Tunisie
Démocratie et
chariâ à l'épreuve de la rue
Zohra
Abid
Vendredi 23 mars
2012
Avant que les démocrates ne reviennent à
la rue pour un nouveau rassemblement le
lundi 9 avril, les fondamentalistes
religieux ont déjà annoncé «une invasion
de Tunis», pour vendredi 23 mars.
Doit-on en rire ou en pleurer ?Par Zohra Abid
La journée du 23 mars, baptisée, il y
a quelques jours, par le ministère des
Affaires religieuses, Journée nationale
du Saint Coran, sera marquée, selon les
messages échangés sur les
réseaux sociaux, par une marche des
fondamentalistes religieux, conduits
notamment par «des cheikh, des
salafistes, des ulémas de la Zitouna,
des prédicateurs… et certains leaders d’Ennahdha»
(parti au pouvoir) qui viendront de
toutes les régions du pays,
annonce-t-on.
«Nous sommes 99,99% de la population.
Rendez-vous à Tunis. Le peuple doit
réussir son invasion pour appeler à
l’adoption de la chariâ» (comme unique
source de la nouvelle constitution,
Ndlr), lit-on dans l’appel à manifester
qui circule sur facebook.
Le 20 mars
comme le 14 janvier, les barbelés en
moins
La «chariâ-parade» à Tunis
A part le rassemblement à Tunis, que
l’on annonce massif, le programme
prévoit, comme autre appui à la cause,
des «appels via les hauts parleurs des
mosquées en faveur de l’adoption de la
chariâ».
On peut déjà imaginer la «chariâ-parade»
avec un mélange de bannières noires
(emblème des salafistes), blanches et
bleues (d’Ennahdha) et rouges et
blanches (du drapeaux national), des
barbes hirsutes, des qamis et des niqabs.
Et puis, des «takbirs» (Allah Akbar,
Dieu est grand) bien sonnants…
Question pour un champion : Habib
Ellouze, Sadok Chourou, et les autres
dirigeants d’Ennahdha actifs sur le
front de la chariâ à la constitution,
seront-ils au premier rang des
manifestants ? Les paris sont ouverts…
«La démocratie doit passer»
Le même jour, l’autre camp – puisque
le pays est désormais divisé en deux –,
celui des démocrates, des progressistes,
des syndicalistes, des intellectuels
libéraux et de gauche, des représentants
des associations et de la société
civile, ne chômera pas pour autant.
Les
démocrates paradent le 20 mars à Tunis.
Tout ce beau monde, qui n’entend pas
abdiquer face à la poussée de l’islam
politique dans le pays, prévoit de
sortir, lui aussi, le lundi 9 avril,
fête nationale des martyrs, pour faire
entendre sa voix dans plusieurs villes
du pays. Avec des appels pour la
liberté, la dignité, la démocratie,
l’emploi, et contre la cherté de la vie,
tant qu’il est encore permis de le
faire.
Les perdants des élections du 23
octobre, baptisés «les 0,000», munis de
banderoles, de drapeaux et de hauts
parleurs, vont appeler, de nouveau, à
faire face à toute forme de dictature,
surtout au nom de la religion, à
instaurer la démocratie, à réduire les
inégalités entre les régions, à offrir
du travail aux chômeurs, à aider les
pauvres et à mettre de l’ordre dans
l’économie…
Les précédents épisodes de la
guéguerre
- Vendredi 16 mars, quelques 2.000 à
3.000 islamistes ont manifesté devant
l’Assemblée constituante, au Bardo, à
l’ouest de Tunis, pour faire pression
sur les élus afin qu’ils adoptent la
chariâ comme source unique de la
constitution.
Oui à la
chariâ dans la Constitution, crient les
fondamentalistes
La manifestation a été organisée par
112 associations islamistes, pour la
plupart des satellites d’Ennahdha, nées
au lendemain de la révolution. Les
organisateurs espéraient rassembler 1
million de protestataires. Ils étaient
très loin du compte.
- Samedi 17 mars, des milliers de
démocrates ont appelé, à leur tour, à
une marche pour la démocratie, le 20
mars, jour de la célébration de la fête
de l’Indépendance, à l’avenue Habib
Bourguiba, au centre-ville de Tunis.
Pour dire non à la chariâ, pour le
respect des martyrs et des blessés de la
révolution, pour la dignité retrouvée
des Tunisiens, pour l’emploi, pour
l’égalité des chances…
- Lundi 19 mars, le ministère des
Affaires religieuses a annoncé, dans un
communiqué, sa décision de faire du 23
mars de chaque année la Journée
nationale du Saint Coran. Depuis, des
messages circulent sur les réseaux
sociaux appelant à un rassemblement à la
Kasbah. Des appels seront lancés, le
même jour, par les hauts parleurs des
mosquées pour exiger l’adoption de la
chariâ.
- Mardi 20 mars, la marche des
démocrates et progressistes a ressemblé
plus de 10.000 personnes. Certaines
estimations ont parlé de 20.000. On a
même osé une comparaison avec la
manifestation du 14 janvier 2011 qui a
fait fuir le dictateur Ben Ali.
- 9 avril, les deux parties ont
choisi le jour de la célébration des
martyrs pour redescendre dans la rue et,
ce faisant, jauger leurs forces
respectives.
Avec des partis complètement dépassés
par les événements et des dirigeants
politiques sans consistance aucune et ne
sachant à quels saints se vouer, les
Tunisiens semblent avoir choisi de
régler leurs divergences sur la place
publique. Et/ou par médias interposés.
Le spectacle de leurs interminables
parades a quelque chose d’infantile, de
futile et d’inquiétant, car il ne
rehausse pas le débat national en cette
phase transitoire difficile, bloquée par
une polarisation idéologique excessive,
alors que les urgences économiques et
sociales s’additionnent, s’accumulent et
se conjuguent dans une sorte de course
aveugle vers le désordre et l’anarchie.
N’y a-t-il pas d’hommes sages dans ce
pays pour remettre toutes ces troupes en
ordre de marche ?
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Publié le 23 mars 2012 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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