|
Ha'aretz
Gaza: de quelques fausses hypothèses
Tom Segev
Comme souvent en pareilles circonstances, il est difficile de
faire la part des choses, entre peur pour l'avenir, terreur et
indignation inspirées par le présent, et lucidité. Tom Segev se
livre ici à quelques rappels utiles. NdT
Ha'aretz, 29 décembre 2008
http://www.haaretz.com/hasen/spages/1050706.html
La 1e chaîne (israélienne) de télévision a diffusé samedi matin
un mélange intéressant : les correspondants parlaient depuis
Sderot et Ashkelon, mais les images venaient de la bande de
Gaza. Ainsi, le reportage émettait, involontairement, le message
adéquat : un enfant de Sderot est comme un enfant de Gaza, et
quiconque fait du mal à l'un ou à l'autre incarne le mal.
Mais l'assaut sur Gaza exige moins une condamnation morale que
quelques rappels historiques. La justification qui en a été
donnée, aussi bien que les cibles choisies, constituent une
reprise des mêmes hypothèses fondamentales qui se sont révélées
fausses, de tout temps. Ce qui n¹empêche pas Israël de les
sortir du chapeau, encore et toujours, guerre après guerre.
Israël frappe les Palestiniens pour leur "donner une leçon". Il
s'agit là d'une conception qui accompagne l¹entreprise sioniste
depuis ses origines : nous sommes les représentants du progrès
et des Lumières, de la rationalité et de la morale, alors que
les Arabes ne sont que des foules primitives et violentes, des
enfants ignorants qu¹il faut éduquer et à qui il faut enseigner
la sagesse, par la méthode de la carotte et du bâton, bien sûr,
comme le conducteur de bestiaux le fait avec son âne.
Le bombardement de Gaza est aussi censé « liquider le régime du
Hamas », ce qui correspond à une autre des hypothèses de base du
mouvement sioniste : il est possible d'imposer aux Palestiniens
un leadership "modéré" prêt à renoncer à leurs aspirations
nationales.
Corollaire : Israël a toujours cru que les souffrances infligées
aux civils palestiniens les retourneraient contre leurs
dirigeants. Cette hypothèse s'est révélée fausse, à chaque fois.
Toutes les guerres d'Israël ont eu pour fondement une autre
hypothèse encore : nous ne faisons que nous défendre. "Un demi
million d¹Israéliens sous le feu", hurlait le titre qui barrait
la une du Yediot Aharonot de dimanche. Comme si la bande de Gaza
n'avait pas été soumise à un siège de longue durée qui a détruit
les chances d'une génération tout entière de vivre une vie qui
vaille la peine d'être vécue.
Bien entendu, il est impossible vivre sous des tirs quotidiens
de missiles. Mais le Hamas n'est pas une organisation terroriste
qui retient les Gazaouis en otages. C'est un mouvement religieux
nationaliste, et une majorité d'habitants croit en la voie qu¹il
a choisie (1). On peut certainement l'attaquer, et les
élections pour la Knesset à l¹horizon, cette attaque pourrait
même avoir pour effet un cessez-le-feu, d¹une manière ou d¹une
autre. Mais il existe une autre vérité historique qui vaut la
peine d¹être rappelée dans ces circonstances : depuis l¹aube de
la présence sioniste sur la terre d¹Israël, aucune opération
militaire n¹a jamais fait avancer le
dialogue avec les Palestiniens.
Le cliché le plus dangereux de tous est qu¹il n¹y a personne à
qui parler. Cela n¹a jamais été vrai. Il existe même des
manières de parler avec le Hamas, et Israël a quelque chose à
lui offrir. Mettre fin au siège et permettre la liberté de
circulation entre Gaza et la Cisjordanie pourrait remettre sur
pied la vie dans la bande de Gaza.
Dans le même temps, il serait bon de dépoussiérer les vieux
plans préparés après la guerre des Six Jours, qui prévoyaient le
déplacement de plusieurs milliers de familles de Gaza vers la
Cisjordanie. Ces plans n¹ont jamais été mis en œuvre parce que
la Cisjordanie était destinée à la colonisation juive. Ce qui
fut l¹hypothèse la plus nuisible de toutes.
(1) Ceci reste à démontrer, les différents sondages indiquant
plutôt le contraire, mais encore faudrait-il que les Gazaouis
aient l¹occasion de voter, et il semble que, compte tenu du
régime en vigueur à Gaza, ce ne soit
pas demain la veille (ndt). Trad. : Gérard
pour
|