Vladimir Poutine explique sa politique
étrangère (1ère partie)
La Russie et
l'évolution du monde
Vladimir V. Poutine
Samedi 3 mars
2012
Le Réseau Voltaire
reproduit l’article que le candidat
Poutine à consacré à sa future politique
étrangère dans le quotidien
Moskovskie Novosti. Dans cette 1ère
partie, il observe l’érosion du droit
international consécutif à la politique
d’ingérence des Occidentaux, et livre
l’interprétation russe du « printemps
arabe » comme révolution colorée. Il
revient sur la catastrophe humanitaire
et morale consécutive à l’attaque de la
Libye et s’interroge sur les origines du
bellicisme occidental en Syrie. Enfin il
passe en revue les défis pour la Russie
notamment en Afghanistan et en Corée du
Nord. Cinq années après son
discours à la conférence de Munich,
il reste fidèle aux même principes. La
Fédération de Russie se pose en garante
de la stabilité mondiale et du dialogue
des civilisations, sur la base du
respect du droit international.
Dans mes articles [1],
j’ai déjà abordé les principaux défis
extérieurs auxquels la Russie est
confrontée à l’heure actuelle.
Cependant, ce thème mérite d’être
discuté plus en détails, et pas
seulement parce que la politique
extérieure fait partie intégrante de
toute stratégie nationale. Les défis
extérieurs et l’évolution du monde qui
nous entoure nous poussent à prendre des
décisions d’ordre économique, culturel,
budgétaire et dans le domaine des
investissements.
La Russie fait partie d’un grand
monde, aussi bien du point de vue de
l’économie et de la diffusion de
l’information que de la culture. Nous ne
pouvons pas et ne voulons pas nous
isoler. Nous espérons que notre
ouverture permettra d’améliorer le
bien-être et la culture des citoyens
russes et de renforcer la confiance, qui
devient une ressource rare.
Mais nous prendrons systématiquement
appui sur nos intérêts propres et nos
objectifs, et non pas sur des décisions
dictées par un tiers. La Russie n’est
respectée et prise au sérieux que
lorsqu’elle est forte et qu’elle se
tient fermement campée sur ses
positions. La Russie a pratiquement
toujours eu le privilège de pouvoir
mener une politique étrangère
indépendante. Et ce sera le cas
également à l’avenir. Qui plus est, je
suis convaincu qu’il n’est possible
d’assurer la sécurité dans le monde
qu’avec la Russie, et non pas en
s’efforçant de l’évincer, d’affaiblir
ses positions géopolitiques et sa
capacité de se défendre.
Les objectifs de notre politique
étrangère revêtent un caractère
stratégique, non conjoncturel, et
reflètent la place exclusive de la
Russie sur la carte politique mondiale,
son rôle dans l’histoire et dans
l’évolution de la civilisation.
Nous poursuivrons, évidemment, une
politique proactive et constructive,
visant à renforcer la sécurité globale,
à renoncer à la confrontation, à réagir
efficacement aux défis tels que la
prolifération des armes nucléaires, les
conflits régionaux et les crises, le
terrorisme et le trafic de drogue. Nous
ferons tout pour que la Russie dispose
des derniers acquis du progrès
scientifique et technologique, et pour
assurer à nos entreprises une place
importante sur le marché mondial.
Nous ferons tout pour que la mise en
œuvre du nouvel ordre mondial, basé sur
les réalités géopolitiques
contemporaines, se déroule de manière
progressive, sans perturbations
inutiles.
La confiance érodée
Comme auparavant, je pense que les
principaux fondements incluent le droit
fondamental à la sécurité pour tous les
États, le caractère inadmissible de
l’utilisation excessive de la force, et
le respect à la lettre des principes
fondamentaux du droit international. Le
mépris de ces règles provoque la
déstabilisation des relations
internationales.
Et c’est précisément à travers un tel
prisme que nous percevons certains
aspects du comportement des États-Unis
et de l’Otan, qui ne s’inscrivent pas
dans la logique du développement
contemporain, et qui sont fondés sur les
stéréotypes de la politique des blocs.
