Opinion
Tunisie
Le «Groupe des 25» accuse l'Etat
d'interférer dans la justice
Zohra Abid
Samedi 6 août 2011
Un groupe de 25
avocats justiciers monte au créneau et
accuse l’Etat de décider de tout au nom
de la justice, comme au bon vieux temps
de Ben Ali. Par Zohra Abid
Les avocats ont décidé de sortir de
leur silence après avoir vu Saïda Agrebi,
l’un des symboles féminins de l’ancien
régime, quitter le pays en toute
légalité, et l’ancien ministre de la
Justice Béchir Tekkari libéré.
S’achemine-t-on vers l’acquittement des
figures emblématiques de l’ancien
régime? La Tunisie risque-t-elle de
manquer le virage de la transition et de
se retrouver à la case départ?
L’impunité
n’est pas dans le texte!
Sur cette question qui taraude la
rue, quatre du groupe des 25 avocats ont
organisé un point de presse, vendredi à
El Teatro de Tunis, pour dénoncer ce qui
est en train de se tramer dans les
coulisses des tribunaux tunisiens et
sensibiliser l’opinion publique. Ils ont
voulu que les médias prennent aussi leur
part de responsabilité pour dénoncer les
dénis de justice.
Mais voilà, la salle était à moitié
vide. Les chaînes nationales de
télévision et de radios étaient aux
abonnés absents. Rares les journalistes
tunisiens qui ont répondu présent à
l’invitation. Aux côtés de quelques
médias étrangers, une poignée de
militants, de victimes de l’ancien
système et avocats.
Y a-t-il quelque part un relâchement?
Le sujet serait-il sans intérêt? La
boucle est-elle déjà bouclée?
Préfère-t-on tirer un trait sur le passé
et passer à autre chose?
«Nous voulons une vraie justice. Que
la justice soit rendue. Nous ne
cherchons que cela. S’il s’avère que ces
personnes sont vraiment innocentes, nous
acceptons les verdicts. Mais qu’ils nous
expliquent déjà pourquoi la justice
a-t-elle mis ces gens-là des mois en
prison pour les relâcher après sans
aucune raison, sans aucune explication»,
lance Me Anouar El Bassi.
Halima
est-elle revenue à ses vieilles
habitudes?
Son confrère Amor Safraoui a rappelé,
de son côté, que les plaintes portées
par le groupe des 25 contre une
trentaine de hauts responsables
corrompus ayant participé au pillage du
pays risquent d’être reportées aux
calendes grecques sans raison. Et de
s’étonner de voir que ces plaintes ne
seront pas examinées avant la prochaine
rentrée judiciaire.
«Entre-temps, le juge a déjà été
nommé ailleurs. Et son successeur aura
besoin de temps pour examiner le
dossier. Cette décision a été prise d’en
haut pour faire traîner les affaires», a
expliqué Me Mohamed Ennaceur Laouini.
L’avocat se dit prêt à continuer le
combat bon gré mal gré les décisions des
juges et des décideurs qui ont accordé
des promotions à certains juges
corrompus. «Ce n’est pas possible aussi
de ne pas entendre Mondher Zenaïdi, un
ancien ministre très proche du clan Ben
Ali/Trabelsi depuis 1987 et de laisser
courir dans la nature plein d’autres
hauts responsables de son envergure»,
s’est il étonnée.
Selon Me Laouini, l’ancien système
fonctionne encore comme si de rien
n’était. Selon lui, c’est même pire
qu’avant. «Celui qui décide à la place
du procureur de la République, c’est
l’actuel ministre de la Justice. Ce
dernier agit, bien sûr, sur décision du
Premier ministre qui, à son tour, n’agit
pas seul. Car, derrière M. Caïd Essebsi,
le président par intérim...», accuse le
jeune avocat qui, après l’avalanche de
libérations des symboles de l’ancien
régime, commence à avoir des doutes
sérieux sur les agissements des uns et
des autres.
Anguille sous
roche
L’avocat se veut avant tout citoyen
et militant des droits de l’homme et il
dit non à ce qui se passe actuellement.
Le cas de Saïda Agrebi le rend fou de
rage. Il lance un cri d’alarme contre
ceux qui continuent à faire le beau et
le mauvais temps au ministère de la
Justice. Il s’emporte: «Est-il possible
de voir aujourd’hui Samir Feriani
derrière les barreaux rien que pour
avoir exprimé une opinion? Est-il
possible de voir des manifestants
pacifiques arrêtés et traînés dans la
boue et conduits par la force dans les
casernes de l’armée?».
«Le monde est vraiment à l’envers»,
déplore-t-il. Furieux, Me Laouini évoque
les rapports du ministère des Finances
sur les abus commis par Saïda Agrebi
dans la gestion de l’Association
tunisienne des mères (Atm), dont elle
était présidente jusqu’au 14 janvier
dernier. «Mais pourquoi l’a-t-on laissée
partir cette femme alors qu’elle
encourt, au vu des charges pouvant être
retenues contre elle, de 50 à 60 ans de
prison ? », se demande Me Laouini. Il
ajoute: «Ce sont des instructions de
l’Etat. Nous connaissons tous ceux qui
ont fait le complot contre les
journalistes, ceux qui ont arrêté des
étudiants. Nous connaissons ces juges,
un à un. Ce sont les juges qui étaient
au service des Trabelsi, et qui agissent
aujourd’hui selon les instructions du
gouvernement».
Selon l’avocat, le gouvernement par
intérim fait tout pour protéger les
symboles de la corruption. «Il n’y pas
même pas un parlement légitime auquel il
rend des comptes. Il agit en toute
liberté et se permet tout», dit-il. «Ce
que je vous dis là, c’est la conclusion
de 7 mois d’observation. Voilà ce que
nous pensons, le 5 août 2011, de notre
justice», ajoute-t-il. Que faire ?
L’observatoire des élections de 2004 e
2009 à la barre
Pour les quatre avocats, il est
encore possible de réagir. Comment?
Me Laouini, Me Safraoui, Me El Bassi et
leur consoeur Soumaya Abderrahman ont
déjà pris contact avec des
personnalités, des militants de l’Ugtt
et de la société civile pour faire des
pressions afin que la ne justice soit
rendue. «Si on ne réagit pas à temps, on
risque de reconstruire le pays sur des
piliers minés par la corruption. Il est
vrai que le Rcd est dissous, mais
aujourd’hui, 80 partis sont nés de ce
parti», disent les 25, qui promettent de
ne pas s’arrêter là. Bientôt, le groupe
va porter plainte contre les membres de
l’Observatoire des élections de 2004 et
2009.
«Ils sont des ministres, des
gouverneurs et à leur tête un avocat,
oui un avocat. Pour vous dire que dans
notre structure, des avocats et des
juges et autres collabos de l’ancien
régime et à chacun ses propres intérêts.
Le dossier des élections truquées sera
bientôt dévoilé», lance Me laouini. Pour
lui et ses confrères, il était temps
pour dévoiler et poursuivre ces
personnes grandement impliquées dans
l’ancien système. «Ceci est un signal
pour que le prochain parti qui va
gouverner le pays et qui souhaite être
dans la continuité de l’ancien système
en cousant une ‘‘jebba’’ à sa mesure
soit averti. Nous voulons mettre en
garde les politiques», a-t-il conclu.
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Publié le 7 août 2011 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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