Opinion
Les islamistes
tunisiens et la politique de la main
tendue
Zohra
Abid
Samedi 29 octobre
2011
Le premier discours des islamistes, qui
se sont taillés la part du lion aux
élections du 23 octobre, se veut
rassembleur et rassurant. Va-t-il
rassurer les investisseurs, banquiers,
laïcs, femmes, etc.
Par Zohra Abid
Qui aurait imaginé un jour qu’ils
allaient passer des geôles des prisons
au pouvoir ? Incroyable mais vrai ! Il a
suffi que Ben Ali, leur second bourreau
après Bourguiba, quitte le pays – fuyant
des révolutionnaires pacifiques sur qui
il avait fait tirer faisant plus de 300
morts et 1.000 blessés –, et que le
peuple se rende enfin aux urnes pour
dire son mot pour que le parti Ennahdha
revienne sur le devant de la scène.
Rached Ghannouchi et ses camarades
sont donc passés de la posture
d’opposants radicaux à celui d’élus
prêts à gouverner. Ce passage brutal
n’est pas facile à assumer ! Car, l’état
de santé du pays présente des signes
inquiétants. Aussi Ennahdha cherche-t-il
à composer avec toutes les parties pour
affronter la situation peu confortable
au sortir de la révolution. Et il leur
tend la main à tous. «Notre gouvernement
sera de coalition», espère M. Ghannouchi.
Main tendue
et respect des différences
Intissar
Kheriji, la fille (et groupie) de Rached
Ghannouchi
Le tourisme, l’investissement, le
chômage, le développement, les martyrs
et les blessés de la révolution à
prendre en charge, les médias, la
magistrature et la sécurité..., tels
sont les dossiers les plus brûlants
auxquels les Nahdhaouis (90 sur 217
sièges dans la constituante) vont être
bientôt confrontés. Ils doivent trouver
des réponses au plus vite pour
bénéficier «de la confiance de tous ceux
qui sont allés aux urnes et sont parfois
restés près de 5 heures debout pour
voter, rien que pour voter», selon les
termes de M. Ghannouchi. «C’est ça la
démocratie. Le peuple veut que la
Tunisie change et aille vers la
modernisation après 50 ans de dictature,
de pouvoir unique. Aujourd’hui, nous
célébrons les noces de la démocratie qui
ne peut qu’être basée sur le
pluralisme», a plaidé encore M.
Ghannouchi, après avoir rendu hommage
aux gens de la Palestine, de la Syrie,
du Yémen et à tous ceux qui militent
pour la liberté longtemps confisquée par
des dictateurs. «Notre constitution sera
rédigée par tous les représentants du
peuple sans exclure quiconque. La clé de
la réussite réside dans la réforme et
nous disons non au pouvoir unique»,
souligne le leader d’Ennahdha.
Rached Ghannouchi, qui parlait au
cours d’une conférence de presse,
vendredi, à Tunis, en présence des
cadres de son mouvement, a tenu à rendre
hommage à tous ceux qui ont souffert
pour que le pays se débarrasse enfin de
la dictature. «Nous pensons aujourd’hui
aux journalistes, aux opposants de
gauche, aux islamistes et autres
Tunisiens libéraux que la prison a
rassemblés. Que la démocratie puisse
aujourd’hui les rassembler. Nous allons
frapper à toutes les portes pour que
tout le monde participe à la
construction du pays et mettre sur des
jalons sûrs une société épanouie»,
a-t-il dit.
La Tunisie
restera un Etat
Pour rassurer les partenaires
internationaux de la Tunisie, le leader
islamiste a dit qu’Ennahdha respectera à
la lettre les conventions
internationales. Selon lui, la
révolution a rompu avec la dictature et
non avec le statut de l’Etat. Et que la
femme sera présente au cœur de la
société comme elle l’a toujours été :
«Nous allons consolider davantage ses
acquis et elle aura un rôle important en
politique. Les croyants et non-croyants
sont avant tout des Tunisiens qui
partagent les mêmes droits», a répété M.
Ghannouchi.
Actualité oblige, le chef d’Ennahdha
n’a pas omis de saluer les habitants de
Sidi Bouzid, qui avaient déclenché les
premiers feux de la révolution et qui,
la veille, ont manifesté et mis le feu à
plusieurs bâtiments, notamment un bureau
d’Ennahdha. «Sidi Bouzid sera parmi les
premières régions à bénéficier des
projets de développement. Un circuit
touristique dédié à la révolution
partira bientôt de cette ville», a-t-il
annoncé, après avoir appelé les citoyens
au calme. Interrogé sur l’inquiétude des
professionnels du tourisme – en berne
depuis plusieurs saisons et qui risque
de s’effondrer complètement, Hamadi
Jebali, secrétaire général d’Ennahdha et
candidat du mouvement au poste de
Premier ministre, a souligné, de son
côté, l’importance de ce secteur.
«Nous allons nous déployer dans ce
secteur qui fait travailler directement
400.000 personnes et qui fait vivre,
indirectement, près de 2 millions de
personnes. Nous allons chercher par tous
les moyens à redresser la barre et
améliorer l’activité de ce secteur
fragilisé par la mauvaise gestion», a
affirmé M. Jebali. De son côté, M.
Ghannouchi a annoncé qu’il avait
rendez-vous avec les professionnels du
tourisme, après avoir rencontré les
responsables de la Bourse. Celle-ci,
dont les cours ont chuté d’un point et
plus dès l’annonce des premiers
résultats des élections, a repris des
couleurs après cette rencontre, s’est
félicité le cheikh.
Une
pensée à tous les démocrates
«Nous leur avons confirmé que nous
allons protéger les investisseurs. Il
n’y a pas de quoi s’inquiéter puisqu’il
n’y aura plus de corruption. Nous
accueillerons les investisseurs
tunisiens et étrangers et ils auront
toutes les garanties dont ils ont
besoin», a-t-il affirmé.
Les secteurs de la magistrature et de
la sécurité, qui ont été tellement
impliqués avec l’ancien régime,
nécessitent un petit ménage, a admis le
chef d’Ennahdha. «La majorité n’est pas
corrompue, mais le dossier est lourd et
nous devons faire des réformes
radicales, mais sans esprit de
vengeance. Ces secteurs doivent aider à
instaurer l’équité et non le contraire.
Ils doivent être au service de l’Etat et
non d’un pouvoir, ou d’un régime»,
a-t-il tenu à dire.
Bien évidemment, M. Ghannouchi n’a
pas oublié d’exprimer sa gratitude à
tous ceux qui ont participé à la
transition et qui ont donné de leur
temps, neuf mois durant pour que le pays
ne dérive pas. Une pensée à l’armée
nationale, aux agents du ministère de
l’Intérieur, à l’équipe de l’Isie, à
celle de Yadh Ben Achour, au Premier
ministre Béji Caïd Essebssi et à ses
ministres, qui ont pu assurer la
traversée de la révolution et l’ont
conduite vers la paix. Ainsi qu’aux
citoyens qui ont voté massivement.
«La Tunisie a démontré qu’elle a déjà
mis ses pieds dans la démocratie et elle
ne peut pas faire marche arrière», a
ajouté M. Ghannouchi, cherchant ainsi à
rassurer les Européens, les Américains
et les pays voisins et amis avec qui il
compte continuer à coopérer.
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Publié le 29 octobre 2011 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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