Gush Shalom
Regardez
qui parle
Uri Avnery
19 janvier 2008 QUELQUEFOIS,
QUELQU’UN parle de vous et vous ne savez pas trop s’il
s’agit d’un compliment ou d’une insulte.
Deux éminents journalistes, que je respecte
beaucoup, m’ont cité en parlant du Premier ministre. Akiva
Eldar du Haaretz a demandé le mois dernier à propos d’Ehoud
Olmert : "Comment traiter un fils de la Famille
Combattante (un surnom de l’Irgoun, dont un des dirigeants était
le père d’Olmert) qui fait penser à Uri Avnery ?" Et
cette semaine Gideon Levy a écrit dans le même journal
qu’Olmert "parle comme Uri Avnery, même si c’est 40 ans
après."
Ils se réfèrent, je présume, à la demande
publique que j’avais adressée il y a 40 ans au Premier ministre
d’alors de permettre aux Palestiniens d’établir un Etat
palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, les deux
venant juste d’être occupées par les troupes israéliennes.
J’étais alors le seul des 120 membres de la
Knesset, et mon magazine hebdomadaire Haolam Hazeh,
était le seul des médias, à publier ce plan.
Maintenant Olmert dit que l’Etat d’Israël
sera perdu si un Etat palestinien n’est pas établi dans le
cadre de la solution des deux Etats.
DEVRAIS-JE en tirer satisfaction ? Si le
Premier ministre d’Israël accepte les choses que vous avez
dites il y a quarante ans (et aussi il y a 60 ans), que demander
de plus ?
Après tout, quand vous proposez une solution
politique, vous voulez qu’elle soit réalisée. La seule
personne qui puisse la mettre en œuvre dans la pratique est le
Premier ministre. Quand le Premier ministre s’approprie votre
plan, vous devriez être heureux et sauter de joie en chantant :
"Je vous l’avais bien dit !"
Dans un livre publié en 1970 par les éditions
officielles de l’OLP à Beyrouth, la solution des deux Etats
s’appelait "le Plan Avnery". L’auteur, Camille
Mansour, l’avait condamnée sans réserves. Mais seulement trois
ans plus tard, à la fin de 1973, Yasser Arafat l’adoptait.
Mainteant elle est soutenue à la fois par le dirigeant de l’OLP
et par Premier ministre d’Israël. Alléluia !
Bien sûr, Olmert ne fait pas ces déclarations
parce que mes amis et moi l’avons convaincu. Je le connais
depuis 40 ans, depuis ses premiers pas dans l’arène publique,
et pendant presque tout ce temps, nous avons été ennemis. Au début,
il était un partisan de Samuel Tamir, qui, en 1967, a lancé le
slogan "les territoires libérés ne seront pas rendus".
Plus tard, en tant que maire de Jérusalem, il a construit des
colonies partout et provoqué délibérément des affrontements
sanglants, comme le tristement célèbre épisode du tunnel.
Mais s’il ressent aujourd’hui la nécessité
de soutenir un plan contraire à tout ce qu’il a préconisé
tout au long de sa vie, cela témoigne de la popularité de cette
idée. Notre rôle direct peut avoir été limité, mais notre
contribution indirecte a peut-être été considérable. Nous
avons préparé l’opinion publique. Et, de toute façon, le
processus historique s’est développé comme nous l’avions prévu,
et il a poussé les dirigeants des deux parties dans cette
direction.
Ceci prouve encore que, même si en surface des
choses monstrueuses se passent, au fond, dans les profondeurs de
la conscience nationale, des courants rationnels et positifs
gagnent du terrain. C’est un processus long et douloureux, mais
à la fin, ces idées l’emporteront.
MAIS LE DOUTE subsiste. Peut-être que les paroles
d’Olmert ne sont qu’illusion, tromperie, tricherie ?
Olmert a-t-il réellement vu la lumière, comme
Saul sur la route de Damas, ou n’est-ce qu’une manœuvre
politique ?
