Gush Shalom
Miss C.
Uri Avnery
D’où
viennent les discours quotidiens à propos de la guerre ? Si
personne ne la veut, pourquoi tant en parler ?
PRÉSENTATION de Miss Calculatsia, cette étrangère
à la mode, la nouvelle star dans le discours israélien.
Pour une oreille hébraïque, ces mots suggèrent
une jeune beauté, comme "Miss Israël". Mais Miss
Calculatsia, la version hébraïque de "mauvais calcul",
n’est ni jeune ni belle, ni même femme : ce n’est
qu’un mot étranger prétentieux utilisé à la place d’un
autre mot hébreu qui conviendrait parfaitement.
(En latin, "calculus" est une petite
pierre. Celles-ci étaient montées dans les bouliers qui étaient
utilisés par les Romains bien avant qu’ils aient pu imaginer
les ordinateurs.)
Le mauvais calcul en question n’est pas une
reine de beauté, mais une reine de laideur : une guerre
entre Israël et la Syrie, qui peut éclater à tout instant - non
parce qu’Israël ou les Syriens la veulent, mais parce qu’un côté
évalue mal un acte provocateur qui poussera l’autre à la
guerre.
Comme toutes les guerres, celle-ci sera une
campagne de mort et de destruction, avec deuils et réfugiés,
souffrance et désespoir de part et d’autre. Et personne ne peut
prévoir comment elle se terminera.
PRESQUE TOUS les jours, le Premier ministre, le
ministre de la Défense et leurs laquais déclarent qu’Israël
ne veut pas la guerre. Pas du tout. Jamais de la vie !
Ces déclarations font plutôt penser à un
commentaire d’Hamlet sur sa mère infidèle : "La dame
proteste trop, ce me semble." D’autant plus qu’Ehoud
Barak fait ses déclarations de paix depuis les Hauteurs du Golan
occupé, avec en arrière-plan les tanks avançant bruyamment dans
une simili-manœuvre de guerre.
Les chefs des services de renseignement de l’armée
israélienne disent que, selon leur estimation, la Syrie n’a pas
l’intention de déclencher une guerre. Selon eux, la Syrie n’a
aucun intérêt à la guerre, pour le moment.
Pour compléter le tableau, cette semaine Hassan
Nasrallah a déclaré lors d’une grande manifestation à
Beyrouth que le Hezbollah non plus ne souhaitait pas la guerre.
Il n’y a pas non plus la moindre pression
populaire en faveur de la guerre. Les Israéliens en ont peur et,
semble-t-il, les Syriens aussi.
Alors, d’où viennent les discours quotidiens à
propos de la guerre ? Si personne ne la veut, pourquoi tant
en parler ? Pourquoi les médias, en Israël et dans le monde
entier, parlent de "la tension sur la frontière nord d’Israël" ?
Pourquoi l’armée israélienne fait conduit-elle des manœuvres
forcenées sur le Golan ? Pourquoi y a-t-il des rapports sur
l’augmentation rapide de l’armement syrien et la construction
intensive de fortifications contre Israël ? Pourquoi le
gouvernement turc propose-t-il sa médiation urgente entre Israël
et la Syrie ?
Tout cela est très mystérieux.
IL SEMBLE que la clé de ce mystère ne se trouve
ni à Jérusalem ni à Damas, mais à Washington.
Quand Ehoud Olmert refuse de répondre aux sérénades
de Bashar al-Assad, il insinue que le Président Bush interdit
tout contact avec les Syriens. L’année dernière, l’Amérique
poussa Israël à la guerre au Liban, bloqua un cessez-le-feu
rapide et il semble qu’elle souhaitait étendre la guerre à la
Syrie.
La Syrie appartient, bien sûr, à l’"Axe
du Mal" qui existe dans l’esprit de Bush. Ses alliés
arabes lui disent, en vain, qu’il fait une erreur. La Syrie
sunnite n’est pas l’alliée naturelle des chiites iraniens.
Elle n’a besoin d’eux que parce que les Etats-Unis
l’isolent. Damas n’utilise le Hezbollah chiite, comme ils
l’expliquent, que pour faire pression sur Beyrouth et sur Jérusalem.
La logique dit que les Etats-Unis auraient intérêt à aider à
la paix entre Israël et la Syrie pour détacher celle-ci de
l’emprise iranienne. Mais Bush ne le comprend pas.
Peut-être pousse-t-il Olmert à la guerre contre
la Syrie afin de détourner l’attention de son propre fiasco en
Irak, qui empire chaque jour. Ou peut-être veut-il seulement créer
artificiellement une certaine tension afin de faire tomber le régime
Assad. L’essentiel est de promouvoir une nouvelle démocratie
arabe, à l’image de l’Egypte, de la Jordanie ou de l’Arabie
Saoudite.
La question qui se pose est : pourquoi Israël
entre-t-il dans ce jeu ?
LE PERSONNAGE central dans cette pièce est Ehoud
Barak. Sa relation avec la Syrie ne date pas d’hier. Il y a huit
ans, durant son court et calamiteux mandat comme Premier ministre,
il a caressé l’idée de faire la paix avec la Syrie. Il a négocié
avec Hafez al-Assad et - ô surprise ! - les deux parties
sont parvenues au bord d’un accord de paix historique. Le Golan
aurait été rendu à la Syrie, les colons retirés, un autre pays
arabe important aurait vécu en paix avec Israël.
Et puis, tout s’est effondré. Le prétexte
avancé fut que le vieil Assad voulait plonger ses grands pieds
dans les eaux du lac de Tibériade, au lieu de rester à quelques
centaines de mètres en deçà. Mais la véritable raison
concernait les pieds de Barak lui-même : ils ont attrapé
froid ! Il a fait marche arrière à la toute dernière
minute, et s’est lancé dans l’aventure irresponsable de Camp
David.