Tout le monde comprend à quoi je fais
allusion. Il s’agit de l’expansion de
l’Otan, qui se traduit notamment par le
déploiement de nouveaux moyens
d’infrastructure militaire, ainsi que
les projets de l’Alliance (sur
l’initiative des Américains) de mise en
place en Europe du bouclier antimissile
(ABM). Je n’aurais pas abordé ce thème
si ces jeux n’étaient pas menés à
proximité immédiate des frontières
russes, s’ils n’affaiblissaient pas
notre sécurité et s’ils ne contribuaient
pas à l’instabilité dans le monde.
Notre argumentation est bien connue,
ce n’est pas la peine d’y revenir, mais,
malheureusement, elle n’est pas prise en
considération par nos partenaires
occidentaux, qui refusent de l’entendre.
Il est préoccupant de voir que bien
que nos "nouvelles" relations avec
l’Otan n’aient pas encore acquis une
forme définitive, l’Alliance commet déjà
des actes qui ne contribuent en aucun
cas à l’établissement d’un climat de
confiance. En elle-même, une telle
pratique affecte le calendrier
international, empêche de définir un
ordre du jour positif dans les relations
internationales et ralentit les
changements structurels.
Une série de conflits armés, menés
sous le prétexte d’objectifs
humanitaires, sape le principe séculaire
de souveraineté nationale. Un autre
vide, moral et juridique, se crée dans
les relations internationales.
On dit souvent que les droits de
l’homme priment sur la souveraineté
nationale. C’est indéniable, de la même
manière que les crimes contre l’humanité
doivent être sanctionnés par la Cour
pénale internationale. Mais lorsqu’en
s’appuyant sur cette disposition, la
souveraineté nationale est facilement
violée, lorsque les droits de l’homme
sont défendus de l’extérieur de manière
sélective, et que ces mêmes droits sont
violés au cours de ce processus de
"défense", y compris le droit sacré à la
vie, il ne s’agit pas d’une cause noble
mais de démagogie pure et simple.
Il est important que l’ONU et le
Conseil de sécurité puissent s’opposer
efficacement au diktat de certains pays
et à l’arbitraire sur la scène
internationale. Nul n’a le droit de
s’octroyer les prérogatives et les
pouvoirs de l’ONU, notamment en ce qui
concerne l’utilisation de la force
contre des États souverains. Il est
avant tout question de l’Otan, qui
cherche à s’arroger des compétences qui
ne sont pas celles d’une "alliance de
défense." Tout cela est plus que
sérieux. Nous nous souvenons des vaines
exhortations au respect des normes
juridiques et de la décence humaine
élémentaire de la part des États qui ont
été victimes d’opérations "humanitaires"
et de bombardements opérés au nom de la
"démocratie." Ils n’ont pas été
entendus, et on ne voulait pas les
entendre.
Apparemment, l’Otan, et d’abord les
États-Unis, ont leur propre perception
de la sécurité, qui est foncièrement
différente de la nôtre. Les Américains
sont obsédés par l’idée de s’assurer une
invulnérabilité absolue, ce qui est
utopique et irréalisable, aussi bien sur
le plan technique que géopolitique.
C’est précisément le fond du problème.
L’invulnérabilité absolue pour l’un
impliquerait la vulnérabilité absolue de
tous les autres. Il est impossible
d’accepter une telle perspective.
Toutefois, pour des raisons bien
connues, beaucoup de pays préfèrent ne
pas en parler ouvertement. Mais la
Russie appellera toujours les choses par
leur nom, et elle le fera ouvertement.
Je voudrais souligner une nouvelle fois
que la violation des principes d’unité
et du caractère inaliénable de la
sécurité, et ce en dépit des nombreux
engagements contractés selon ces
principes, est susceptible d’engendrer
des menaces très graves. En fin de
compte, cela concerne également les
États qui, pour diverses raisons, sont à
l’origine de telles violations.
Le printemps arabe :
les leçons et les conclusions
Il y a un an, le monde a été
confronté à un phénomène nouveau — des
manifestations pratiquement simultanées
dans de nombreux pays arabes contre les
régimes autoritaires. Au départ, le
printemps arabe était interprété comme
porteur d’espoir de changements
positifs. Les Russes étaient du côté de
ceux qui aspiraient aux réformes
démocratiques.
