Tunisie
Sidi Bou Saïd
pleure son saint patron
Zohra Abid
Samedi 12 janvier
2013
Près de 24 heures
après l'incendie du mausolée de Sidi Bou
Saïd, l'odeur du cramé enveloppe encore
les hauteurs du village qui grouille de
visiteurs, venus de tous bords constater
l'ampleur des dégâts. Tous indignés.
Beaucoup en pleurs...
Reportage de
Zohra Abid
A part les Tunisiens, venus
nombreux même de l'intérieur du pays,
plusieurs étrangers, dont des
journalistes et envoyés spéciaux pour
couvrir les festivités du 2e
anniversaire de la révolution, étaient
dimanche après-midi en visite au
mausolée.
Le village était noir de monde. Les
cafés pleins à craquer, les parkings,
pas une place de vide et sur les
hauteurs, on passait presque
coude-à-coude.
Ce
mausolée est l’âme de Sidi Bou Saïd,
comment ont-ils osé commettre ce crime.
Ne touchez pas à nos saints?
Il a fait beau, dimanche, à Sidi Bou
(comme on aime appeler ce village qui
donne sur la Méditerranée). Mais il y a
un air triste. Et le cœur n'est plus à
la flânerie romantique après l'incendie,
la veille, du mausolée de Sidi Bou Saïd
El Béji, le saint-patron de ce village
arabo-andalou, haut du tourisme
tunisien, au nord de la capitale.
L'incendie est probablement l'œuvre
d'extrémistes religieux, comme une
vingtaine d'autres ayant ravagé des
monuments religieux similaires aux
quatre coins du pays. Dans l'immobilisme
et le laisser-aller du gouvernement
dominé par le parti islamiste d'Ennahdha.
Les traits tirés, le visage terne,
une quinquagénaire est venue de Sousse
pour voir ce qui reste du mausolée.
«J'ai entendu parler de l'incendie du
mausolée, hier tard dans la soirée, et
ça m'a ulcérée. Aux informations du
Journal de 20 Heures, aucun mot. Et ceci
m'a encore mise hors de moi. Le matin,
avec ma fille, nous avons décidé de
faire un saut à Sidi Bou Saïd et de voir
de nos yeux ce qu'ont fait de notre pays
ces individus étranges qui ne font que
détruire. Même les saints n'ont pas été
épargnés. C'est vraiment grave et
lamentable», raconte cette
enseignante, les yeux en larmes. Et
d'ajouter : «La honte à ce
gouvernement complice, sinon pourquoi
laisse-t-il faire?».
Il ne
reste plus du mausolée de Sidi Bou Saïd.
Faisant la queue devant le vendeur de
«bambalouni» (beignets,
spécialité de Sidi Bou Saïd), deux
jeunes garçons, la vingtaine, discutent
de ce crime. «Ce mausolée est l'âme
de Sidi Bou Saïd, comment ont-ils osé
commettre ce crime? C'est notre mémoire.
Pour moi, ce mausolée fait le cachet de
ce village, classé dans la liste du
patrimoine mondial de l'humanité et qui
fait notre fierté», raconte l'un
des deux.
Les yeux hagards, des hommes et des
femmes montent l'escalier vers le
mausolée. Ils sont venus pour la plupart
en famille. Alors que leurs petits
jouaient dans la cour, eux, sont allés
constater l'ampleur des dégâts.
L'odeur du
brûlé assaillit les narines
Ici, plane une impression de deuil.
Les portes et les fenêtres ainsi que les
toits de l'intérieur, tout en bois vert
bouteille, sont brûlés. Les vitres
cassées. L'odeur du cramé est de plus en
plus forte et assaillit les narines.
Tout l'ameublement est parti en fumée.
«Il ne reste plus rien, sauf un
étendard à moitié brûlé, jeté sur une
rampe», raconte, terrorisée, la
gardienne.
Les murs de l'intérieur du mausolée
fermé au public et bien gardé par les
agents de la mairie sont devenus du
charbon. Ici, on ne distingue plus rien,
comme si on était dans des ténèbres.
«Les notables de la ville
prendront en tout cas les choses en
main. Nous comptons sur les citoyens.
Deux architectes spécialisés dans la
restauration du patrimoine ont commencé
à faire l'étude et les travaux
démarreront ce mardi», a dit à
Kapitalis Raouf Dakhlaoui, président de
la délégation spéciale de la commune de
Sidi Bou Saïd.
Les
habitants hagards ne croient pas leurs
yeux.
Les vaines promesses du
président Marzouki
Les citoyens, qui ont manifesté
samedi tard dans la soirée, deux heures
après la maîtrise de l'incendie, et
dimanche matin devant le Palais de
Carthage, semblent ne plus donner du
crédit aux déclarations du président de
la république, Moncef Marzouki, qui a
promis une enveloppe pour la
restauration. En réitérant sa promesse,
lors de sa visite, dimanche soir, au
mausolée, il a eu droit à des
«Dégage!» bien sonores lancés par
une population furieuse.
«Notre objectif, aujourd'hui,
c'est de faire en sorte que les
habitants du village fassent, comme à
l'accoutumée, leurs prières du Mouled
(fête d'anniversaire du prophète
Mohamed, Ndlr) au mausolée. Dès
mardi, un compte bancaire sera ouvert
pour recevoir des dons», explique
encore à Kapitalis M. Dakhlaoui. Ce
dernier a fait partie de la délégation
reçue, au courant de l'après-midi, au
Palais Carthage, par le président
Marzouki. Avec lui, ils étaient dix,
notamment Aïcha Gorgi, gérante de la
galerie Abdallah Farhat, Belhassen Ktari,
Moneêm Ben Chaâbane, Mohamed Hedi Kaâk,
Samira Dhaoui...
Raouf
Dakhlaoui, 2e à partir de la droite,
promet une restauration rapide du
monument.
Le pays risque-t-il de sombrer
dans une guerre civile?
«M. Ben Chaâbane, qui est membre
d'Ennahdha, a exprimé son mécontentement
face à ce qui se passe dans le pays. Il
a très bien parlé au président, trouvant
les mots qu'il faut pour souligner la
nécessité d'arrêter le massacre de notre
patrimoine et de notre legs culturel. Il
a dit à M. Marzouki que ces personnes
ont un programme, leur acte est
prémédité et ils cherchent à provoquer
les intellectuels et les artistes. Il
nous a conseillés de ne pas répondre à
leur provocation sinon le pays va
sombrer dans une guerre civile»,
a-t-il averti.
Alors que les appels à la prière
d'Al-Maghreb résonnent de partout. Seul
le mausolée de Sidi Bou reste tristement
plongé dans son obscurité. Mais il ne
désemplit pas. Au même moment, d'autres
appels ont été lancés par les habitants
de Sidi Bou, pour venir nombreux allumer
des bougies dans les environs. Comme une
lueur d'espoir.
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Publié le 14 janvier 2013 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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