Je l’ai appelé à l’époque "criminel de
paix", un délinquant politique récidiviste contre la paix.
Après l’échec de Camp David à cause de son arrogance présomptueuse
et de son épouvantable mépris des Arabes - il inventa la litanie :
"Nous n’avons pas de partenaire". Ainsi ce n’était
pas lui qui avait échoué, ni la conférence qu’il avait
organisée sans réelle préparation.
Non. C’était le partenaire qui était
responsable. Il ne pouvait pas y avoir de paix avec les
Palestiniens, comme il ne peut pas y avoir de paix avec les
Syriens. Comme dit l’immortel dicton de Yitzhak Shamir, à
l’extrême extrême droite : "La mer est toujours la
mer et les Arabes sont toujours les Arabes."
"Nous n’avons pas de partenaire".
Cette litanie a détruit le mouvement de paix israélien et causé
des ravages qui semblent difficiles à réparer.
EHOUD OLMERT tient Barak à l’écart de la scène
où il est maintenant engagé avec Mahmoud Abbas. Pourquoi faire
un cadeau à un rival ? Par vengeance, Barak balaye l’idée
de paix avec les Palestiniens d’un revers de main. Il annonce
que l’idée de paix est vouée à l’échec, parce que l’Etat
palestinien arroserait Israël de missiles. Ce qui se passe
aujourd’hui à Sderot pourrait se passer demain à l’aéroport
Ben Gourion, qui est seulement à quelques kilomètres de la Ligne
verte.
Cela signifie qu’on ne pourra faire la paix que
quand Israël sera doté d’un système qui lui assurera une défense
impénétrable contre les missiles de courte portée. Quand cela
arrivera-t-il ? Dans quelques années. (Mais alors, les
Palestiniens auront probablement des missiles plus performants et
nous aurons besoin de systèmes de défense plus perfectionnés.)
La paix dans trois ans, ou dans trente, ou dans
trois cents ?
En attendant, Olmert continue à jouer. Presque
tous les jours, un nouveau ballon de couleur est lancé : des
propositions de paix, des "principes" pour une paix qui
peut arriver à un moment indéterminé, un "accord de
paix" théorique. Tous ces plans ont une chose en commun :
ils n’ont rien à voir avec la réalité, ici et maintenant. Ils
appartiennent à un avenir lointain et rose, pendant que de très
mauvaises choses se passent aujourd’hui sur le terrain.
C’est encore le Président Bush qui pousse
Olmert dans cette direction. Tout comme il veut la tension entre
Israël et les Syriens, il désire des nouvelles positives au
sujet de sa "vision" d’un "processus de
paix" entre Israël et les Palestiniens. Lancer un
"processus de paix" virtuel, discuter de documents sur
la venue du Messie, sourire, embrasser. Faire tout ce qu’il faut
pour prouver que Bush est après tout gagnant, que sa
"vision" prend forme. C’est bon pour Bush, bon pour
Olmert, bon pour Abbas.
Pour qui n’est-ce pas bon ? Pour les
Palestiniens, qui croulent sous le joug de l’occupation. Le désespoir
dans la bande de Gaza s’approfondit chaque jour, selon le plan déployé
pour aboutir à l’effondrement total, l’anarchie et la chute
du Hamas. La situation de la population de Cisjordanie n’est pas
meilleure. Les barrages sont toujours là, comme les colonies et
les "avant-postes". Le réseau de routes réservées aux
Israéliens se développe et la construction du Mur est en plein
essor.
La plus odieuse expression de la situation dans
les territoires occupés sous Olmert et Barak, c’est
l’assassinat quotidien. Il ne se passe presque pas de jour sans
une nouvelle atrocité. Un élève est écrasé, ses blessures
sont très graves, il est gardé à un barrage plus d’une heure
jusqu’à ce qu’il meure. L’armée sort une déclaration
laconique : il était sur la liste de ceux "interdits
d’entrer en Israël". Cinq soldats saisissent un garçon
qui attend à un arrêt d’autobus et le frappent à mort. Une
femme malade arrive à un barrage routier et y est détenue sans
raison apparente jusqu’à ce qu’elle meure.
De telles histoires sont devenues la routine et à
la longue elles ne causent même pas de vagues. Deux ou trois
journalistes continuent de d’indigner et les relatent, les
autres se contentent de les ignorer. Les sentiments sont émoussés.
Ce ne sont plus des nouvelles.
ON POURRAIT s’attendre à ce que quelqu’un se
mette en colère face à ce jeu vide du "processus de
paix". Après tout, toute personne qui réfléchit sait que,
si Abbas n’obtient aucun résultat politique, le Hamas le
chassera de la Cisjordanie comme il l’a fait à Gaza, et cela
devrait faire peur aux Israéliens.
Ils n’ont pas peur. Hamas prendra le pouvoir ?
Et alors ? Tous-les-Arabes-sont-les-mêmes.
La Syrie a des missiles qui peuvent atteindre tout
point en Israël. Y compris Tel-Aviv. Y compris Dimona. Une guerre
avec la Syrie ne sera pas une partie de plaisir.
Et alors ? Cela ne contrarie personne. Barak
dit qu’il n’y aura pas de guerre, mais que peut-être il y
aura la guerre. Mais ce serait juste un mauvais calcul ...
Article publié en hébreu et en anglais sur le
site de Gush Shalom le 19 août 2007 - Traduit de l’anglais
"Miss C." : SW
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