|
Ha'aretz
Une invention appelée «
le peuple juif »
Tom Segev
Tom Segev in
Ha’Aretz, 1er mars 2008www.haaretz.com/hasen/spages/959229.html
La Déclaration d’Indépendance d’Israël
énonce que le peuple juif est apparu en Terre d’Israël, puis
qu’il aurait a été exilé de sa patrie natale. Tout élève
israélien apprend, à l’école primaire, que ce que cela se serait
produit durant la domination romaine, en l’an 70 après J.C.
Après quoi, la nation juive serait restée fidèle à sa terre,
dans laquelle elle aurait commencé à retourner, après deux
millénaires d’exil. « Faux », dit l’historien Shlomo Zand, dans
un des ouvrages les plus fascinants – et les plus dérangeants –
à avoir été publiés, ici (en Israël), depuis bien longtemps.
« Il n’y a jamais eu de « peuple juif », mais seulement une
religion juive, et l’exil, lui non plus, ne s’est jamais produit
– par conséquent, comment parler de « retour » » ?? Zand rejette
la plupart de ces histoires autour de la formation d’une
identité nationale, dans la Bible, et notamment l’exode
d’Egypte, ainsi (on ne s’en plaindra pas) que les horreurs de la
conquête (de Canaan, la Palestine, ndt) sous les ordres de
Josué. « Tout ça, c’est de la fiction, c’est une mythologie qui
a servi de prétexte à la création de l’Etat d’Israël »,
affirme-t-il.
D’après M. Zand, les Romains n’exilaient
généralement pas un peuple entier, et la plupart des juifs
furent autorisés à rester dans le pays. Le nombre des exilés se
chiffra au grand maximum en dizaines de milliers. Quand le pays
fut conquis par les Arabes, beaucoup parmi les juifs se
convertirent à l’Islam, et furent assimilés à la société des
conquérants. Il en découle que les ancêtres des Arabes
palestiniens étaient des juifs. Zand n’est pas l’inventeur de
cette thèse ; trente années avant la Déclaration d’Indépendance
d’Israël, David Ben-Gourion l’avait faite sienne, ainsi que
Yitzhak Ben-Zvi et bien d’autres.
Si la majorité des juifs n’ont pas été
exilés, comment se fait-il qu’ils furent si nombreux à attendre
quasiment tous les pays de la Terre ? Zand dit qu’ils ont émigré
de leur plein gré ou, pour ceux qui furent exilés à Babylone,
ils restèrent dans leur pays d’exil parce qu’ils avaient choisi
de le faire. Contrairement à la croyance conventionnelle, la
religion juive a tenté d’induire des membres d’autres fois de
devenir juifs, ce qui explique de quelle manière il y a eu des
millions de juifs, dans le monde entier. Comme l’indique, par
exemple, le Livre d’Esther, « Et beaucoup des peuples de la
Terre se firent juifs ; en effet, ils avaient été saisis par la
crainte des juifs. »
Zand cite beaucoup d’études existantes,
dont certaines ont été écrites en Israël, mais évincées du
discours consensuel. Il décrit aussi, longuement, le royaume
juif d’Himyar, dans le Sud de la Péninsule arabique, et les
Berbères juifs, en Afrique du Nord. La communauté juive, en
Espagne, découlait d’Arabes qui s’étaient convertis au judaïsme
et étaient venus avec les armées qui avaient conquis l’Espagne
sur les chrétiens, ainsi que d’individus d’origine européenne,
qui s’étaient, eux aussi convertis au judaïsme.
Les premiers juifs d’Ashkénaz (l’Allemagne)
ne venaient pas de la Terre d’Israël et ils n’avaient pas
atteint l’Europe orientale à partir de l’Allemagne, mais ils
s’étaient convertis au judaïsme dans le royaume Khazar, dans le
Caucase. Zand explique les origines de la culture yiddish : ce
n’était pas une importation juive à partir de l’Allemagne, mais
le résultat d’une connexion entre les descendants des Kuzari et
les Allemands, qui se rendaient dans les régions orientales de
l’Europe, en tant que commerçants, pour certains d’entre eux.
Nous ne sommes pas étonnés, dès lors, de
trouver toute une variété de gens et de races, des blonds, des
bruns, des basanés et des jaunes, devenus juifs, en grand
nombre. D’après Zand, les sionistes ont besoin de leur bricoler
une ethnicité commune, et la continuité historique a produit une
longue série d’inventions et de fictions, ainsi qu’une
invocation permanente de thèses racistes. Certaines ont été
concoctées par les esprits des théoriciens du mouvement
sioniste, tandis que d’autres ont été présentées comme les
constatations d’études génétiques effectuées en Israël.
Le Professeur Zand enseigne à l’Université
de Tel Aviv. Son ouvrage « Quand et comment le peuple juif
a-t-il été inventé ? » (When and How was the Jewish People
Invented ? ») (publié par les éditions Resling, en hébreu), vise
à promouvoir l’idée qu’Israël devrait être un « Etat de tous ses
citoyens » - juifs, Arabes et autres – par opposition à son
identité proclamée de « pays juif et démocratique ». Des
histoires personnelles, une discussion théorique profuse et des
saillies sarcastiques nombreuses ne servent pas l’ouvrage, mais
ses chapitres historiques sont bien écrits, et ils citent de
nombreux faits et analyses que beaucoup d’Israéliens seront
étonnés de lire pour la toute première fois.
