Gush Shalom
Comment
ils nous ont volé La Bombe
Uri Avnery
9 décembre 2007 Une vraie
catastrophe : l’ensemble des services de renseignement américains,
comprenant seize agences différentes, ont abouti à une
conclusion unanime : dès 2003, les Iraniens ont cessé leurs
travaux pour produire une bombe nucléaire, et, depuis lors, ils
ne les ont pas repris.
C’ÉTAIT comme si une bombe atomique était tombée
sur Israël.
La terre trembla. Nos dirigeants politiques et
militaires furent tous sous le choc. Les gros titres étaient
rageurs.
Que se passait-il ?
Une vraie catastrophe : l’ensemble des
services de renseignement américains, comprenant seize agences
différentes, ont abouti à une conclusion unanime : dès
2003, les Iraniens ont cessé leurs travaux pour produire une
bombe nucléaire, et, depuis lors, ils ne les ont pas repris. Même
s’ils viennent à changer d’idée, il leur faudra au moins
cinq ans pour atteindre leur objectif.
NE DEVRIONS-NOUS pas être ravis ? Les masses
en Israël ne devraient-elles pas danser dans les rues, comme
elles l’ont fait le 29 novembre 1947, il y a 60 ans ? Après
tout, nous nous en sommes bien sortis !
Jusqu’à cette semaine, on nous a régulièrement
seriné que, d’une minute à l’autre, les Iraniens produiront
une bombe qui menace notre existence même. Rien de moins. Mahmoud
Ahmadinejad, le nouvel Hitler du Moyen-Orient, qui annonce tous
les deux jours qu’Israël doit disparaître de la carte, était
sur le point de réaliser sa prophétie.
Une petite bombe nucléaire, et même une
minuscule petite bombe comme celles larguées sur le Japon
suffirait pour balayer l’ensemble de l’entreprise sioniste. Si
elle tombait sur la place Rabin à Tel Aviv, le centre économique,
culturel et militaire d’Israël serait vaporisé, ainsi que des
centaines de milliers de Juifs. Un second Holocauste.
Et alors soudain – pas de bombe et pas de menace
imminente. Le méchant Ahmadinejad peut nous menacer autant
qu’il veut – il n’a pas les moyens de nous faire du mal.
N’est-ce pas une raison de faire la fête ?
Alors pourquoi est-ce ressenti comme un désastre
national ?
UN PSYCHOLOGUE de pacotille (comme moi) dirait :
les Juifs se sont habitués à l’angoisse. Après des centaines
d’années de persécution, d’expulsions, d’inquisition, de
pogroms qui ont abouti à l’Holocauste, nous avons des petits
feux rouges dans nos têtes, qui s’allument au moindre signe de
danger. Dans une telle situation, nous sommes à l’aise. Nous
savons que faire.
Mais quand les feux restent éteints et qu’aucun
danger n’apparait à l’horizon, nous le ressentons comme
quelque chose de suspect. Quelque chose ne va pas. Peut-être que
les feux ne fonctionnent pas. C’est peut-être un piège !
Une petite consolation dans cette nouvelle
situation. Alors qu’il semble que le danger immédiat
d’annihilation a disparu, nous avons le sentiment que nous
sommes seuls, seuls de nouveau en face de nous-mêmes.
Cela est un autre signe de l’exception juive :
nous sommes seuls face au monde entier. Comme à la période de
l’Holocauste, tous les goys nous abandonnent. Face au monstre
iranien qui menace de nous dévorer, nous restons maintenant
seuls.
Tous nos médias le répètent à l’unisson,
comme un orchestre qui n’a pas besoin de chef car ils
connaissent la partition par cœur.
Certes, d’autres peuples, aussi, peuvent
ressentir de la satisfaction à se retrouver seuls. Est gravée
dans ma mémoire une affiche britannique qui était collée sur
nos murs en Palestine dans les jours sombres après la défaite de
la France face aux nazis, tandis que la Grande-Bretagne restait
seule dans la guerre. Sous le visage sombre de Winston Churchill
le slogan proclamait fièrement : " Très bien donc,
tout seuls !"
Mais avec nous c’était presque devenu un rituel
national. Comme nous avions l’habitude de le chanter dans le bon
vieux temps de Golda Meir : "Le monde entier est contre
nous / C’est une vieille mélodie / ... et tous ceux qui sont
contre nous / qu’ils aillent au diable..." A l’époque,
une des équipes chargée des divertissements de l’armée
l’avait même transformée en danse folklorique.