Cependant, il s’est rapidement avéré
que dans de nombreux pays, la situation
n’évoluait pas selon un scénario
civilisé. Au lieu d’affirmer la
démocratie et de défendre les droits des
minorités, on a assisté à l’évincement
de l’adversaire, à son renversement, une
force dominante se trouvant remplacée
par une autre force plus agressive.
L’ingérence extérieure, qui s’est
rangée du côté de l’une des parties au
conflit, ainsi que le caractère
militaire de cette ingérence, ont
contribué à une évolution négative de la
situation. Tant et si bien que certains
pays ont éliminé le régime libyen grâce
à l’aviation, en se protégeant derrière
des slogans humanitaires. Et l’apothéose
a été atteinte lors de la scène
répugnante du lynchage barbare de
Mouammar Kadhafi.
Il faut empêcher de réitérer le
scénario libyen en Syrie. Les efforts de
la communauté internationale doivent
être avant tout axés sur la
réconciliation en Syrie. Il est
important de réussir à stopper au plus
vite la violence, quelle que soit son
origine, d’ouvrir enfin le dialogue
national, sans conditions préalables,
sans ingérence étrangère et en
respectant la souveraineté du pays. Cela
créerait des prémisses à la mise en
œuvre réelle des mesures de
démocratisation annoncées par le
gouvernement syrien. Le plus important
est d’empêcher une guerre civile à part
entière. La diplomatie russe a travaillé
et travaillera dans ce sens.
Après une expérience amère, nous nous
opposons à l’adoption de telles
résolutions par le Conseil de sécurité
des Nations Unies, qui seraient
interprétées comme un coup d’envoi à une
ingérence militaire dans les processus
intérieurs en Syrie. Et c’est en suivant
cette approche fondamentale que la
Russie et la Chine ont bloqué, début
février, une résolution qui, par son
ambiguïté, aurait encouragé en pratique
la violence exercée par l’une des
parties en conflit.
A cet égard, étant donné la réaction
très violente et presque hystérique au
veto sino-russe, je voudrais mettre en
garde nos collègues occidentaux contre
la tentation de recourir au schéma
simpliste utilisé auparavant : en
l’absence d’aval du Conseil de sécurité
des Nations Unies, formons une coalition
des États intéressés. Et à l’attaque.
La logique même d’un tel comportement
est pernicieuse. Elle ne mène à rien de
bon. En tout cas, elle ne contribue pas
au règlement de la situation dans un
pays frappé par un conflit. Pire encore,
elle déstabilise davantage l’ensemble du
système international de sécurité et
détériore l’autorité et le rôle central
de l’ONU. Rappelons que le droit de veto
n’est pas un caprice, mais une partie
intégrante de l’ordre mondial consacrée
par la Charte des Nations Unies – sur
l’insistance des États-Unis, d’ailleurs.
Ce droit implique le fait que les
décisions auxquelles s’oppose au moins
un membre permanent du Conseil de
sécurité ne peuvent pas être cohérentes
et efficaces.
J’espère que les États-Unis et
d’autres pays tiendront compte de cette
expérience amère et ne chercheront pas à
lancer une opération militaire en Syrie
sans l’aval du Conseil de sécurité des
Nations Unies. D’ailleurs, je n’arrive
pas à comprendre d’où viennent ces
"démangeaisons belliqueuses". Pourquoi
manque-t-on de patience pour élaborer
une approche collective ajustée et
équilibrée, d’autant plus qu’elle
commençait à prendre forme dans le
projet de résolution syrienne, mentionné
plus tôt. Il ne restait plus qu’à exiger
la même chose de l’opposition armée que
du gouvernement, en particulier de
retirer les unités armées des villes. Le
refus de le faire est cynique. Si nous
voulons assurer la sécurité des civils,
ce qui est la priorité de la Russie, il
est nécessaire de raisonner tous les
camps impliqués dans le conflit armé.
