Tunisie
Les Tunisiens
s'organisent face au cyclone salafiste
Zohra
Abid
Jeudi 16 février
2012
Depuis samedi dernier, les Tunisiens
vivent sur les nerfs. Ils sont choqués
par les discours du prédicateur Wajdi
Ghanim appelant à la violence et à la
discorde.
Zohra Abid
Des barbus en costume afghan et
femmes en niqab, brandissant des
drapeaux noirs ou blancs estampillés de
versets coraniques, suivent en cortège
l’ombre de cet Egyptien, partout où il
se déplace.
Face à ce phénomène, assez étranger à
leurs traditions, les Tunisiens
progressistes se sont mobilisés pour y
faire face et empêcher sa diffusion à
une plus large échelle.
Ce sont des
«microbes», dit Marzouki
Dans son interview, mercredi sur la
chaîne Al Watanya I, Moncef Marzouki,
président de la République, a qualifié
Wajdi Ghanim de personnage bizarre et
ceux qui adoptent ses idées de
«microbes» qui n’auront pas leur place
en Tunisie, terre de tolérance
religieuse et d’ouverture d’esprit et
d’appeler les Tunisiens à ne pas avoir
peur de cette minorité.
Comme le président, des prédicateurs
modérés tunisiens ont été indignés par
le comportement de Wajdi Ghanim dans nos
murs. Selon eux, les Tunisiens n’ont pas
à recevoir des leçons des prédicateurs
venus d’autres pays. «La Tunisie a ses
spécificités et son Islam est modéré.
Notre pays ne ressemble à aucun autre.
Il est le berceau de la modération et il
le restera», a plaidé l’avocat et cheikh
Abdelfattah Mourou.
Au premier
plan, Khemaies Ksila et Mokhtar Trifi
Othman Battikh, mufti de la
République, s’est dit navré, lui aussi,
d’entendre des discours intolérants se
réclamant de l’islam. «L’Egyptien est
très éloquent et impressionne certains
Tunisiens, mais son discours n’est pas
fondé sur une connaissance approfondie
de théologie», a ajouté le mufti.
Les Tunisiens ne réalisent pas encore
comment certains des leurs réservent un
accueil quasi-triomphal à un prédicateur
moyenâgeux qui appelle à l’excision des
filles et voue les démocrates et les
laïcs («ilmaniyins») aux gémonies.
L’homme a rassemblé, dimanche, plus de
5.000 personnes à la Coupole d’El Menzah,
de Tunis. Jamais un prédicateur n’a
drainé autant de spectateurs (car
c’était quasiment un show) dans le pays
!
La Tunisie
est musulmane
Mardi, sous la houlette de l’avocate
Bochra Bel Haj Hmida, un collectif
d’avocats, de militants et de
représentants de la société civile a
porté plainte contre le prédicateur
égyptien et les associations qui l’ont
invité.
Le même jour, scandalisé, le
mouvement Kolna Tounes a envoyé aux
membres du gouvernement une lettre, via
un huissier de justice, lui demandant de
mettre fin à l’utilisation des mosquées
pour propager une «fitna» (discordre)
dans le pays.
Emna Menif, fondatrice de Kolna
Tounes, a organisé, mercredi, une
rencontre à El Teatro. Politiques,
artistes, défendeurs des droits de
l’homme ont répondu présents. «Cette
initiative n’est qu’un début. Il faut
remettre chacun à sa place », a dit Mme
Menif. Elle a ajouté : «Cheikh Mourou a
promis de venir mais, à la dernière
seconde, il a eu un empêchement. L’homme
soutient jusqu’au bout notre action. Le
mufti s’est joint, lui aussi, à notre
mouvement. Le cheikh Mahmoud Bayrem
s’est dit écoeuré par les appels à la
violence et au djihad lancés par des
Tunisiens qu’il ne reconnaît plus».
La société
civile se mobilise contre la déferlante
obscurantiste
«Les Tunisiens se demandent qui sont
ces gens qui se prennent pour des
docteurs de la foi, qui multiplient les
visites dans notre pays et qui tiennent
des discours de fitna. Ils tiennent les
Tunisiens pour des mécréants et
appellent même à l’excision des filles,
à la violence, à la discorde», a martelé
Mme Menif. Et de préciser que ces
appels, contraires aux droits de
l’homme, n’ont pas à être proférés en
Tunisie, «un pays de citoyenneté et de
droits».
Jawher Mbarek, leader de la liste
indépendante Doustourna, a constaté, de
son côté, l’accumulation en un temps
record d’un grand nombre de dépassements
dans les mosquées, les universités, les
hôpitaux. «Le ministre de l’Intérieur,
lui-même, a affirmé que des terroristes
liés à Al-Qaïda ont un plan pour fonder
un émirat dans le pays. C’est très
grave. C’est une menace pour la
révolution. Nous condamnons tous ces
prédicateurs, ces petits d’esprit qui
perturbent notre paix», a-t-il lancé.
On écorche
l’image de la Tunisie libre
Balkis Sakli, vice-présidente de la
Ligue tunisienne des droits de l’homme (Ltdh),
a déclaré que la Tunisie, accusée par
certains d’importer des idées de
l’Occident, est attachée la liberté et à
l’égalité et opposée à la violence. «Là,
on a franchi la ligne rouge. Nous ne
permettons plus que nos enseignants
soient menacés par des armes blanches
dans les lycées, que des extrémistes
appellent à la suspension des cours de
dessin et de philosophie. Ces gens là,
avec qui nous avons tenté de discuter à
maintes reprises, refusent tout
dialogue. Nous avons prévenu les
responsables», a-t-elle affirmé. Et de
rappeler que c’est grâce à la
démocratie, aux élections et aux
libertés retrouvées que ces personnes
ont pu s’exprimer. «L’arme de la
liberté, ils la retournent contre nous»,
a déploré la militante.
De son côté, la comédienne Raja Ben
Ammar a dénoncé tout le monde : le
prédicateur égyptien, les associations
salafistes, les apprentis jihadistes et
le gouvernement passif. «Ce gouvernement
est incompétent», a-t-elle conclu.
Le juge Mokhtar Yahyaoui, lui aussi,
a souligné, la responsabilité de la
«troïka», la coalition au pouvoir formée
d’Ennahdha, d’Ettakatol et du Cpr, qui
ne réagit pas souvent pour mettre fin
aux dépassements commis par les groupes
salafistes. Sa position est partagée par
plusieurs élus, qui ont accusé le
gouvernement de fermer les yeux
sciemment alors que les extrémistes sont
en train d’étendre leurs tentacules dans
les stries de la société. Au nom de la
religion et profitant de la liberté
d’expression.
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Publié le 16 février 2012 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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