Opinion
Couvre-feu dans la
capitale tunisienne
Tom Eley
Vendredi 14 janvier 2011
Le gouvernement tunisien
a décrété un couvre-feu total à Tunis et sa banlieue à partir de
mercredi 20 heures jusqu'à 6 heures le jeudi matin après que des
émeutes et des manifestations contre le chômage, la corruption
du gouvernement et une envolée des prix ont affecté la capitale.
La vague de protestations a débuté il y a quelques semaines dans
des villes de province.
Dans le centre ville, la
police a tiré des gaz lacrymogènes contre des centaines de
manifestants qui ont riposté par des jets de pierres. Des
correspondants internationaux à Tunis - qui font état d'une
censure sévère de la part du régime de Zine El Abidine Ben Ali -
disent que l'armée a été déployée dans des endroits stratégiques
de la ville et de la banlieue. Selon Al Jazeera, cinq
manifestants ont été tués mercredi à Tunis, dont un professeur
d'université.
La présence de l'armée se
concentrerait surtout dans la banlieue d'Ettadhamen, à l'Ouest
de la capitale, qui a été le théâtre d'émeutes la veille.
Dans la ville côtière de
Sfax, des dizaines de milliers de personnes ont répondu à
l'appel à la grève mercredi. L'agence de presse allemande DPA a
rapporté que deux manifestants avaient été tués par la police
dans la ville de Douz, tandis que la radio allemande Deutsche
Welle en a répertorié quatre. Le journal italien La Republica
rapporte que dans la ville touristique de Tozeur le bâtiment
municipal a été incendié.
Tous les établissements
scolaires et les universités restent fermés jusqu'à nouvel
ordre. Les matchs de football avaient été interdits
précédemment. D'amples efforts déployés par le gouvernement pour
pirater les courriers électroniques et les comptes Facebook ont
été quasiment confirmés, selon Danny O'Brien du Comité de
protection des journalistes. « Toutes les preuves indiquent une
opération de piratage contrôlée par l'Etat » a-t-il dit.
Le premier ministre Ben
Ali n'a fait aucune apparition publique mercredi, intensifiant
ainsi les spéculations que son régime vieux de 23 ans
approcherait de sa fin. Le journal égyptien El Wafd a
rapporté que son épouse et ses enfants ont déjà fui vers les
Emirats arabes unis et le New York Times rapporte que
d'autres membres de sa famille ont également quitté le pays
précipitamment.
Il y a des rapports non
confirmés disant que l'armée n'a pas suivi les ordres de Ben Ali
de briser des manifestations et qu'elle pourrait fomenter un
coup d'Etat. Selon des sources oppositionnelles tunisiennes, le
général de corps d'armée Rachid Ammar aurait été limogé pour
avoir refusé d'appliquer des ordres et été remplacé par Ahmad
Shabir, le chef des services secrets tunisiens.
Depuis qu'elles ont
débuté il y a près d'un mois, les protestations ont fait
officiellement 21 morts. Le nombre réel est bien supérieur.
Selon un représentant syndical local, au moins 50 personnes ont
été tuées la semaine passée lors d'une seule nuit d'émeute dans
la ville de Kasserine. Les victimes auraient été tuées par des
tirs policiers de snipers. Malgré le bain de sang, Kasserine a
été le théâtre d'une autre manifestation mercredi, selon le
journal espagnol El Pais.
Le gouvernement a pris
des mesures mercredi pour apaiser la colère populaire mais
celles-ci n'ont pas réussi à étouffer les protestations. Le
premier ministre Mohamed Ghannouchi a relevé de ses fonction le
ministre de l'Intérieur Rafik Belhaj Kacem, et a annoncé que la
plupart des prisonniers arrêtés durant les protestations
seraient libérés. Il a aussi annoncé la formation d'une
commission pour enquêter sur « les abus commis durant les
troubles » et sur « la question de la corruption et des erreurs
commises par certains responsables. »
Le ministère de
l'Intérieur sous Kacem avait antérieurement défendu la politique
de répression sanguinaire à Kasserine en affirmant que seulement
quatre « assaillants » avaient été tués et que les « policiers
ont fait usage de leurs armes dans un acte de légitime
défense. »
La répression continue
avec le remplaçant de Kacem comme ministre de l'Intérieur, Ahmad
Faria, qui après sa prise de fonction a rapidement ordonné
l'arrestation de Hama al-Hamami. Al-Hamami avait été emprisonné
jusqu'en 2002 pour avoir formé un parti illégal, le Parti
communiste des travailleurs tunisiens.