Et il existe également un autre
aspect. Il s’avère que dans les pays
touchés par le printemps arabe, de même
qu’en Irak à l’époque, les sociétés
russes cèdent leurs positions acquises
au cours des décennies sur les marchés
locaux et perdent des contrats
commerciaux importants. Et les créneaux
vacants sont récupérés par les acteurs
économiques des pays qui ont contribué
au renversement des régimes en place.
On pourrait penser que dans une
certaine mesure, ces événements
tragiques n’ont pas été motivés par le
souci du respect des droits de l’homme,
mais par la volonté de redistribuer les
marchés. Quoi qu’il en soit, nous ne
pouvons bien sûr pas rester les bras
croisés. Et nous avons l’intention de
travailler activement avec les nouveaux
gouvernements des pays arabes afin de
rétablir rapidement nos positions
économiques.
Dans l’ensemble, les événements dans
le monde arabe sont très instructifs.
Ils montrent que la volonté d’instaurer
la démocratie en utilisant la force peut
conduire et conduit souvent au résultat
inverse. On assiste à l’émergence de
forces, y compris d’extrémistes
religieux, qui cherchent à changer la
direction même du développement des pays
et la nature laïque de leur gestion.
La Russie a toujours eu de bonnes
relations avec les représentants modérés
de l’islam, dont l’idéologie est proche
des traditions des musulmans russes. Et
nous sommes prêts à développer ces
relations dans les conditions actuelles.
Nous sommes intéressés par la
dynamisation des liens politiques,
commerciaux et économiques avec tous les
pays arabes, y compris, je le répète,
ceux qui viennent de traverser une
période de troubles. De plus, selon moi
il existe de réelles conditions
permettant à la Russie de conserver à
part entière ses positions de leader sur
la scène moyen-orientale, où nous avons
toujours eu de nombreux amis.
En ce qui concerne le conflit
israélo-arabe, la "recette miracle" qui
permettrait de régler la situation n’a
toujours pas été trouvée. Il ne faut en
aucun cas baisser les bras. Etant donné
la proximité de nos relations avec le
gouvernement israélien et les dirigeants
palestiniens, la diplomatie russe
continuera à contribuer activement au
rétablissement du processus de paix de
manière bilatérale et dans le cadre du
Quatuor pour le Moyen-Orient, en
coordonnant ses actions avec la Ligue
arabe.
Le printemps arabe a également mis en
évidence l’utilisation particulièrement
active des technologies avancées de
l’information et de la communication
dans la formation de l’opinion. On peut
dire qu’Internet, les réseaux sociaux,
les téléphones portables, etc. se sont
transformés, avec la télévision, en un
outil efficace aussi bien de la
politique nationale qu’internationale.
C’est un nouveau facteur qui demande
réflexion, notamment afin qu’en
continuant à promouvoir la liberté
exceptionnelle de communication sur le
web, on réduise le risque de son
utilisation par les terroristes et les
criminels.
On emploie de plus en plus souvent la
notion de "puissance douce" (soft
power), un ensemble d’outils et de
méthodes pour accomplir des tâches de
politique étrangère sans utiliser les
armes, grâce à des leviers
informationnels et autres.
Malheureusement, ces méthodes sont
souvent utilisées pour encourager et
provoquer l’extrémisme, le séparatisme,
le nationalisme, la manipulation de la
conscience de l’opinion publique et
l’ingérence directe dans la politique
nationale des États souverains.
Il convient de faire clairement la
distinction entre la liberté
d’expression et l’activité politique
normale, d’une part, et l’utilisation
des outils illégitimes de puissance
douce de l’autre. On ne peut que saluer
le travail civilisé des organisations
humanitaires et caritatives non
gouvernementales. Y compris par leurs
critiques actives des autorités en
place. Cependant, les activités des
"pseudo-ONG" et d’autres organismes
ayant pour but de déstabiliser, avec le
soutien étranger, la situation dans tel
ou tel pays, sont inacceptables.