Au cours de ces dernières années, une large
coalition contre l’Iran s’est réalisée. La bombe iranienne
est devenue le cœur d’un consensus international, conduit par
l’Amérique, la Reine du monde. Avec le consentement des cinq
membres permanents, le Conseil de sécurité des Nations unies a décrété
des sanctions contre Téhéran.
Aujourd’hui, devant nos yeux cette coalition est
en train de s’écrouler. Le Président Bush bafouille. Envolée
la justification d’une attaque militaire sur l’Iran, rêve du
gouvernement israélien et des néo-conservateurs. Envolé aussi
le prétexte des sanctions les plus draconiennes. Dieu sait, peut-être
même les faibles sanctions existantes seront-elles abolies
demain.
LA PREMIÈRE réaction des dirigeants israéliens
fut vigoureuse et déterminée : un total déni.
Le rapport américain est simplement faux, ont
proclamé tous les médias. Il est fondé une information fausse.
Nos services de renseignement sont en possession de bien
meilleures données, qui prouvent que la bombe est bien en route.
Donc les agences de renseignement américaines
doivent mentir délibérément. On ne peut pas écarter l’hypothèse
que des motifs politiques douteux puissent se cacher derrière des
conclusions sans équivoque. Peut-être veulent-ils compenser les
faux rapports que le Président Bush a utilisés pour justifier
son invasion de l’Irak. Ils avaient alors surestimé, maintenant
ils sous-estiment. Peut-être veulent-ils se venger de Bush et
croient-ils que le temps est mûr, puisqu’il est en fin de
mandat. Ou bien se sont-ils adaptés à l’opinion publique américaine,
qui ne voudra pas encaisser une autre guerre. Et, de surcroît,
leurs chefs sont tous, bien sûr, antisémites.
Même si les agents du renseignement américain
croient innocemment que l’Iran a cessé de travailler sur la
Bombe, cela montre simplement combien ils sont naïfs. Ils ne
peuvent pas imaginer que les Iraniens se moquent d’eux. Qui sait
mieux que nous combien il est facile de cacher une bombe atomique
et de tromper le monde entier ? Après tout, nous avons fait
cela pendant des années.
Mais tout ceci ne change pas le fait : ce
rapport pousse la politique américaine dans une nouvelle
direction et change entièrement la configuration internationale.
La guerre sur l’Iran, qui devait être l’événement
déterminant de 2008, est devenu pour le moment un non-événement.
QUELS SONT les résultats en ce qui concerne Israël ?
Pourquoi nos dirigeants sont-ils en état de choc depuis la
publication de ce rapport ?
La possibilité d’une frappe militaire israélienne
indépendante contre l’Iran a disparu. Israël ne peut pas faire
la guerre sans un soutien sans réserve des Etats-Unis. Nous avons
essayé une fois – guerre du Sinaï de 1956 – et alors le Président
Dwight D. Eisenhower nous a botté les fesses. Depuis lors, nous
prenons soin d’obtenir la bénédiction des USA avant chaque
guerre.
Pour les services de l’armée et du
renseignement, le rapport est un désastre total pour une autre
raison. La bombe iranienne constituait une pièce indispensable
pour la bagarre annuelle de l’armée en vue d’obtenir une part
massive du gateau budgétaire.
Pour les démagogues de droite, l’effet est
encore plus décourageant. Benyamin Netanyahou a construit toute
sa stratégie sur la peur de l’Iran, espérant que la bombe
atomique le conduirait directement dans le fauteuil du Premier
ministre.
En outre, quand le problème iranien se calme, le
problème palestinien se réchauffe. C’est particulièrement
vrai à Washington. Le Président Bush a des ennuis, ses fiascos
en Afghanistan et en Irak sont déjà en train de s’éterniser.
Tout effort américain d’installer un gouvernement stable en
Irak, avec une majorité chiite, dépend du soutien de l’Iran
chiite. Le rêve de Bush de frapper d’un coup foudroyant l’Iran
et de laisser son empreinte sur l’histoire est en train de
partir en fumée.
Que peut-il faire pour léguer quoi que ce soit de
positif ? La seule alternative est une paix israélo-palestinienne.
Peut-être apportera-t-il maintenant un meilleur soutien à la
pauvre Condoleezza. Peut-être s’impliquera-t-il davantage. A
noter : Il va bientôt aller en visite en Israël pour la
première fois depuis son entrée à la Maison Blanche.
Certes, cet effort n’a pas beaucoup de chance de
succès, mais les gens à Jérusalem sont néanmoins inquiets.
