Opinion
Tunisie. Mourou
décontracté, sans robe ni turban (1/2)
Zohra Abid
Samedi 25 juin 2011
Ceux qui
ne partagent pas ses idées religieuses
sont souvent séduits par son discours
ouvert et plein d’humour. Personnage
charismatique au verbe haut, l’avocat
vaguement islamiste n’a pas fini de
surprendre. Portrait… Par
Zohra Abid
Kapitalis a rendu visite à
Abdelfattah Mourou, jeudi, au 7, rue de
l’Ancienne poste, à Tunis, au troisième
étage de son cabinet, un immeuble de
style colonial dans une petite rue
populeuse et poussiéreuse au cœur de la
capitale, acheté en 1991 et restauré
avec goût tout en gardant son cachet.
«C’était une propriété de deux frères
italiens, qui avaient leurs commerces en
bas et habitaient en haut», raconte
l’avocat qui a mis de l’ordre dans le
bâtiment: un rez-de-chaussée pour le
secrétariat, l’archive et l’accueil, un
premier étage pour ses deux fils
avocats, un deuxième étage réservé à la
stagiaire et à un avocat de la famille.
Pour lui et son clerc Salah (dont le
frère membre d’Ennahdha est mort en
prison sous la torture), c’est l’étage
royal, tout en haut.
Plus tunisois qu'islamiste
Ici, on a l’impression d’être chez un
antiquaire (ou chez un bouquiniste). Il
n’y a pas un mètre carré vide. Meubles
et bibelots partout, tableaux figuratifs
(qui a dit que l’islam interdisait la
figuration?) et miroirs de tous les
styles, les uns placardés dans les
couloirs, les autres, faute de place,
sont posés dans des coins perdus
derrière une armoire ou un vieux
fauteuil. Des fleurs et des plantes en
plastique un peu partout, de quoi mettre
un peu de verdure, fut-elle
artificielle.
L’enfant de Halfaouine
Dehors, il a fait au moins 40° à
l’ombre. Maître Mourou vient d’arriver
du tribunal. Il a plaidé toute la
matinée dans des affaires corsées. De
circonstance. Ici, il n’y a pas de clim,
mais des ventilateurs suspendus partout.
Sidi Cheikh s’est mis en chemise et
saroual turc gardant chaussettes, mais
en nu-pieds.
Notre hôte vient de fêter, il y a trois
semaines, ses 63 ans et semble satisfait
de sa carrière, de sa vie. «Je suis né
le 1er juin 1948 à la rue Sidi Aloui,
entre Bab Saadoun et Halfaouine. Mon
père était cafetier dans le quartier.
Malade, ma mère couturière nous a
élevés, ma sœur Alya et moi», se
souvient l’enfant du Rbat, comme on
appelle Bab Souika. Et d’ajouter qu’il
était toujours le premier de la classe
soit en primaire à l’école Kheireddine
de la rue du Tribunal soit au secondaire
au collège Sadiki.
Son bac en poche en 1966, le brillant
étudiant s’est inscrit dans deux
universités : celle de théologie et
celle de droit. «A l’époque,
l’orientation était libre et on pouvait
s’inscrire dans deux universités»,
a-t-il précisé. Quatre petites années et
le voilà avec une maîtrise doublée. Il
lorgnait vers la magistrature. En mars
1972, il siégeait déjà aux tribunaux.
L’expérience a duré 5 ans. Obnubilé par
la bonne cause, celle de la défense de
la veuve et de l’orphelin, il s’est
inscrit au barreau pour exercer la
profession d’avocat. En 1981, c’est la
politique qui l’a attiré. L’idée de
fonder un parti islamiste a toujours
trotté dans sa tête. Pour lui, il était
temps.
«Le 6 juin 1981, j’ai fondé le Mouvement
de tendance islamique (Mti). On m’a
arrêté en juillet et incarcéré pour
appartenance à une association illégale.
J’ai été condamné à 10 ans de prison.
J'ai été gracié après deux ans en
prison. A ma sortie, j'ai passé une
année en résidence surveillée. A
l’époque, j’étais déjà marié et j’avais
à ma charge des enfants», s’est-il
rappelé.
Vie de famille à la Marsa
C’est à la Marsa, à la cité des Juges,
un quartier chic à l’entrée de la ville,
qu’Abdelfattah Mourou a choisi de
construire sa maison à son goût. C’est
là où ses petits ont grandi. «L’aîné
Aman Allah (34 ans), ensuite Dhia Eddine
(33 ans). Tous deux ont voulu faire la
même carrière que moi, Meriem (31 ans
maman du petit Tahar 3 ans), après sa
maîtrise, a choisi de rester à la
maison», a-t-il dit sur ses enfants déjà
mariés et casés. Mais ceux qui partagent
encore avec lui le même toit, ce sont
Abdelmalak (26 ans en 3ème cycle de
droit, qui ambitionne d’intégrer la
magistrature et le petit dernier
Mortadha (21 ans passe en 3ème année
fac).