Je veux parler des cas où l’activité
d’une organisation non gouvernementale
n’était pas motivée par les intérêts (et
les ressources) des groupes sociaux
locaux, mais était financée et
entretenue par des forces extérieures. A
l’heure actuelle, il existe dans le
monde de nombreux "agents d’influence"
des grandes puissances, des alliances et
des corporations. Lorsqu’ils agissent
ouvertement, il s’agit simplement d’une
des formes de lobbyisme civilisé. La
Russie dispose également de telles
institutions – l’agence fédérale
Rossotroudnitchestvo, la fondation
Rousski mir (Monde russe), ainsi que nos
principales universités, qui élargissent
la recherche d’étudiants talentueux à
l’étranger.
Mais la Russie n’utilise pas les ONG
nationales d’autres pays et ne finance
pas ces ONG et les organisations
politiques étrangères afin de promouvoir
ses propres intérêts. La Chine, l’Inde
et le Brésil ne le font pas non plus.
Selon nous, l’influence sur la politique
nationale et sur l’opinion publique dans
d’autres pays doit être exclusivement
ouverte. De cette façon, les acteurs
agiront de manière la plus responsable
possible.
Les nouveaux défis et
menaces
L’Iran se trouve actuellement
sous les feux des projecteurs.
Évidemment, la Russie est préoccupée
par la menace croissante du
lancement d’une opération militaire
contre ce pays. Si cela se
produisait, les conséquences
seraient vraiment désastreuses. Il
est impossible d’imaginer leur
véritable ampleur.
Je suis convaincu que ce problème
doit être réglé uniquement de
manière pacifique. Nous proposons de
reconnaître le droit de l’Iran de
développer son programme nucléaire
civil, y compris le droit de
produire de l’uranium enrichi. Mais
il faut le faire moyennant le
placement de toute l’activité
nucléaire iranienne sous le contrôle
minutieux et fiable de l’Agence
internationale de l’énergie atomique
(AIEA). Si cela fonctionne, on
pourra lever toutes les sanctions
contre l’Iran, y compris
unilatérales. L’Occident s’est
laissé emporter par sa tendance à
vouloir châtier certains pays. À la
moindre contrariété, il engage des
sanctions, voire lance une opération
militaire. Je voudrais rappeler que
nous ne sommes plus au XIXe ni même
au XXe siècle.
La situation autour du problème
nucléaire nord-coréen est tout aussi
sérieuse. En faisant une entorse au
régime de non prolifération,
Pyongyang exige ouvertement le droit
de disposer du nucléaire militaire
et a déjà réalisé deux essais
nucléaires. Le statut nucléaire de
la Corée du Nord est inacceptable
pour nous. Nous sommes toujours en
faveur de la dénucléarisation de la
péninsule coréenne, par des moyens
exclusivement politiques et
diplomatiques, et nous appelons au
rétablissement des négociations à
six.
Cependant, de toute évidence,
tous nos partenaires ne partagent
pas cette approche. Je suis
convaincu qu’il faut être
particulièrement prudent à l’heure
actuelle. Les tentatives pour tester
la résistance du nouveau dirigeant
nord-coréen, ce qui provoquerait des
contre-mesures irréfléchies, sont
inadmissibles.
Rappelons que la Russie et la
Corée du Nord ont une frontière
commune, et, comme nous le savons,
on ne choisit pas ses voisins. Nous
poursuivrons un dialogue actif avec
le gouvernement de ce pays et le
développement des relations
conviviales, tout en incitant
Pyongyang à régler le problème
nucléaire. Ce serait évidemment plus
facile si l’atmosphère de confiance
mutuelle se renforçait sur la
péninsule et si le dialogue
inter-coréen se rétablissait.
Dans le contexte des passions
déchaînées par les programmes
nucléaires de l’Iran et de la Corée
du Nord, on commence à réfléchir
inévitablement à la manière dont les
risques de prolifération de
l’armement nucléaire apparaissent,
et à ce qui les renforce. On a
l’impression que les cas devenus
plus fréquents d’ingérence
étrangère, brutale et même armée,
dans les affaires nationales d’un
pays, peuvent inciter tel ou tel
régime autoritaire (et pas
seulement) à se doter de l’arme
nucléaire. En pensant que la
possession de cette arme les
protégerait. Et ceux qui ne la
possèdent pas n’ont qu’à attendre
une "intervention humanitaire."
