« Sous nos yeux »
La France selon
François Hollande
Thierry Meyssan
Lundi 30 juillet
2012
François
Hollande l’avait annoncé : « Le
changement, c’est maintenant ! ». Deux
mois après son élection, il a rompu avec
le style de son prédécesseur, mais
s’astreint à poursuivre sa politique à
l’identique. Pour Thierry Meyssan, ce
renoncement est le fruit d’une idéologie
qui transparaît dans les discours du
nouveau président, celle de la
collaboration avec l’Empire du moment.
Il est très difficile
de cerner les convictions personnelles
de François Hollande, tant l’homme s’est
efforcé d’entretenir les ambiguïtés pour
ratisser large et se forger une
majorité. Cependant, le nouveau
président a dévoilé en deux occasions sa
pensée profonde. Il a ajouté à sa
cérémonie d’investiture un hommage à
Jules Ferry et il a surpris lors de la
commémoration de la rafle du Vel d’hiv
en réinterprétant cet événement
historique.
Revenons sur ces deux moments.
Le 15 mai 2012, François Hollande
décidait d’honorer le fondateur de
l’École publique, gratuite et
obligatoire, tout en qualifiant de «
faute morale et politique »
l’engagement de Jules Ferry en faveur de
la colonisation. L’initiative du tout
nouveau président pour exalter
l’importance de l’école, aurait pu faire
référence à des figures historiques dont
il n’aurait pas eu à critiquer le bilan.
S’il a choisi le patronage de Ferry
plutôt que d’un autre, c’est parce qu’il
changea l’objectif de l’école. D’un
instrument d’émancipation, il en fit un
outil d’intégration. L’école ne visait
plus à libérer l’enfant de ses préjugés
en développant son esprit critique et en
lui donnant accès au savoir afin d’en
faire un citoyen. Elle s’arrogeait pour
fonction première d’arracher l’enfant à
sa famille, à l’influence de l’Église et
à sa culture régionale pour en faire un
élève obéissant, prêt à donner sa vie
pour étendre l’Empire français. Elle
n’est pas devenue obligatoire pour que
tous les enfants puissent en profiter,
mais, comme l’a montré Michel Foucault,
parce qu’elle était l’antichambre de la
caserne. En outre, la logique
autoritaire qui poussait les «
hussards noirs » de Ferry à taper
sur les doigts des enfants parlant dans
leur langue maternelle au lieu du
français, l’autorisait aussi à faire
usage de la force pour « civiliser
» les indigènes du Tonkin. On ne peut
historiquement ou philosophiquement
dissocier la pseudo-laïcité de Ferry de
son militarisme colonial.
En son temps, le radical Georges
Clemenceau s’était opposé au projet du
socialiste Jules Ferry. Sa critique
portait d’abord sur la prétendue «
mission civilisatrice » de la
France, préfiguration de l’actuel «
devoir d’ingérence humanitaire ».
Non point qu’il niait le haut niveau
relatif de développement de l’Europe,
mais parce qu’il raillait le concept de
« races supérieures » ; de même
qu’aujourd’hui le problème n’est pas de
savoir si la France a ou non une
gouvernance intérieure moins violente
que celle de la Syrie, mais de
reconnaître ou non la souveraineté du
peuple syrien. En outre, Clemenceau
estimait que le projet colonial était
une aventure militaire de la haute
bourgeoisie divertissant du vrai sujet :
la libération de l’Alsace-Lorraine
occupée et annexée par l’Empire
allemand. Ferry accusait les radicaux
d’être « absorbés par la
contemplation de cette blessure »
(la perte de l’Alsace-Moselle) au point
de renoncer à leurs responsabilités dans
le reste du monde. Clemenceau lui
rétorqua « Mon patriotisme est en
France ! » et lui opposa un éloge du
Droit international naissant.
Poursuivons notre lecture des
discours de François Hollande.
Le 22 juillet, il commémorait le 70e
anniversaire de la rafle du Vélodrome
d’hiver. En juillet 1942, des policiers
et gendarmes arrêtèrent dans Paris 13
152 juifs qui furent regroupés dans ce
stade avant d’être déportés, livrés à un
sort fatal.
François Hollande a fait sensation en
affirmant : « Nous devons la vérité
sur ce qui s’est passé, il y a 70 ans.
La vérité, c’est que le crime fut commis
en France, par la France ». Par
cette déclaration, il a pris parti dans
un débat bien connu dont je rappelle les
termes inconciliables :
Soit on considère que l’État français
de Philippe Pétain est un régime
politique parmi d’autres et qu’il était
à la fois légalement et légitimement le
gouvernement de la France ; soit on
considère qu’il n’était qu’une fiction
juridique érigée pour les besoins de
l’autorité d’occupation, et que –quoi
que bénéficiant d’un bricolage
juridique– il était illégitime et ne
constituait pas le gouvernement de la
France.
