Colonnes de nuées
Pourquoi une
nouvelle guerre contre Gaza ?
Thierry
Meyssan
Samedi 17 novembre
2012 À nouveau
Israël attaque Gaza et les médias
internationaux relaient des images de
désolation. Cependant la sidération que
provoque l’horreur quotidienne de cette
nouvelle guerre ne doit pas nous
empêcher de l’analyser et d’en
comprendre les objectifs. Thierry Meyssan répond à cette question.
Le 14 novembre
2012, les Forces armées israéliennes
ont lancé l’opération « Colonne
de Nuées » contre les
installations administratives et
militaires du Hamas dans la Bande de
Gaza. Dès le premier jour, elles ont
assassiné Ahmed Jaabari, numéro 2 de
la branche armée de l’organisation
palestinienne. Elles auraient
également détruit des rampes de
lancement souterraines de missiles
sol-sol Fajr 5.
« Colonnes de Nuées » a
rapidement pris une grande ampleur,
l’aviation israélienne multipliant
les bombardements. L’état-major
israélien a procédé au rappel de 30
000 réservistes, rapidement étendu à
75 000 hommes au risque de
désorganiser l’économie. De la
sorte, Israël se met en capacité
d’envahir la Bande de Gaza avec des
troupes au sol.
Cette situation appelle plusieurs
explications.
Pourquoi maintenant
?
Tel-Aviv prend l’initiative alors
que le pouvoir à Washington est
partiellement vacant. On attend la
nomination de nouveaux secrétaires
d’État et à la Défense.
Possiblement, il s’agirait de
l’ambassadrice Susan Rice et du
sénateur John Kerry. Cependant, une
âpre lutte, par presse interposée,
tente de disqualifier Mme Rice. Quoi
qu’il en soit, les secrétaires
d’État et à la Défense sortants sont
affaiblis et leurs successeurs ne
sont pas encore nommés.
Identiquement Tel-Aviv avait pris
une initiative similaire,
l’opération « Plomb durci »,
lors de la période de transition
entre les présidents Bush Jr. et
Obama.
Certains commentateurs évoquent
aussi la proximité des élections
législatives israéliennes et
laissent entendre que Benjamin
Netanyahu et Avigdor Lieberman
cherchent à parfaire leur image de
faucons intransigeants.
C’est peu probable. En effet, ils
lancent cette attaque sans en
connaître à l’avance le résultat.
Or, en 2008-2009, l’échec de «
Plomb durci » fut fatal au
gouvernement d’Ehud Olmert.
Dans quel but ?
Traditionnellement les Forces
armées israéliennes adaptent leurs
objectifs de guerre aux occasions
qui se présentent.
Au minimum, il s’agit d’affaiblir
la Résistance palestinienne en
détruisant infrastructures et
administrations dans la Bande de
Gaza, comme cela est fait à
intervalles plus ou moins réguliers.
Cependant, l’affaiblissement du
Hamas sera automatiquement
profitable au Fatah en Cisjordanie ;
et ce dernier ne manquera pas de
pousser un peu plus loin sa
revendication de reconnaissance d’un
État palestinien par les Nations
Unies.
Au maximum, « Colonne de Nuées
» peut ouvrir la voie à un vieux
plan sioniste : la proclamation de
la Jordanie comme État palestinien,
le transfert de la population de
Gaza (voire aussi de Cisjordanie) en
Jordanie, et l’annexion des
territoires vidés. Dans ce cas,
l’opération militaire ne doit pas
viser indistinctement tous les
responsables du Hamas, mais
uniquement ceux qui sont opposés à
l’ancien chef politique de
l’organisation, Khaled Mechaal. Ce
dernier étant appelé à devenir le
premier président d’un État
palestinien de Jordanie.
Les troubles en
Jordanie sont-ils liés ?
La guerre de Syrie a étouffé
l’économie jordanienne. Le Royaume
s’est rapidement endetté. Le
gouvernement a annoncé le 13
novembre (c’est-à-dire la veille du
déclenchement de « Colonne de
Nuées ») une hausse des prix de
l’énergie allant jusqu’à 11 % pour
les transports publics et 53 % pour
le gaz domestique. Cette nouvelle a
alimenté un mouvement de
contestation qui existe à l’état
rampant depuis le début de l’année.