Que cela nous plaise ou non,
l’ingérence étrangère pousse
effectivement vers une telle manière
de penser. Et c’est la raison pour
laquelle le nombre de pays où les
technologies nucléaires militaires
sont "à portée de main" ne diminue
pas, mais augmente. Dans ces
conditions, l’importance des zones
affranchies d’armes de destruction
massive et créées dans différentes
parties de la planète s’accroît. A
l’initiative de la Russie, une
discussion sur les paramètres d’une
telle zone au Moyen-Orient a
commencé.
Il faut tout faire pour que
personne ne soit tenté d’obtenir une
arme nucléaire. A cet effet, les
combattants de la non prolifération
doivent changer eux-mêmes, notamment
ceux qui se sont habitués à punir
d’autres pays par la force militaire
au mépris de la diplomatie. C’était,
par exemple, le cas en Irak, dont
les problèmes n’ont fait que
s’aggraver après une occupation de
près de dix ans.
Si on parvenait enfin à éradiquer
les motivations qui poussent les
Etats à posséder une arme nucléaire,
on pourrait alors rendre le régime
international de non prolifération
véritablement universel et solide
grâce aux traités en vigueur. Un tel
régime permettrait à tous les pays
intéressés de profiter pleinement du
nucléaire civil sous le contrôle de
l’AIEA.
Cela serait très bénéfique pour
la Russie, car nous travaillons
activement sur les marchés
internationaux, nous construisons de
nouvelles centrales nucléaires avec
des technologies modernes et sûres,
et nous participons à la création de
centres internationaux
d’enrichissement d’uranium et de
banques de combustible nucléaire.
L’avenir de l’Afghanistan est
également préoccupant. Nous avons
soutenu l’opération militaire
destinée à apporter une aide
internationale à ce pays. Mais le
contingent militaire international
sous l’égide de l’Otan n’a pas
rempli la mission assignée. Le
danger terroriste et la narcomenace
émanant d’Afghanistan demeurent. En
annonçant le retrait de leurs
troupes de ce pays en 2014, les
États-Unis créent dans ce pays et
les pays voisins des bases
militaires sans aucun mandat, sans
objectif clairement défini ni durée
d’activité annoncée. Bien sûr, cela
ne nous convient pas.
La Russie a des intérêts évidents
en Afghanistan. Et ces intérêts sont
parfaitement légitimes.
L’Afghanistan est notre voisin
proche, et il est dans notre intérêt
que ce pays se développe de manière
stable et pacifique. Et surtout
qu’il cesse d’être la principale
source de la narcomenace. Le trafic
de stupéfiants est devenu l’une des
principales menaces, il sape le fond
génétique des nations tout entières,
crée un milieu prospère pour la
corruption et le crime et conduit à
la déstabilisation de la situation
en Afghanistan même. Il est à noter
que non seulement la production de
stupéfiants afghans ne se réduit
pas, mais que l’année dernière, elle
a augmenté de près de 40%. La Russie
est la cible d’une véritable
agression de l’héroïne, qui inflige
un immense préjudice à la santé de
nos concitoyens.
Étant donné l’ampleur de la
menace émanant de la drogue afghane,
il n’est possible de lutter contre
elle qu’en s’unissant, en s’appuyant
sur l’ONU et les organisations
régionales – l’OTSC (Organisation du
traité de sécurité collective),
l’OCS (Organisation de coopération
de Shanghai) et la CEI (Communauté
des États indépendants). Nous sommes
prêts à envisager une augmentation
significative de la participation de
la Russie à l’opération d’aide au
peuple afghan. Mais à condition que
le contingent international en
Afghanistan agisse de manière plus
énergique dans notre intérêt
également, qu’il s’attelle à la
destruction physique des plantations
de drogue et des laboratoires
clandestins.
