémoire de l’Holocauste (IHRA), celle-là
même que le président Emmanuel Macron a
décidé
d’adopter pour la France. Nous y
reviendrons un peu plus loin.
L’assaut contre
les gauches radicales
Le Parti
travailliste a fini par céder et a
adopté, en septembre, ladite
définition. Mais tant que Jeremy Corbyn
– c’est-à-dire l’aile socialiste du
parti, défenseur de la cause
palestinienne – est à la tête du Labour,
les accusations d’antisémitisme
demeureront récurrentes. Les décennies
de militantisme antiraciste de Corbyn
n’impressionnent en rien ses
détracteurs : la propagande prime la
vérité.
Au Royaume-Uni
comme en France, et à travers le prisme
de l’antisionisme, les gauches radicales
sont devenues les cibles privilégiées
des accusations d’antisémitisme. Dire
qu’il y a une instrumentalisation de
l’antisémitisme, ce n’est ni le nier, ni
le minimiser.
Jeremy Corbyn,
dirigeant du Parti travailliste
britannique, prononce un discours sur le
Brexit
à l’Université de Coventry, le 26
février 2018 (AFP)
Accuser les
mouvements de gauche radicale
d’antisémitisme (ou de complaisance avec
l’antisémitisme), ce qui est devenu une
véritable
ritournelle médiatique, c’est la
méthode toute trouvée pour les
discréditer à deux niveaux : assimiler
leur antisionisme (réel ou supposé) à de
l’antisémitisme permet de disqualifier à
la fois l’alternative socialiste dans
son ensemble et toute hostilité à
l’égard d’Israël.
Le traitement de
l’agression verbale subie par le
polémiste-académicien Alain Finkielkraut
en marge d’une manifestation des Gilets
jaunes le 16 février dernier entre bien
dans ce cadre. Une sorte d’unanimisme
s’est instauré à propos de cet
événement. Nous nous contenterons
d’affirmer que si Alain Finkielkraut
suscite autant de ressentiment (et
parfois de haine), ce n’est certainement
pas parce qu’il est juif, mais à cause
de sa réputation de
raciste et de
soutien inconditionnel d’Israël.
Le principal
intéressé, qui s’est empressé de
multiplier les interventions
médiatiques, semblait surtout
déplorer qu’un homme qui n’est « pas
un petit Blanc » osât lui dire « La
France est à nous ».
Lui-même, qui comme
bien d’autres défend justement la thèse
d’un nouvel antisémitisme arrimé à la
question israélienne qui serait
l’apanage de la gauche radicale et des
musulmans (et des
« islamo-gauchistes »),
n’a pas hésité à rappeler que Marine
Le Pen le soutenait tandis que d’affreux
représentants de la gauche critique
(Aude Lancelin, notamment, qui n’a
strictement rien à se reprocher)
l’auraient malmené.
L’antisionisme
n’est ni l’antisémitisme ni la simple
critique d’Israël
Revenons à ce qui
nous importe le plus, à savoir cette
nouvelle définition de l’antisémitisme
que l’on voudrait imposer. La définition
de l’antisémitisme de l’Alliance
internationale pour la mémoire de
l’Holocauste (IHRA) inclut un certain
nombre de références à Israël.
Le fait que
certains antisémites préfèrent se cacher
derrière l’antisionisme ne justifie en
rien le signe d’égalité que l’on veut
établir entre antisémitisme et
antisionisme. Après tout, la laïcité
sert de paravent à bien des racistes.
Pourvu que personne ne songe à la
criminaliser
Il est possible
d’affirmer que cette définition
délictualise l’antisionisme : critiquer
le droit à l’autodétermination du peuple
juif ou considérer que les fondements
d’Israël sont racistes, ce serait tout
simplement de l’antisémitisme. Critiquer
la politique du gouvernement israélien
n’est évidemment pas clairement
proscrit.