Certaines personnes croient que ce que l’on dit
à propos des "questions fondamentales" et de
l’"accord avant la fin de 2008" ne sont rien que manœuvres
sophistiquées d’un politicien inquiet en difficulté. Dans deux
semaines, la commission Winograd publiera son rapport final sur la
deuxième guerre du Liban, et Olmert peut se trouver dans une
position impossible. Des manifestants dans la rue demanderont sa démission.
Le leader du parti travailliste, Ehoud Barak, fera face à la
demande de démission, comme il l’a promis, le jour de la sortie
du rapport, et fera ainsi tomber le gouvernement.
Dans une telle situation, un homme politique ne
peut faire qu’une des deux choses suivantes : déclencher
une guerre ou aller vers la paix. Etant donné que les conditions
nécessaires à une guerre ne semblent pas réunies pour
l’instant, la seule option qui reste est un processus de paix.
Ainsi Olmert devient un homme de paix, parle le langage de la paix
et fait des gestes de paix.
Les sceptiques s’interrogent : à supposer
que cela aidera Olmert à survivre à la crise et à rester
Premier ministre avec une coalition stable, continuera-t-il alors
en direction de la paix ? N’utilisera-t-il pas le premier
prétexte venu pour y mettre fin ? N’est-ce pas ce
qu’indique son comportement actuel : non-respect de
l’engagement d’enlever les avants-postes de colonies,
intensification de l’activité des constructions à Jérusalem-Est
et en Cisjordanie, poursuite du blocus et du bain de sang dans la
bande de Gaza et refus de l’offre de cessez-le-feu du Hamas ?
En bref, n’ayons pas trop d’espoir. Au
contraire, on devrait montrer le vrai visage du Premier ministre
qui exploite notre plan comme un moyen de duperie.
MAIS, MÊME si cette analyse semble raisonnable,
n’est-elle pas quelque peu sommaire ?
L’événement politique le plus important de la
semaine dernière a été la démission d’Avigdor Liberman du
gouvernement. La raison officielle qu’il a donnée est qu’il
ne peut pas rester dans un gouvernement qui mène des négociations
sur les "questions fondamentales" – frontières, réfugiés,
Jérusalem, colonies. Cela peut n’être qu’un prétexte.
Liberman excelle dans les calculs politiques tortueux qu’une
personne raisonnable ne peut pas suivre. Mais un fait est un fait.
Les nouveaux admirateurs d’Olmert, y compris le dirigeant du
Meretz Yossi Beilin, affirment que la démission de Liberman
prouve qu’Olmert est sérieux.
Liberman est parti, mais le Shas reste, répondent
les sceptiques. La façon de penser de Liberman est peut-être
labyrinthique, mais les considérations du Shas sont limpides. Le
Shas est maintenant dans une situation idéale pour un politicien.
Après la sécession de Liberman, la coalition gouvernementale
n’a que 67 voix sur les 120 membres de la Knesset. Si les 11
membres du Shas quittent aussi la coalition, alors Olmert n’a
plus le gouvernement.
Le Shas est un parti nationaliste de droite et a
besoin d’un prétexte pour rester au gouvernement. Ils déclarent
qu’ils partiront dès que le gouvernement entamera des
discussions avec les Palestiniens sur Jérusalem. Mais dans des négociations
sérieuses, il sera impossible de ne pas parler de Jérusalem. Les
questions fondamentales forment un tout – une concession sur une
question doit pouvoir être compensée par une concession de
l’autre partie sur une autre question. Le maintien de la présence
du Shas au gouvernement suggère qu’il y a peut-être un
engagement secret d’Olmert de ne pas du tout toucher aux
questions fondamentales.
Les assistants d’Olmert font de leur mieux pour
mettre les gens de droite à l’aise : il n’y a rien à
craindre. L’un dans l’autre, l’intention d’Olmert n’est
que de parvenir à un "shelf-agreement"
dans l’année. "Shelf-agreement"
est un nouveau terme politique qui signifie un document résumant
tous les principes d’un accord de paix. Son application de fait
sera donc repoussée jusqu’à ce que les deux parties
remplissent les exigences de base : "liquidation de
l’infrastructure de la terreur" d’un côté, et "évacuation
des avant-postes de colonies", de l’autre. "Cela
n’arrivera jamais", disent les collaborateurs d’Olmert
aux gens de droite, avec un clin d’œil.