Les émeutes ont commencé
en Tunisie à la mi-décembre après que Mohamed Bouazizi, un
diplômé de l'université qui travaillait comme vendeur ambulant,
s'était immolé par le feu pour protester contre la confiscation
par la police de ses fruits et légumes. Bouazizi, âgé de 26 ans,
est mort le 4 janvier des suites de ses blessures.
Les nouvelles concernant
son geste se sont propagées par courrier électronique et par les
réseaux sociaux, échappant à la censure de la police, et ont
déclenché des protestations dans tout le pays.
Les manifestations
s'étaient d'abord concentrées dans les régions plus pauvres à
l'Est et au Sud du pays mais elles se sont propagées aux villes
côtières plus riches et ont atteint maintenant Tunis, incitant
un certain nombre de pays européens à émettre des conseils aux
voyageurs.
La propagation des
protestations en Tunisie, qui ont été appelées « Intifada du
pain », et le déclenchement de manifestations identiques,
concernant l'augmentation des prix, dans l'Algérie voisine ont
soulevé des craintes que le bouillonnement social n'enflamme
d'autres régimes pro-occident de la région, dont des alliés clé
des Etats-Unis, le Maroc, l'Egypte et l'Arabie saoudite.
Mercredi, le régime
libyen de Mouammar Kadhafi a annoncé qu'il suspendrait toutes
les taxes sur les produits alimentaires et les biens de
consommation dans une tentative d'empêcher que la rébellion ne
se propage à la Libye à partir de l'Algérie et de la Tunisie,
les deux pays étant en bordure de la Libye à l'Ouest.
Les conditions qui ont
donné naissance aux événements en Tunisie - « un taux élevé de
chômage, une inflation des prix alimentaires et du pétrole et la
corruption au sein de la classe dirigeante, » selon les mots de
la BBC - sont choses courantes partout en Afrique du Nord, au
Moyen-Orient et en Europe et en Amérique du Nord aussi
d'ailleurs.
Selon tous les
reportages, les protestations en Tunisie sont les réactions
spontanées des masses appauvries. Il n'y a pas de preuve que des
fondamentalistes islamiques ou des « terroristes » - que Ben Ali
tient pour responsables - aient joué un quelconque rôle
significatif.
Ce n'est que ces derniers
jours que la centrale syndicale établie, l'UGTT, alliée de
longue date de Ben Ali, a signalé son soutien aux protestations.
Après s'y être formellement opposée, l'UGTT tente à présent de
prendre les devants sur la tempête qui a éclaté d'en bas, en
appelant à une série de grèves générales, une ville après
l'autre. Des grèves se limitant aux seules villes de Kairouan et
de Jendouba sont prévues jeudi et de Tunis vendredi.
Avec la perspective
grandissante de jour en jour que le régime de Ben Ali pourrait
s'effondrer, tous les efforts seront faits par les forces pro
capitalistes en Tunisie, y compris l'UGTT, pour le remplacer par
un gouvernement qui poursuivra les dictats de Washington, de
Paris et de l'industrie financière internationale.
Les puissances
américaines et européennes sont peut-être déjà en train de
planifier une Tunisie post-Ben Ali. « Les Etats-Unis sont
profondément préoccupés par les informations faisant état d'un
usage excessif de la force de la part du gouvernement tunisien »
a dit Mark Toner, le porte-parole du département d'Etat
américain, tandis que la secrétaire d'Etat, Hillary Clinton a
formulé mercredi sa première critique hésitante quant à la
réaction du gouvernement tunisien, en exprimant des craintes
concernant « la mort de certains jeunes protestataires. »
L'Union européenne a publié un communiqué critiquant la
« réaction disproportionnée » du régime.
(Article original paru le 13 janvier 2011)
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Publié le 14 janvier 2011 avec l'aimable autorisation du WSWS
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