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Ha'aretz
Libérez
Barghouti
Yossi Sarid*
http://www.haaretz.com/hasen/spages/789917.html
Ha'aretz, 21 novembre 2006
Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant
Avant et pendant sa visite aux Etats-Unis, le Premier ministre
Ehoud Olmert a annoncé qu'il apporterait avec lui un grand nombre
de surprises, si seulement Mahmoud Abbas est prêt à le
rencontrer. Le président de l'Autorité palestinienne ne peut même
pas imaginer ce qui l'attendra lors d'une telle réunion, repoussée
d'ailleurs depuis des mois sinon des années. Mieux vaut tenir une
rencontre dans les bois que trois promesses tenues. C'est toujours
comme cela que les choses fonctionnent quand on se rend au Bureau
Ovale : à l'aller, montagnes et collines à gravir, plaines et
vallées tranquilles au retour. La route qui mène à Ramallah
passe par Washington, et elle fait 10.000 kilomètres.
Marwan Barghouti, lui, ne va nulle part. Il demeure dans sa prison
de Hadarim, condamné cinq fois à perpétuité par un tribunal
civil. Des "sources bien informées" se sont assurées
de faire savoir qu'il n'y avait aucune chance pour qu'il soit libéré
dans le cadre d'un éventuel échange entre détenus palestiniens
et le soldat enlevé Gilad Shalit. Le gouvernement ne veut pas libérer
Barghouti, point barre. Encore une de ses erreurs.
Non pas que Barghouti soit un Juste, dans une région où les
Justes n'existent pas, mais il n'a pas de "sang sur les
mains". Au pire, le sang lui est monté à la tête après
l'assassinat ciblé et malheureux de son ami Rami Kaed. Il est
possible que Barghouti soit responsable d'attentats terroristes,
mais il s'agit de la "responsabilité du commanditaire"
(ce qui, en soi, constitue une base sérieuse pour être condamné).
Le problème, c'est
qu'il n'y a personne de l'autre côté qui n'ait aucune
responsabilité en la matière. Et qui, du nôtre n'en a pas? Tout
le monde a déjà baigné au moins une fois dans le fleuve de
sang, et il est tout à fait possible de baigner
deux fois dans ledit fleuve de sang, le sang des innocents.
Chacune des personnalités avec lesquelles nous avons négocié
(et avec lesquelles nous négocierons encore) est malheureusement
connue pour avoir été un
commanditaire de terroristes. Barghouti, en l'espèce, n'est ni
pire ni meilleur.
Dans son chaos, le paysage politique palestinien se divise en deux
camps principaux, tout le reste étant des groupes dissidents ou
dissidents de dissidents. Le camp modéré reconnaît Israël et
est prêt à accepter son
existence, alors que le camp radical-extrémiste refuse tout
compromis et considère Israël comme un élément étranger qu'il
faut éradiquer. Bien qu'Israël fasse tous les efforts possibles
pour brouiller les frontières entre ces deux camps et n'en faire
qu'un, Barghouti appartient toujours au camp de la réconciliation,
et quiconque fait autorité en Israël ne peut contester cette
analyse. Depuis sa prison, il a soutenu l'élection de Mahmoud
Abbas à la présidence, alors qu'il aurait eu les moyens d'agir
autrement.
En prison, c'est lui qui a rédigé le "document des
prisonniers" conçu par des membres du Fatah et du Hamas, qui
appelle à deux Etats sur la base des frontières de 1967, adopte
les accords précédents conclus entre les deux parties et renonce
à la lutte armée dans les territoires non occupés. Il ne s'agit
pas d'un document parfait, et les Israéliens ne sont pas invités
à le signer, mais indiscutablement, il constitue une base
raisonnable de discussion.
Il n'y aura pas de troisième camp palestinien qui conviendrait
mieux à Israël. Et pour Israël, Barghouti est le dirigeant
palestinien le plus souhaitable. Même en cherchant bien, il n'est
pas possible de trouver un leader palestinien plus populaire. Il y
a à peine quelques jours, un sondage a été réalisé dans les
camps de réfugiés du Liban, et encore une fois, même là-bas,
il s'est confirmé que Barghouti était le plus populaire, plus
que
Khaled Mesh'al et plus encore que Mahmoud Abbas. La prison israélienne
a fait de lui un martyr, et lui donne l'image d'un homme
courageux, intègre et populaire. Barghouti est un shahid de son
vivant.
Il est vrai qu'Abbas suscite l'admiration pour sa force morale. Il
est si difficile, et presque surhumain, de dominer ses passions et
de ne pas brûler dans le fourneau des calamités quotidiennes.
Mais il ne peut pas agir seul, et il a besoin d'aide. Personne ne
peut l'aider mieux que Barghouti. Avec Barghouti à ses côtés,
Abbas pourra s'asseoir à la table des négociations sans que sa
chaise ne branle sous lui.
Et qu'arrivera-t-il le jour où Abbas disparaîtra de la scène?
Qui lui succèdera? Dans la situation actuelle, seul un éternel
partisan du refus du Hamas pourra lui succéder, car au sein d'un
Fatah affaibli, il n'y a pour le
moment aucun successeur naturel. Israël va-t-il continuer à
maintenir Barghouti en prison, tant que celui-ci ne sera pas lui
aussi affaibli prématurément? Est-ce cela, le plan secret d'Olmert?
Un jour viendra, et il n'est pas loin, où Marwan Barghouti
prisonnier sera nommé président de l'Autorité palestinienne, ou
président de la Palestine. Et que ferons-nous alors? Le
monde entier (y compris l'Amérique, qui est en train de changer)
exigera la libération immédiate des hommes élus par le jeu de
la démocratie, idéal de George W. Bush, inventeur bien connu des
démocraties.
Il n'y a rien de nouveau sous le soleil. Les gouvernements israéliens
feront toujours ce qu'il faut trop tard. C'est ainsi qu'ils aiment
faire les choses.
* Yossi Sarid est ancien ministre et ancien secrétaire général
du parti Meretz |