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Les abeilles dans la carcasse du lion
Uri Avnery  

 

Je crois que petit à petit une nouvelle conviction se formera dans l’esprit des gens : que cette guerre marque la fin de l’époque des victoires faciles. Que notre armée n’est pas toute puissante. Et surtout : que la guerre ne résout rien, que peut-être la solution n’est pas militaire et que nous ferions mieux de parler avec nos voisins.

Ehoud Olmert a trouvé une preuve de sa grande victoire sur Hassan Nasrallah : « Je visite le pays librement, alors que Nasrallah se cache dans son bunker ! »

On dit que « le style fait l’homme », et par ces mots Olmert montre sa qualité (ou son absence de qualité). Au même moment, des dizaines d’avions et d’hélicoptères de combat israéliens sont là, prêts à tuer Nasrallah si au moins il se montrait. Nasrallah n’a pas un seul avion ou hélicoptère pour tuer Olmert. L’énorme supériorité matérielle de l’armée israélienne sur l’organisation de guérilla n’est pas due à Olmert - mais la capacité du Hezbollah à survivre aux attaques massives de notre armée est certainement due à Nasrallah.

Et, à ce propos, pourquoi Nasrallah voudrait-il tuer Olmert ? Après tout, que lui importe qu’Israël soit dirigé par un politicien en faillite, dont l’incompétence a été prouvée et que beaucoup d’Israéliens voudraient voir partir.

Un cynique pourrait dire : Nasrallah veut qu’Olmert reste, et c’est pourquoi il s’est empressé de l’aider à sortir du Liban. Alors que tout le monde en Israël croyait qu’Olmert avait misérablement échoué, Nasrallah a dit cette semaine dans une interview : « Si j’avais su qu’Israël réagirait comme il l’a fait, je n’aurais pas capturé les deux soldats. »

Comme on pouvait s’y attendre, les hommes d’Olmert ont sauté sur cette phrase. Voyez : Nasrallah s’excuse ! Cela prouve qu’il a été battu ! Donc, finalement, Olmert a gagné !

MAIS LA PLUPART des Israéliens ne croient pas cette invention. Ils croient toujours que nous n’avons pas gagné la guerre, que le pouvoir dissuasif de l’armée israélienne a été atteint, que l’armée libanaise et la force internationale qui seront déployées le long de la frontière ne feront pas pour nous notre boulot après l’échec de notre propre armée à le faire.

Aussi, que faire quand les gens croient qu’ils sont dirigés par un groupe de politiciens et de militaires incapables ?

C’est la grande question qui occupe maintenant la nation entière. Une petite douzaine de réservistes et de civils manifestent devant le bureau du Premier ministre, d’autres sont assis à la maison et rouspètent. Ils savent qu’Olmert, Peretz et Halutz doivent être renvoyés. Mais comment y parvenir ?

La réponse évidente est de descendre dans la rue et de manifester. Si des centaines de milliers de personnes envahissent les places, peut-être qu’Olmert cèdera, comme Golda Meir l’a fait en son temps. Cependant, Olmert n’est pas Golda, et même Golda s’était cramponnée à son fauteuil pendant six mois après ses lamentables échecs dans la guerre du Kippour. Et où sont ces centaines de milliers ?

Une autre possibilité est de désigner une commission d’enquête d’Etat, qui pourrait renvoyer le trio. C’est bien, c’est même très bien, mais c’est difficile. Selon la loi, seul le gouvernement peut décider de mettre sur pied une telle commission, et seul le gouvernement peut décider du mandat de cette commission. C’est seulement après que cette décision sera prise que la question passera aux mains du président de la Cour suprême, qui alors décidera de la composition de la commission.

Une telle enquête demande du temps bien sûr. Avant qu’elle puisse accuser quelqu’un d’échec, elle doit l’avertir, lui permettre d’être représenté par des avocats, étudier attentivement les témoignages et fournir des documents, et c’est un lent processus. Pendant ce temps, les incompétents vont continuer à diriger et peut-être même déclencher une autre guerre, afin de nous faire oublier la dernière. Même si la commission devait publier un rapport provisoire, cela prendrait au moins six mois.

Mais Olmert & Co ne sont pas prêts à prendre même ce risque. C’est pourquoi ils ont mis sur pied deux comités d’enquête cette semaine, qui ne sont pas des commissions d’enquête d’Etat, ce qui leur permet de décider eux-mêmes de leur composition. Aucun comité d’enquête ne demande la démission des gens qui l’ont nommé.

DE QUELLE AUTRE manière peut-on se débarrasser de ce trio ?

Le plus simple est d’avoir de nouvelles élections. Mais ce n’est pas si facile qu’il y paraît. Seule la Knesset peut en décider. Ce qui veut dire que les membres de la Knesset doivent décider de se démissionner eux-mêmes. Cela m’étonnerait.