D’une façon ou d’une autre, tout bien pesé,
on doit aussi se rappeler que les déclarations d’un Premier
ministre ont leur vie propre, quelle que soit l’intention qui
les sous-tend. Elles ne peuvent pas retourner dans la bouche qui
les a prononcées. Les mots sont gravés dans la mémoire
collective, ils changent la conscience nationale. Quand Olmert dit
que l’Etat d’Israël est "perdu" si un Etat
palestinien n’est pas établi à côté de lui, c’est un jalon
significatif.
COMME LES gens dans la "télé-réalité",
la première priorité d’Olmert est de survivre.
Ceci doit être pris en compte pour deviner si
Olmert est sérieux quand il parle notre langue, ou si ce ne sont
que des mots vides de sens. S’agit-il d’un "nouvel
Olmert", Saul est-il vraiment devenu Paul, ou n’est-ce que
le vieil Olmert dans un nouveau déguisement à la mode ?
Est-il possible qu’au-dessus de toutes les considérations
tactiques, Olmert veuille en réalité laisser son nom dans
l’histoire avec une grande réalisation ?
Pendant ce temps, la situation dans la bande de
Gaza assiégée empire de jour en jour. Le nombre de Palestiniens
tués quotidiennement a doublé. Le chef d’état-major s’en
vante. Les organisations palestiniennes, quant à elles, ont doublé
le nombres de fusées Qassam qu’elles lancent sur Israël, et
cette fois le Hamas aussi en assume officiellement la
responsabilité. Comme d’habitude, chaque partie prétend
qu’elle ne fait que répondre aux actes de l’autre.
Parmi les Palestiniens tués se trouvait Hussam
al-Zahar, le fils de l’ancien ministre des Affaires étrangères
du gouvernement Hamas. Les services de sécurité, le Shabak,
affirment que le père est maintenant le leader du Hamas le plus
extrémiste. Si c’est vrai, ceci est tout à fait significatif.
Il y a 16 ans, al-Zahar manifestait avec les militants de la paix
israéliens contre l’expulsion par Yitzhak Rabin de personnalités
islamiques. Quand les exilés sont rentrés, il a organisé le
grand rassemblement de Gaza dans lequel j’ai été invité à
prendre la parole (en hébreu) devant des centaines de sheiks
portant l’emblème des deux drapeaux, le drapeau d’Israël et
le drapeau de la Palestine.
Si une telle personne est devenue le dirigeant le
plus extrémiste, c’est sans aucun doute le fruit de
l’occupation. Cela prouve de nouveau – si tant est qu’il
faille le prouver – que l’oppression qui est supposée détruire
le Hamas obtient le résultat exactement contraire : elle
pousse l’organisation palestinienne à des positions de plus en
plus radicales. Cette semaine, après qu’al-Zahar eut perdu son
second fils – le plus âgé avait déjà été tué il y a
certain temps – il est devenu le dirigeant le plus populaire du
monde arabe. Les chefs d’Etat se sont empressés de l’appeler
pour lui présenter leurs condoléances.
Ces actions sont-elles celles d’un Premier
ministre israélien qui veut parvenir à la paix car il croit
qu’Israël est perdu sans elle ?
RETOUR au début : devrais-je être heureux
ou furieux quand "Olmert fait penser à Uri Avnery" ?
Je me souviens des mots de Rudyard Kipling :
"Si tu peux supporter d’entendre tes paroles / Travesties
par des gueux pour exciter des sots ..." On dit que
l’imitation est la forme la plus sincère de la flatterie, mais
elle aura pour effet de lever les doutes qui subsistent.
Article publié en hébreu
et en anglais le 19 janvier 2008 sur le site de Gush Shalom
Traduit de l’anglais
"Look Who’s Talking" pour l’AFPS : RM/SW
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