Le plus cocasse,
avec cette nouvelle définition, c’est
qu’elle décrète que le destin des juifs
et celui de l’État d’Israël sont
intimement liés (ce qui est plus que
contestable), tout en interdisant les
critiques collectives envers les juifs
en lien avec la politique d’Israël (ce
qui est du bon sens). En somme, il est
plus que souhaitable de dénoncer
l’essentialisation abjecte qui
consisterait à voir dans les populations
juives des responsables de la politique
israélienne, mais il est fâcheux
d’assimiler en même temps ces mêmes
populations à Israël.
Dire que
l’antisionisme est « l’une des formes
modernes de l’antisémitisme », c’est
recourir au plus grotesque syllogisme.
D’abord, réfuter un droit à
l’autodétermination n’est pas en soi
raciste. Ou alors, il faudrait admettre
que ceux qui refusent le droit à
l’autodétermination des Palestiniens
(Israël et ses soutiens) sont mus par un
racisme.
Allons plus loin.
Si le gouvernement israélien colonise la
Cisjordanie au nom de son droit à
l’autodétermination, l’idée d’un État
palestinien serait contraire à ce droit
(et donc hypothétiquement antisémite).
Ensuite, trouver
contestable ce qui fonde un État,
déplorer qu’un État soit fondé sur des
considérations raciales ou religieuses
(comme c’est le cas par exemple des
trois alliés de Washington que sont
Israël, l’Arabie saoudite et le
Pakistan), ce n’est ni raciste, ni un
appel à la haine ou à la destruction.
Dominique Vidal :
confondre antisionisme et antisémitisme
est une « erreur majeure »
Read More »
Enfin, le fait que
certains antisémites préfèrent se cacher
derrière l’antisionisme ne justifie en
rien le signe d’égalité que l’on veut
établir entre antisémitisme et
antisionisme. Après tout, la laïcité
sert de paravent à bien des racistes.
Pourvu que personne ne songe à la
criminaliser.
Inclure
l’antisionisme dans la définition de
l’antisémitisme, ce n’est en rien
contribuer à la lutte contre ce dernier.
C’est simplement fabriquer de nouveaux
antisémites : ceux qui ne le sont pas
(par la magie de la confusion entre
antisionisme et antisémitisme) et ceux
qui le deviennent (par la magie de la
confusion entre juifs et Israël).
Le pire, dans cette
affaire, est le fait de récompenser
Israël au moment où son gouvernement
pratique la politique coloniale la plus
violente et la plus décomplexée.
Il y a 40 ans déjà,
les Égyptiens lui offraient un traité de
paix quelques jours seulement après
cette belle
déclaration de Menahem Begin à la
Knesset : « Israël ne reviendra jamais
aux frontières d’avant la guerre de juin
1967, il n’y aura pas d’État palestinien
en Cisjordanie, Jérusalem restera pour
l’éternité la capitale d’Israël. »
Aujourd’hui, les
Israéliens disent exactement la même
chose. Et que fait-on ? On autorise
Israël à piétiner le droit international
et on lui façonne, en plus, des droits
nationaux sur mesure et ubuesques.
Mieux, afin de
corriger l’affront fait à un penseur
connu pour ses propos racistes et pour
sanctuariser symboliquement un État dont
la politique est
largement raciste, le tout au nom
d’un drôle d’antiracisme, on qualifie de
racistes des gens qui ne le sont pas.
Adlene Mohammedi
Adlene Mohammedi
est docteur en géographie politique et
spécialiste de la politique arabe de la
Russie et des équilibres géopolitiques
dans le monde arabe. Il dirige Araprism,
site et association consacrés au monde
arabe. Il travaille, par ailleurs, sur
la notion de souveraineté et sur les
usages actuels du droit international
® Middle East Eye
2019 - Tous droits réservés
Publié avec l'aimable autorisation de
Middle East Eye
Les dernières mises à jour
|