Pour éviter tout contresens, il
importe de rappeler qu’après avoir
accepté un armistice, le président du
Conseil, Philippe Pétain, se fit
attribuer les pleins pouvoirs par les
députés qui l’avaient suivi à Vichy. Il
abrogea la « République française
» au profit de l’ « État français
». Il devint donc non pas « chef
d’État français » (ce qui est un
rang protocolaire), mais « chef de
l’État français » (ce qui est un
titre), et imposa une dictature
administrative chargée d’appliquer les
clauses léonines de l’armistice. Les
Français, qui avaient été décimés par la
Première Guerre mondiale, ne
s’estimèrent majoritairement pas
capables de résister et s’inclinèrent
devant cet état de fait. Seule une
petite minorité refusa l’armistice, en
premier lieu le sous-secrétaire à la
Guerre, Charles De Gaulle, qui constitua
à Londres le Gouvernement provisoire de
la République française.
Les mots ont un sens et ce débat n’a
rien d’académique. Peu avant la fin de
la Seconde Guerre mondiale, les trois
principaux alliés (URSS, Royaume-Uni,
USA) ont eu aussi à le trancher. Dans un
premier temps, ils ont considéré que
Philippe Pétain représentait la France.
Lors de la conférence de Yalta (février
1945), ils ont anticipé la défaite de
leurs ennemis (dont l’État français) et
ont acté les sanctions contre eux. En
portant un toast durant le banquet de
clôture, Staline révéla qu’il souhaitait
fusiller tous les officiers de l’armée
française vaincue et priver de leur
droit de vote tous les électeurs
français qui avaient été en âge de
responsabilité lors de l’armistice
franco-allemand. Grâce à une action
politique et militaire intense, Charles
De Gaulle parvint à renverser ce projet.
Il finit par obtenir que les trois
principaux alliés reconnaissent le
gouvernement provisoire de la France
libre comme seul représentant de la
France. C’est ainsi, qu’en définitive,
la France fut reconnue comme un des
vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale
et qu’elle obtint même un siège
permanent au Conseil de sécurité des
Nations Unies.
La position de François Hollande,
outre qu’elle insulte la mémoire de tous
ceux qui ont donné leur vie pour libérer
notre patrie, a donc d’importantes
conséquences en politique
internationale. Puisque la République
est considérée comme comptable des
crimes de l’État français, il
conviendrait par exemple que nous
versions comme nos amis allemands des
indemnités à Israël, et que nous
renoncions à notre siège permanent au
Conseil de sécurité.
Le point commun des deux discours de
François Hollande saute aux yeux.
Promoteur de « l’ingérence
humanitaire », il réhabilite
l’instrumentation de l’école par Ferry
pour que les enfants ne deviennent pas
des citoyens critiques, mais des élèves
obéissants. Énarque, il réhabilite les
fonctionnaires qui, trahissant la
patrie, se rallièrent à un gouvernement
fantoche et obéirent à l’autorité
d’occupation. Socialiste, il réhabilite
les députés de son parti qui validèrent
l’armistice, votèrent les pleins
pouvoirs à Philippe Pétain et
entérinèrent le renversement de la
République. Tout cela bien sûr
accompagné de grandiloquentes
condamnations des conséquences de cette
même politique : le colonialisme et le
racisme antisémite.
François Hollande est un homme
cultivé qui mesure parfaitement ce qu’il
dit. Il est simplement en train
d’apporter sa touche à l’entreprise de
démolition de la Nation française, dans
la parfaite continuité de son
prédécesseur.
Pour soumettre les États de la
périphérie, l’Empire global tente de
détruire leurs Nations par la force.
Pour soumettre les États du centre, il
agit en douceur, en diluant le cadre de
leur souveraineté, c’est-à-dire la
Nation. Pour « remodeler l’Europe
», il introduit l’idéologie dont MM.
Sarkozy et Hollande sont porteurs, celle
de l’Ancien Régime, qui prévaut toujours
dans les États anglo-saxons et est
devenue celle de l’Empire.
Pour eux, la France est une
communauté historique de langue et de
culture. Elle a donc une base ethnique.
Les nouveaux venus doivent modifier leur
identité pour s’intégrer. Au contraire,
pour les Révolutionnaires, la France est
une communauté de destin que partagent
les habitants du territoire français
parce qu’ensemble ils ont renversé la
tyrannie. La France est une convention
juridique qui s’applique dans des
frontières données, et l’on devient
Français par ses actes, en se dévouant à
ce projet. Bien sûr la Révolution de
1789 n’a pas fait table du rase du passé
et la République française se doit
d’assumer son héritage, avec ses gloires
et ses hontes, mais elle n’en devient
pas coupable des crimes de ceux qui
l’ont trahie.
En deux discours, François Hollande
nous a expliqué qu’il n’entendait pas
défendre notre souveraineté, mais
conditionner nos enfants et collaborer
avec les États-Unis dans leurs
sanglantes aventures « humanitaires
».
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