Immédiatement, environ la moitié des
120 000 professeurs des écoles
publiques ont fait grève.
Vendredi 16, plus de 10 000
personnes ont manifesté au cœur
d’Amman aux cris de : « La
liberté vient de Dieu ! », «
Abdallah ton temps est révolu !
», « Le peuple veut la chute du
régime ! ». Le cortège est parti
de la mosquée Husseini et était
encadré par les Frères musulmans.
Les Frères musulmans, qui ont
conclu un accord avec le département
d’État US et avec le Conseil de
coopération du Golfe, sont déjà au
pouvoir au Maroc, en Tunisie, en
Libye, en Égypte, et à Gaza. En
outre, ils contrôlent la toute
nouvelle Coalition nationale
syrienne. Ils ambitionnent de
gouverner la Jordanie avec ou sans
le roi Abdallah II.
Le plus célèbre des Frères
musulmans jordanien est Khaled
Mechaal, ancien chef de la branche
politique du Hamas. Mechaal a vécu
en exil de 2001 à 2012 à Damas, sous
la protection de l’État syrien. En
février 2012, il a soudain accusé le
gouvernement de Bachar el-Assad de
réprimer son propre peuple et a
choisi de déménager au Qatar où
l’émir Hamad al-Thani s’est montré
particulièrement généreux avec lui.
Les troubles en
Syrie sont-ils liés ?
En juin dernier, un accord de
paix a été conclu à Genève par les
grandes puissances. Toutefois, il a
été immédiatement saboté par une
faction US qui a organisé des fuites
dans la presse à propos de
l’implication occidentale dans les
événements, forçant ainsi le
médiateur Kofi Annan à démissionner.
Cette même faction a alors par deux
fois tenté d’en finir militairement
en organisant deux attaques massives
de Damas, le 18 juillet et le 26
septembre. Au vu de ces échecs,
l’administration Obama est revenue à
l’accord initial et s’est engagée à
le mettre en œuvre après l’élection
présidentielle et le changement de
cabinet.
L’accord prévoit le déploiement
d’une Force de paix des Nations
Unies, principalement composée de
contingents de l’Organisation du
Traité de sécurité collective
(OTSC). Cette force aurait pour
mission de séparer les belligérants
et d’arrêter les jihadistes
étrangers introduits en Syrie. En
laissant la Russie se réinstaller au
Proche-Orient, Washington espère se
soulager du fardeau de la sécurité
d’Israël. La Russie veillerait à ce
que l’État sioniste ne soit plus
attaqué et à ce qu’il n’attaque plus
personne. Le retrait militaire US du
Proche-Orient pourrait donc se
poursuivre et Washington
retrouverait une marge de manœuvre
qu’il a perdue du fait de son
tête-à-tête permanent avec Tel-Aviv.
Dans cette perspective, les
partisans de l’expansionnisme
israélien doivent agir à Gaza, et
éventuellement en Jordanie, avant le
déploiement russe.
Quels sont les
premières conclusions de la guerre
en cours ?
La guerre a mis à l’épreuve la
défense anti-aérienne israélienne.
L’État sioniste a investi plusieurs
centaines de millions de dollars
dans la création du « Dôme
d’acier », un système capable
d’intercepter toutes les roquettes
et missiles tirés depuis Gaza ou le
Sud du Liban.
Ce dispositif est apparu
inopérant lorsque le Hezbollah a
envoyé un drone survoler la centrale
de Dimona ou lorsqu’il a testé des
missiles sol-sol Fajr-5.
Durant les trois premiers jours
de « Colonne de Nuées », le
Hamas et le Jihad islamique ont
riposté aux bombardements israéliens
par des salves de roquettes et
missiles. Le « Dôme d’acier »
serait parvenu à intercepter 210
tirs sur un peu plus de 800.
Cependant cette statistique ne
signifie pas grand chose : le
dispositif ne semble capable
d’intercepter que des roquettes
assez primitives, comme les Qassam,
et être inadapté à tout armement un
tant soit peu sophistiqué.
Thierry
Meyssan
Intellectuel français,
président-fondateur du
Réseau Voltaire
et de la conférence
Axis for Peace.
Professeur de Relations internationales
au Centre d’études stratégiques de
Damas. Dernier ouvrage en français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007).
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