Le
moustique de Kiryat Yam
Le 27 mars 1948, une réunion fut organisée,
à Haïfa, portant sur le sort des Bédouins de la tribu Arab al-Ghawarina,
dans la région de cette ville. « Il faut les faire partir d’ici,
afin qu’ils ne viennent pas, eux aussi, compliquer encore nos
problèmes », écrivit Yosef Weitz, du Keren Keyameth [le Fonds
National Juif], dans ses Mémoires. Deux mois plus tard, Weitz
faisait son rapport au directeur de cette institution : « Notre
Baie de Haïfa a été totalement évacuée, et il n’y a pratiquement
plus personne, de ceux qui s’accrochaient à notre frontière. »
Ils avaient probablement été expulsés en
Jordanie ; certains d’entre eux furent autorisés à rester dans
le village de Jisr-Az-Zarqa. Le sort des bédouins de la tribu
des Arab al-Ghawarina a fait récemment les grands titres de la
presse, grâce à Shmuel Sisso, maire du faubourg Kiryat Yam de
l’agglomération de Haïfa. Il a, en effet, déposé plainte, à la
police, contre Google. La raison ? Un ajout, fait par un des « surfers »
de ce site, un habitant de Naplouse, à une photo par satellite
du centre de Kiryat Yam, affirmant que la ville de Haïfa a été
construite sur les ruines d’un village détruit en 1948, Arab al-Ghawarina.
La plainte déposée par Sisso affirme que cette allégation a un
caractère diffamatoire.
Voici les faits : Les terres de la Vallée
de Zébulon avaient été achetées, dans les années 1920, par le
Fonds National Juif et par diverses entreprises de travaux
publics, dont une s’appelait Gav Yam. Les Archives sionistes ont
le plan, daté 1938, de la création de Kiryat Yam, et une lettre
de 1945 qui indique que cette localité comportait déjà une
centaine d’habitations. Les cartes gouvernementales de la
période du Mandat britannique identifient le territoire sur
lequel Kiryat Yam avait été construit sous deux noms : Zevulun
Valley [Vallée de Zébulon] et Ghawarina. Ainsi, il appert que ce
village n’était pas une implantation (en dur), mais un endroit
où résidaient des Bédouins.
Le site web de l’association israélienne
Zochrot [Souvenir, en hébreu], indique que 720 personnes y
vivaient, en 1948, et que ce territoire a été partagé entre
trois kibbutzim : Ein Hamifratz, Kfar Masaryk et Ein Hayam,
connu de nos jours sous le nom d’Ein Carmel.
Cette histoire ne cesse de circuler sur
Internet, attirant des réponses, qui peuvent être résumées comme
suit : « Si Sisso attaque Google en justice parce que celui-ci a
affirmé qu’il vit sur les ruines d’un village arabe détruit, on
peut en déduire que c’est lui qui n’a pas la conscience très
nette. » Sisso, un avocat de cinquante-sept ans, connu pour son
affiliation au Likoud, et ancien consul général d’Israël à New
York, dit : « Je ne pense pas qu’il y ait quelque chose à
redire, mais d’autres personnes pourraient le penser, en
particulier des gens vivant à l’étranger, et cela risque de
porter atteinte à la réputation de Kiryat Yam, parce que les
gens ne voudront plus investir ici. Dès lors que nous ne sommes
pas installés à la place d’un village palestinien, pourquoi
devrions-nous souffrir, sans aucune raison ? »
Né au Maroc, Sisso est arrivé en Israël en
1955. « J’ai exploré toute la région, et je n’ai vu nulle trace
de gens qui auraient vécu ici, avant nous, et qui auraient
soi-disant été chassés ?... » Il a demandé à un professeur de
droit américain de quelle manière – s’il en existe une – il
pourrait attaquer Google en justice pour diffamation, ou pour
exiger des dommages et intérêts. C’est-là, dit-il lui-même, la
contribution de Kiryat Yam à la lutte contre le droit au retour
(des réfugiés palestiniens) !
Cela risque fort d’être le procès le plus
retentissant depuis la plainte déposée par Ariel Sharon contre
le magazine Time, mais M. le Maire Sisso ne se fait aucune
illusion : « Moi, contre Google, c’est comme si un moustique
attaquait un éléphant », a-t-il dit, voici de cela quelques
jours…
À
qui l’Amérique appartient-elle ?
Deux universitaires, Gabi Shefer et Avi
Ben-Zvi, ont été les hôtes de l’émission d’information de la
Radio israélienne « International Hour », animée par Yitzhak Noy.
L’animateur, d’une voix légèrement anxieuse, leur a demandé si
les succès de Barack Obama n’étaient pas un signe que les
Etats-Unis n’appartiendraient désormais plus à l’homme blanc ?
Le Professeur Shefer en a donné confirmation : Obama est un
immigré, a-t-il dit. Alors que l’animateur sollicitait à son
tour son avis, le Professeur Ben Zvi a, quant à lui, ajouté : «
Gabi Shefer a raison ».
Mais ils avaient tort, l’un comme l’autre.
Si Obama était un immigré, il ne serait pas éligible à la
présidence des Etats-Unis.
Non ; Obama est né à Honolulu. Deux ans après que cette île soit
devenue le cinquantième Etat de l’Union…Traduit de
l’anglais par Marcel Charbonnier
|