Les opérations antidrogue
intensifiées en Afghanistan doivent
s’accompagner du démantèlement des
filières de transport des opiacés
sur les marchés extérieurs, de la
suppression des flux financiers
sponsorisant le trafic de
stupéfiants, ainsi que du blocage
des fournitures des produits
chimiques utilisés pour la
fabrication de l’héroïne. L’objectif
consiste à mettre en place dans la
région un système complexe de
sécurité antidrogue. La Russie
contribuera réellement à
l’unification efficace des efforts
de la communauté internationale afin
de parvenir à un changement radical
dans la lutte contre la narcomenace
mondiale.
Il est difficile de faire des
pronostics sur l’évolution de la
situation en Afghanistan. L’histoire
nous enseigne que la présence
militaire étrangère ne lui a pas
apporté la paix. Seuls les Afghans
sont capables de régler leurs
propres problèmes. Selon moi, le
rôle de la Russie consiste à aider
le peuple afghan à créer une
économie stable et à améliorer la
capacité des forces armées
nationales à lutter contre la menace
du terrorisme et du trafic de
drogue, avec la participation active
des pays voisins. Nous ne sommes pas
opposés à ce que l’opposition armée,
y compris les talibans, se joigne au
processus de réconciliation
nationale, à condition qu’elle
renonce à la violence, reconnaisse
la constitution du pays et rompe ses
liens avec Al-Qaïda et d’autres
organisations terroristes. En
principe, j’estime que
l’établissement d’un État afghan
pacifique, stable, indépendant et
neutre est tout à fait réalisable.
L’instabilité ancrée pendant des
années et des décennies constitue un
terreau fertile pour le terrorisme
international. Tout le monde
reconnaît qu’il s’agit d’un des plus
dangereux défis pour la communauté
internationale. Je voudrais
souligner que les zones de crise qui
engendrent les menaces terroristes
se trouvent à proximité des
frontières russes, bien plus que de
nos partenaires européens ou
américains. Les Nations Unies ont
adopté une Stratégie antiterroriste
mondiale, mais on a l’impression que
la lutte contre ce mal n’est
toujours pas menée selon un plan
universel commun et de manière
cohérente, mais dans en réaction aux
manifestations les plus aiguës et
les plus barbares de la terreur,
lorsque l’indignation publique
suscitée par des actions provocantes
des terroristes atteint son apogée.
Le monde civilisé ne doit pas
attendre qu’une autre tragédie
similaire à celle du 11 septembre
2001 à New York ou de l’école de
Beslan se produise pour commencer à
agir de manière collective et
déterminée.
Toutefois, je suis loin de
vouloir nier les résultats obtenus
dans la lutte contre le terrorisme
international. Ils sont bien
tangibles. Ces dernières années, la
coopération entre les services de
renseignement et les forces de
l’ordre de divers pays s’est
nettement renforcée. Mais les
réserves dans la coopération
antiterroriste sont évidentes. Que
peut-on dire si jusqu’à présent, une
politique de deux poids deux mesures
demeure, et qu’en fonction du pays,
on perçoit les terroristes
différemment, en les considérant
comme "mauvais" ou "pas trop
mauvais." Certains n’hésitent pas à
utiliser ces derniers dans leur jeu
politique, par exemple pour
déstabiliser des régimes jugés
indésirables.
Je dirais également que toutes
les institutions de la société – les
médias, les associations
religieuses, les ONG, le système
d’éducation, la science et les
entreprises, doivent être pleinement
utilisées dans la prévention du
terrorisme. On a besoin d’un
dialogue interconfessionnel et, dans
un sens plus large,
intercivilisationnel. La Russie est
un pays multiconfessionnel et nous
n’avons jamais connu de guerres
religieuses. Nous pourrions apporter
notre contribution à la discussion
internationale sur ce sujet.
À suivre…
Vladimir V. Poutine
[1]
Ces dernières semaines, Vladimir Poutine
a publié une série d’articles détaillant
ses intentions politiques sur les
thématiques principales de sa campagne
présidentielle.
Article sous licence creative
commons
Vous pouvez reproduire librement les
articles du Réseau Voltaire à condition
de citer la source et de ne pas les
modifier ni les utiliser à des fins
commerciales (licence
CC BY-NC-ND).
Le sommaire du Réseau Voltaire
Le
dossier Monde
Les dernières mises à jour
|