Opinion
Tunisie. La
révolution joue les prolongations
Zohra Abid
Lundi 15 août 2011
Lundi
matin, pour disperser les manifestants
en colère contre le gouvernement de Beji
Caïd Essebsi, la police a tiré des gaz
lacrymogènes. Du déjà vu… Par
Zohra Abid
Les premiers manifestants se sont
rassemblés le matin vers 9h30-10 heures
à la rue Bab Benat devant le siège du
ministère de la Justice (près de la
Kasbah). Ce rassemblement a été conduit
à l’initiative d’un groupe de près d’une
centaine d’avocats.
Robes noires en colère
«C’est après sept réunions de
travail qu’on a décidé cette
manifestation. La situation dans le pays
ne fait qu’empirer et le gouvernement
fait la sourde oreille continuant à agir
comme à l’époque de Ben Ali et au profit
des corrompus», explique Me Jamal Riahi,
ajoutant que cela fait des mois que les
avocats appellent à ce que la justice
soit faite. «Qu’on innocente les
innocents encore incarcérés et qu’on
punisse les vrais criminels jusqu’au
jour d’aujourd’hui, libres de leurs
actes», lance-t-il. Sa consœur Thouraya
Belhaj dit être descendue pour passer ce
message clair et net au gouvernement de
M. Caïd Essebsi.
A Bab
Benat devant le ministère de la Justice
Au milieu des drapeaux flottants et
des centaines de manifestants, plusieurs
familles des victimes de l’ancien
système et parentes des martyrs des
événements du 14 Janvier. A chacun son
slogan: «Le peuple veut la chute du
gouvernement»; «Le peuple exige
l’indépendance de la magistrature»; «Non
au retour du Rcd et de la bande
destourienne»... Tous ont, à plusieurs
reprises, chanté l’hymne national.
Au même moment, ça chauffe de l’autre
côté de la ville. 11 heures et quelques,
aux alentours de la rue Mohamed Ali, les
commerçants ambulants du marché
parallèle ont plié bagage et cédé la
place aux manifestants. Les rues,
pratiquement toutes, sont quadrillées
par une douzaine de blindés, sans
compter les bus jaunes, pleins d’agents
de l’ordre, garés dans les coins des
rues avoisinantes. Les agents, prêts à
agir, n’attendent qu’un signal. «C’est
la première fois que je descends sur le
terrain et je ne sais pas comment je
vais me comporter», me dit un jeune
policier fraîchement embauché. Le regard
hagard, le jeune en uniforme ajoute
qu’il a été entraîné pendant un mois et
qu’il est très mal dans sa peau. La
police avance jusqu’à la place du
Passage. Elle est dans un état second. A
l’aide d’un haut parleur, on avertit les
gens. Ces derniers n’ont qu’à se
dépêcher pour rentrer sinon ils
craignent le pire.
Des marches bloquées par les
blindés
En même temps, du côté de la
Bourse du travail, l’Union générale des
travailleurs tunisiens (Ugtt) prépare sa
manif, autorisée par le ministère de
l’Intérieur, dans le couloir de l’avenue
Mohamed V. Midi pile, le cortège
s’organise. Plusieurs formations
politiques et organisations des droits
de l’homme sont dans les premiers rangs,
côte-à- côte avec l’Ugtt. Ils sont
grandement escortés par les services de
la sécurité nationale. Impossible de
déborder sur les bas-côtés ou sur les
bretelles de l’avenue. La manifestation
est très bien encadrée, avec des agents
en civil qui prenaient en photos les
manifestants. La police, ici aussi en
état d’alerte, ne fait qu’attendre le
signal. Quelques brebis galeuses
trouvent le moyen de lancer des gros
mots en direction des manifestants, qui
avançaient pourtant calmement. Comme
quoi, chassez le naturel, il revient au
galop!
L'Ugtt
exhibe ses muscles sur l'Avenue Mohamed
V
Retour à l’avenue Habib Bourguiba:
là, la police est déjà en action. Des
tirs de gaz lacrymogène et des coups de
matraque sur les manifestants. «Ils ne
sont pas autorisés. La manifestation se
passe uniquement à Mohamed V et si ça
déborde, on va intervenir à notre
manière», lance un policier, très
irrité, à un manifestant d’un certain
âge. L’hymne national fait bruit au cœur
de Tunis.
Une
manifestation bien encadrée
Midi trente, les choses se corsent.
La police multiplie ses tirs de gaz et
les manifestants décidés à continuer
leur marche du côté du ministre de
l’Intérieur.
Devant la cathédrale, des nuages de
fumée. Même chose à la Porte de France.
La tension monte au fil de la montée de
la température. 13 heures, c’est la
chasse aux manifestants. Des deux côtés,
on joue au chat et à la sourie. La
police prévient à l’aide de hauts
parleurs et tire ses gaz. De l’autre, on
crie. On appelle à une «Nouvelle
révolution», «Tunisie libre, voleurs
out!» et au «Peuple fidèle à l’âme des
martyrs de la révolution».
Des messages forts à M. Caïd
Essebsi
Sur d’autres banderoles, on lit
des slogans contre le ministre de
l’Intérieur, qualifié de «terroriste»,
le gouvernement, la cherté de la vie...
Comme à l’avenue Mohamed V, à l’avenue
Habib Bourguiba, les manifestants se
multiplient. La police tente de les
rattraper jusqu’à l’entrée des immeubles
de la rue Habib Thameur. Tout le monde
court, court... pour revenir quelques
secondes après pour faire face aux
forces de l’ordre. Ça crie partout à la
«protection des principes de la
révolution». Des centaines de passants
se joignent aux manifestants. Dans la
foulée, des vieux s’évanouissent. Des
jeunes tombent par terre du côté de la
station du métro. On évente ceux qui
sont asphyxiés et qui perdent
conscience. Les tirs continuent... On
bloque les issues, les voitures sont
immobilisées. Un scénario qui rappelle
de mauvais souvenirs!
Les
policiers courent, courent...
En même temps, Sfax,
la capitale du Sud, fait sa
manifestation. Gafsa aussi. Plus d’un
millier de personnes se sont rassemblées
appelant à la démission du Premier
ministre et dénonçant le laxisme
judiciaire. M. Caïd Essebsi a-t-il saisi
le message lancé par le peuple avant son
intervention du jeudi?
«Le bras de fer n’a fait que commencer»,
lâche un militant de gauche. Il ajoute:
«Des décisions doivent tomber qui
envoient un signal clair de rupture avec
l’ancien régime, sinon bonjour la
révolution II», ajoute-t-il.
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Publié le 16 août 2011 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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