C’est tout-à-fait ce dont nous avons besoin – Bush agissant
comme cet antisémite de Jimmy Carter qui a forcé la main à
Begin et l’a obligé à faire la paix avec l’Egypte !
Alors que faire ? On peut ordonner aux
diplomates israéliens à l’étranger de redoubler d’efforts
pour convaincre les gouvernements que la situation n’a pas changé,
qu’on doit se battre contre la bombe iranienne, qu’elle existe
ou non. Mais allez dire cela aux Russes et aux Chinois ! Les
gouvernements du monde sont heureux de voir la fin de la pression
de Bush – tous excepté le couple heureux, Nicolas Sarkozy et
Angela Merkel, les nouveaux caniches de la Maison Blanche depuis
que Tony Blair est parti.
LA NOUVELLE situation pose un dilemme épineux à
Ehoud Olmert.
En revenant d’Annapolis, il a fait une déclaration
étonnante. Si la "solution des deux Etats s’écroule",
a-t-il déclaré, "l’Etat d’Israël est fini".
Personne dans le camp de la paix n’avait encore osé aller aussi
loin.
Croit-il ce qu’il dit, ou est-ce juste une
nouvelle manipulation ? C’est la question qui domine
aujourd’hui les débats en Israël. En d’autres termes :
Essaie-t-il seulement de gagner du temps, ou est-il réellement en
train d’œuvrer pour un accord de paix ?
Tout indique qu’il n’est pas en position de
prendre la moindre mesure. S’il essaie de réaliser la première
phase de la feuille de route et de démanteler quelques
avant-postes, il devra faire face non seulement à l’opposition
déterminée des colons et de leurs partisans, et à la
silencieuse (mais hautement efficace) opposition des militaires,
mais aussi à l’obstruction de ses collègues du gouvernement.
Avant le démantèlement du premier avant-poste, sa coalition
volera en éclats.
Olmert n’a aucune coalition possible. Ehoud
Barak n’a cessé d’essayer de le déborder sur la droite et on
ne peut pas compter sur lui en cas de crise. Le parti travailliste
est un corps chaotique, mou et sans principes. Le rabougri parti
Meretz n’a que cinq membres à la Knesset, dont quatre se
disputent la direction du parti. Les dix membres des partis arabes
(c’est ainsi qu’ils sont généralement appelés, bien que
l’un des membres Hadash de la Knesset soit juif) sont rejetés,
et aucun gouvernement "sioniste" ne doit être considéré
comme ayant bénéficié ouvertement de leur soutien. Et dans le
propre groupe d’Olmert il y a plusieurs membres d’extrême
droite qui feraient obstruction à tout effort de paix.
Dans une telle situation, la tendance naturelle
d’un vrai politicien comme Olmert est de ne rien faire, de faire
des déclarations de gauche et de droite (dans les deux sens) et
d’essayer de gagner du temps.
Cette semaine, le gouvernement a annoncé des
plans pour construire 300 nouvelles maisons dans l’horrible
colonie de Har Homa, près de Jérusalem. Pour quelqu’un comme
moi, qui a passé de nombreux jours et nuits à manifester contre
la construction de cette colonie là, c’est une nouvelle
vraiment très amère. Elle n’indique certainement pas un
tournant dans le bon sens.
D’un autre côté, j’ai entendu une thèse intéressante
d’un proche d’Olmert. Selon cette thèse, sachant qu’il va
perdre le pouvoir, Olmert peut se dire : si je dois tomber,
pourquoi ne pas entrer dans l’histoire comme celui qui s’est
sacrifié sur l’autel d’un grand principe, au lieu de disparaître
comme un cheval politique bon à rien ?
S’il n’a pas d’autre porte de sortie, il
peut choisir cette solution – surtout que sa famille immédiate
est en train de le pousser dans cette direction.
J’estimerais cette possibilité comme
"improbable" – mais il est arrivé des choses plus étranges.
En tout cas, peut-être les forces de paix
devraient-elles surmonter leurs compréhensibles réserves et
essayer d’influencer l’opinion publique de façon qu’elle
aide Olmert à changer dans ce sens.
Quoiqu’il en soit, une chose est certaine :
que le fils de chienne, Ahmadinejad, nous a encore bien eus.
Il a volé notre bien le plus précieux : la
menace nucléaire iranienne.
Article publié le 9 décembre 2007, en hébreu et
en anglais sur le site de Gush Shalom – Traduit de
l’anglais "How They Stole The Bomb From Us ?" :
SW
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