|
Ha'aretz
Même les trompettes auraient dû
avoir honte
Yossi Sarid
La honte du dernier discours de Bush
devant la Knesset. Les Palestiniens ? Oubliés. Les colonies ?
Oubliées. Annapolis ? Rappelez-nous ce dont il s'agit, déjà ? En
revanche, Massada et Hitler (pour s'en prendre à Obama) ont été
bien là. Visiblement, la Knesset a adoré. Les Palestiniens et
les Américains probablement beaucoup moins. Vous avez dit
"république bananière" ? NdT
Ha'aretz, 23 mai 2008
http://www.haaretz.com/hasen/spages/986425.html
Les trompettes et les applaudissements se sont tus, les claques
sur le dos ont cessé et, pourtant, le discours retentit
toujours. Son écho a voyagé ici et surtout là-bas, aux
Etats-Unis, d¹une côte à l¹autre.
Un journal rapportait depuis la Knesset 14 standing ovations. Un
autre en avait compté 18, pas moins. Le coeur des élus et des
invités au balcon battait la chamade. Et tout cela pourquoi ?
Parce que les Palestiniens s¹étaient évanouis dans la nature. La
terre s¹était ouverte et les avait engloutis. Finalement, le
rêve s¹accomplit : la "vision de Bush", la "Feuille de route",
un Etat palestinien en décembre
tout cela a disparu sans laisser de traces, en même temps que
les colonies et les check points. Jamais Jérusalem n¹avait été
aussi loin d¹Annapolis. Jamais la Knesset n¹avait été aussi loin
de la réalité.
La Knesset est un sous-marin bleu et blanc, dont l¹oxygène
commence à manquer et dont la vue sur la réalité se brouille.
Dans 60 ans, promet le président de la Knesset, la vie ici sera
bonne. Alors, pourquoi ne pas se
lever et applaudir ?
On peut aisément imaginer le président de l¹Autorité
palestinienne assis dans son bureau, regardant le discours de
George Bush à la télévision sans en croire ses yeux et se
demandant s¹il devait desserrer les poings et ce qu¹il pouvait
faire de sa honte alors qu¹on se moquait de lui et de ses
positions modérées. Maintenant, Mahmoud Abbas pourrait-il avoir
l¹amabilité d¹attendre aussi que les prochains pourparlers avec
la Syrie ne portent pas leurs fruits ?
L¹excitation ressentie dans la salle plénière va crescendo : «
Massada ne tombera pas une deuxième fois », formule encore plus
impressionnante en anglais qu¹en hébreu. Un nègre doué avait mis
les mots dans la bouche de l¹orateur, mots dont il ignore
totalement le sens. Si, Massada tombera de nouveau, très
certainement, si nous nous adossons une fois de plus à un coin
de l¹Histoire, à une position massadienne : un millier de
fanatiques et leurs familles, assiégés et désespérés,
choisissant la mort. Du côté droit de la lune, le côté sombre,
il sera toujours possible de trouver un personnage mal luné,
suicidaire pour lui-même et pour son peuple, une sorte de
réincarnation de Ben Yaïr, le chef des fanatiques de Massada.
Et maintenant, le clou de la fête : la machine nous sort Hitler.
Quoi de plus émouvant ?
Ainsi parla George W. Bush : "Certains semblent croire que nous
devrions négocier avec les terroristes et les radicaux. Comme si
une quelconque discussion de bonne foi les convaincrait qu¹ils
font fausse route. Nous
avons déjà entendu cette illusion folle. Alors que les Nazis
envahissaient la Pologne en 1939, un sénateur américain avait
dit : OSeigneur, si seulement j¹avais pu parler à Hitler, tout
cela aurait pu être évité.¹ Nous
avons le devoir d¹appeler cela le confort fallacieux de
l¹apaisement, discrédité par l¹Histoire."
Bush évoque un sénateur mort et oublié depuis longtemps, mais il
en vise un autre, bien vivant lui, et qui pourrait hériter de
son poste dans cinq mois. Peut-être les députés israéliens
étaient-ils trop occupés pour suivre, mais ces mots ont
déclenché une tempête aux Etats-Unis car la diatribe de Bush
était sans fondement. Barack Obama n¹a pas réellement proposé de
négocier inconditionnellement avec des terroristes, et en outre,
nous avons déjà vu où Bush lui-même avait mené le monde par la
seule force brutale et arrogante.
Pas un seul député israélien n¹est resté assis en signe de
désaccord respectueux avec le hourra ambiant.
On peut seulement imaginer ce que le peuple d¹Amérique a pu
penser de ce comportement : on lave le linge sale américain à
l¹étranger, et des élus d¹un parlement étranger mettent leur nez
dans le linge souillé pour le
respirer avec un délice ouvertement affiché. Ce que nous
détestons que l¹on nous fasse, nous venons de le faire à nos
amis.
Nos députés et ministres seraient peut-être intéressés
d¹apprendre ce qui s¹est passé aux Etats-Unis le jour même du
discours de Bush : dans une élection partielle au Mississipi,
dans une circonscription clairement
républicaine, un candidat démocrate a été élu au Congrès. Il
s¹agit de la troisième défaite d¹affilée pour un candidat
républicain, et certains considèrent cela comme un signe
avant-coureur de ce qui se produira en
novembre. Des Républicains de premier plan disent maintenant aux
autres candidats de leur parti de se démarquer du président.
Même John McCain, le candidat aux présidentielles, préfère ne
pas être vu en compagnie de Bush (1).
Pendant sept ans, Bush est resté en dehors et nous a laissés
saigner, nous et les Palestiniens. Soudain, il nous rend deux
visites en quatre mois. En fin de règne, clopin-clopant, Bush
n¹a plus nulle part où aller. Or, personne ne le serrera dans
ses bras davantage que Shimon Peres, Ehoud Olmert et Dalia Itzik.
Cette démonstration de servilité ne pouvait avoir lieu qu¹en
Israël. Même les trompettes auraient dû avoir honte.
Bientôt, un nouveau président américain sera élu. Les chances
d¹Obama augmentent. Lui n¹aura pas besoin de sept ans pour
venir. Du moins peut-on l¹espérer.
Et quand il viendra, il sera invité à s¹adresser à la Knesset,
et lui aussi prononcera de jolis mots d¹amitié. Corrigera-t-il
aussi ceux qu¹il aime ? On peut seulement l¹espérer.
Et ne vous inquiétez pas : la Knesset se lèvera et ovationnera.
Le roi est mort, vive le roi. Et elle s¹agenouillera. Car telle
est la coutume dans une fière république bananière.
(1) John McCain a, lui aussi, eu droit à sa petite affaire
Hitler. L¹un de ses soutiens téléévangélistes du Texas (du nom
de John Hagee) avait déclaré : "Dieu a envoyé Adolf Hitler pour
aider les Juifs à atteindre la terre
promise." McCain a dû se désolidariser. On vit une époque
formidable (ndt)
* Yossi Sarid est ancien ministre et ancien secrétaire général
du parti Meretz. Trad. : Gérard
pour
|