De surcroît, dans l’état actuel des choses, si des élections devaient avoir lieu, la droite gagnerait nettement. La voix du camp de la paix a été complètement occultée pendant la guerre, et même maintenant, elle est absente des médias. Résultat, la critique de la guerre que l’on entend vient presque exclusivement de la droite. Les gens ne se demandent pas : pourquoi avons-nous déclenché cette guerre ? Ils se demandent : pourquoi n’avons-nous pas gagné ? Et ils répondent : les politiciens corrompus n’ont pas permis à l’armée de gagner. Il faut un nouveau gouvernement, un gouvernement de droite et patriote, afin de réhabiliter l’armée et de lancer une nouvelle guerre pour terminer le travail.

La mise sur pied d’un nouveau gouvernement sans élections, avec l’actuelle Knesset, conduirait au même résultat, parce que la seule alternative à l’actuelle configuration est une coalition qui comprendrait le Likoud et au moins un des deux partis fascistes. Pas bon.

Autre possibilité : laisser en place l’actuelle coalition mais remplacer Olmert et Peretz. Comment ? Par une révolte dans Kadima qui remplacerait Olmert et une révolte au Parti travailliste pour remplacer Peretz. Au parti travailliste une telle possibilité existe. Mais qui se révolterait dans Kadima, un groupe fictif qui n’a aucune structure de parti ?

En résumé : il y a en théorie plusieurs options - toutes mauvaises. Cette situation divise le « camp protestataire ». Certains exigent une commission d’enquête d’Etat, quel qu’en soit le coût. D’autres veulent que le Gang des Trois - Olmert, Peretz et Halutz - démissionne sans aucune enquête. Ce que les deux groupes ont en commun, c’est qu’ils sont soutenus par l’extrême-droite - et en particulier par les colons - qui déclare, suivant la meilleure tradition des inventeurs de la thèse du « coup de poignard dans le dos » en Allemagne après la Première Guerre mondiale : « Les politiciens traîtres ont frappé l’armée victorieuse dans le dos ! »

A ce propos, actuellement le nombre total des manifestants est beaucoup plus faible que les milliers de personnes que le camp de la paix avait mobilisées en pleine guerre pour protester contre elle.

ALORS, que va-t-il se passer ? On ne peut répondre que par le proverbe : L’art de la prophétie est difficile, en particulier quand il concerne l’avenir.

Il est difficile actuellement de savoir ce qui va arriver dans un proche avenir. Mais cela vaut la peine de réfléchir quant à l’impact de la guerre sur l’opinion publique à long terme.

Quand Samson le Héros a vu un essaim d’abeilles faisant leur miel dans la carcasse d’un lion, il a dit : « De la force vient la douceur » (Juges 14). (C’est le même Samson qui a été enlevé par les Philistins et est devenu le premier kamikaze de l’histoire de ce pays.) Cette phrase peut-elle devenir réalité cette fois aussi ? Quelque chose de bon peut-il sortir de cette horrible guerre ?

Peut-être. Certes, pour le moment le résultat de cette guerre en Israël n’a été que sentiments de colère, frustration, insultes et humiliation. Pourquoi n’avons-nous pas vaincu une petite « organisation terroriste » ? Nos dirigeants politiques se sont avérés idiots, nos dirigeants militaires incompétents. Il faut remettre les choses en ordre.

Mais je crois que petit à petit une nouvelle conviction se formera dans l’esprit des gens : que cette guerre marque la fin de l’époque des victoires faciles. Qu’à partir de maintenant, dans toute nouvelle guerre, nos arrières seront exposés. Que notre armée n’est pas toute puissante, comme nous avons été conduits à le croire. Et surtout : que la guerre ne résout rien, que peut-être la solution n’est pas militaire et que nous ferions mieux de parler avec nos voisins.

Il est vrai qu’il n’est pas facile d’arriver à une telle conclusion, qui implique une révolution émotionnelle et idéologique. Cela prendra du temps. Mais il n’est pas besoin d’être un professeur d’université pour y parvenir. Le simple bon sens suffit ainsi que l’expérience accumulée au cours des dernière décennies. Beaucoup de gens, y compris ceux habituellement qualifiés de « braves gens », ont les deux, Dieu merci.

Ceux qui se plaignent que la seconde guerre du Liban a été stoppée avant d’être finie devraient noter le succès de la Symphonie inachevée de Schubert.

Article publié en hébreu et en anglais le 31 août 2006 sur le site de Gush Shalom - Traduit de l’anglais « The Bees in the Lion’s Carcass » : RM/SW

 



Source : AFPS  
http://www.france-palestine.org/article4507.html


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