Mourou est accro des livres, mais aussi
de la poésie et de la musique.
Interrompu à plusieurs reprises par
le téléphone qui ne le quitte pas, il ne
nous dira pas plus. A part les prières,
les tribunaux, les affaires et les
discours, qu’aimez-vous faire dans la
vie? «Tout (un sourire sous cape, Ndlr).
J’aime la vie, j’assiste aux fêtes. Je
ne rate pas les festivités, mais je
veille à préserver ma dignité. Ne
suis-je pas l’enfant de Bab Souika?»,
répond-t-il, sur un ton espiègle.
Et de poursuivre : «J’adore le chant et
la musique. J’ai fréquenté des années la
Rachidia et j’ai appris à jouer au
piano. J’aime bien écouter les belles
chansons d’amour. Oui d’amour, je ne
m’en prive pas. D’ailleurs le prophète
Mohamed appréciait les chants et il n’y
a pas de chant sans mots d’amours. Je
chante même en allemand. Alors étudiant,
je fréquentais le Centre culturel
allemand et je chantais à l’aise le
répertoire germanique. Les Allemands
m’ont donné un premier prix de
chant», se souvient-il. A voir la
carrière qui fut la sienne, on ne peut
pas dire que le ténor du barreau de
Tunis a raté sa carrière. Dans les
tribunaux, il a aussi son public.
Dans les années collège, le jeune Mourou
a toujours voulu se démarquer. Alors que
la majorité de ses camarades préféraient
apprendre la langue de Shakespeare, lui
c’est celle de Goethe qui l’a séduit.
Le pays qu’il aime visiter le plus
souvent ? Réponse : «La Turquie et
l’Arabie saoudite. J’ai déjà fait entre
150 ou 200 omra. Et 7 pèlerinages avec
femme et enfants».
Le téléphone n’a pas arrêté de sonner.
Encore et encore. Des clients, toujours
des clients...
Mourou, le mauresque, aime le
malouf et le mezoued
La belle stagiaire entre avec une pile
de dossiers interrompant notre entrevue.
Il en avait pour une dizaine de minutes.
Il lui a dicté d’un seul trait le
rapport. Rare éloquence ! Il n’est pas
avocat pour rien. La belle sort et ferme
derrière elle la porte capitonnée. Il se
gratte le cou, met la main sur un livre
de sa bibliothèque murale qui s’étend
jusqu’au plafond, regarde
affectueusement ses petits trésors.
«C’est mon autre capital. J’ai des
livres religieux, d’histoire, de
littérature, des recueils de poésie, d’Antara
Ibn Chaddad, El Maârri, Ibn Bord,
Chebbi... J’ai tout. Tous les poètes
d’amour. Tout ce que vous pouvez
imaginer». C’est dans ces livres
d’éloquence que M. Mourou a appris, en
partie, son art de plaider. Il pense
d’ailleurs s’offrir bientôt une paisible
retraite pour, dit-il, se remettre à
lire. Beau programme en perspective,
mais on lui aurait attribué volontiers
d’autres ambitions…
Là, j'ai 28 000 livres. C'est mon
capital, dit-il.
Après cette parenthèse lyrique,
impossible de faire taire Me Mourou. Il
dit qu’il aime écouter le malouf.
N’est-il pas d’origine andalouse!
«Pendant mes heures de repos, j’écoute
aussi Oum Kalthoum, Abdelwahab, là c’est
autre chose, ça chatouille l’âme. J’aime
écouter notamment Hédi Jouini, Saliha,
Oulaya, Bouchnak... Il m’arrive aussi
d’écouter du mezoued qui est à l’origine
un chant de Zendala – endroit de torture
et d’isolement en prison –. Il m’arrive
aussi de danser mais dans l’intimité.
Dehors, je dois imposer le respect et
tenir parfois mes distances. N’empêche
que je reste, au fond de moi, un enfant
de quartier», ajoute-t-il.
Son autre passion: il collectionne les
instruments de musique. Il en possède
déjà 350, de la clarinette au violon en
passant par les violoncelles. Mais
qu’affectionne-t-il encore? Se promener
avec sa femme et sa fille Meriem sur les
plages de la Marsa. Il adore la nage
entre 16 et 17 heures. Et c’est là où il
fait un peu le vide, il se détend... La
vue est imprenable, les Marsoises sont
ensorcelantes et... la vie est belle.
«Je ne mer baigne qu’à la Marsa, c’est
magnifique», certifie-t-il. Parole de
connaisseur. Et le parti Ennahdha, et la
politique dans tout ça! Là, c’est une
autre affaire, et vive l’indépendance!
Lire lundi:
Tunisie. Mourou, le
cheikh des politiciens (2/2)
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Publié le 25 juin 2011 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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