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« Le fond du problème, c'est l'islam, pas les minarets »
Tariq Ramadan


Tariq Ramadan

Mercredi 28 octobre 2009

Craint, détesté ou adulé, le Genevois Tariq Ramadan, professeur d’études islamiques contemporaines à l’Université d’Oxford, publie un nouveau livre de manière simple et vulgarisée, qui s’arrache en librairie. Il dit tout : les minarets, la lapidation, Israël, l’Iran, Ben Laden, Sarkozy ou le pacs…

Par Arnaud Bédat

Tariq Ramadan, dès qu’on prononce votre nom, vous cristallisez souvent la haine. Pourquoi faites-vous aussi peur ?

Je crois que ce qui fait peur, c’est ma visibilité. Je concentre l’ensemble des fantasmes et des peurs que certains peuvent avoir sur l’islam et les musulmans. Je suis au paysage intellectuel ce que le minaret est à la rue et je deviens une sorte de symbole ou d’épouvantail qui cristallise tous les soupçons.

Qu’avez-vous envie de dire aux Suisses qui sont appelés aux urnes le 29 novembre pour se prononcer sur l’initiative anti-minarets ?

Je voudrais leur dire qu’il ne faut pas voter avec ses peurs, mais avec ses principes et ses espérances, et qu’il faut conserver les principes fondamentaux qui font la tradition suisse : la liberté de conscience et la liberté de culte. L’UDC aujourd’hui instrumentalise la peur, comme avec ses affiches qui transforment les minarets en missiles. Ce sont de vieilles méthodes bien connues, avec un ancien racisme qui revient aujourd’hui avec de nouvelles cibles.

Mais comprenez-vous ces peurs ?

Bien sûr. Il faut respecter la peur des citoyens ordinaires, alors qu’il faut résister de façon citoyenne aux partis populistes qui instrumentalisent la peur pour gagner des élections. La majorité de nos concitoyens suisses ne sont pas racistes : ils ont peur et ils aimeraient comprendre. Les Suisses de confession musulmane ont une vraie responsabilité de communication et d’explication : c’est dans ce sens que j’ai écrit mon dernier livre, que j’ai voulu court, explicatif, simple et accessible. Dans le même temps, on doit refuser de laisser le populisme s’installer. Le problème, c’est que l’initiative de l’UDC utilise le symbole du minaret pour cibler l’islam en tant que religion. J’ai eu des débats avec M. Freysinger. Que dit-il ? Que « l’islam n’est pas intégrable dans la société suisse ». Il me dit donc, à moi, qui suis un Suisse comme lui : « Tu n’es pas un bon Suisse, tu ne peux pas l’être, car ta qualité de musulman fait qu’elle t’empêche d’être un bon Suisse. » C’est le fond du débat : le problème, c’est l’islam, pas les minarets.

Mais le minaret, vous l’écrivez vous-même, n’est pas un pilier de la foi musulmane…

Oui, mais est-ce une raison de dire : « Comme ce n’est pas une obligation, vous n’en avez pas besoin » ? La question à poser à l’UDC ne serait-elle pas plutôt celle-là : « Pourquoi voulez-vous que vos concitoyens musulmans deviennent à ce point invisibles ? » Le seul bon Suisse musulman devrait-il être un musulman invisible ? Est-ce cela l’avenir de notre pluralisme et du vivre ensemble ?

De nombreux pays islamiques interdisent d’autres religions chez eux – il n’y a aucune église ou synagogue en Arabie saoudite par exemple. N’est-ce finalement pas logique qu’une partie de l’Occident refuse l’islam sur ses terres ?

C’est l’argument souvent répété de la réciprocité. Il n’est pas tenable. Le respect des droits et de la dignité des personnes n’est pas une question de marchandage. Il nous appartient, à nous en Suisse, de préserver nos principes de respect et non pas de se laisser coloniser par les pratiques inacceptables des autres sociétés. Disons d’abord qu’il est faux de dire que les minorités religieuses sont toujours discriminées dans les sociétés majoritairement musulmanes. Il y existe des synagogues, des églises et des temples. Il ne faut pourtant pas nier qu’il existe des discriminations et des dénis de droit, comme en Arabie saoudite. On ne peut pas rendre responsables des citoyens et résidents suisses de confession musulmane des agissements de certains gouvernements dictatoriaux qu’ils ont d’ailleurs souvent fui pour des raisons politiques ou économiques. Ce que l’on peut néanmoins attendre d’eux, sur le plan moral, c’est la dénonciation des discriminations et des mauvais traitements. C’est ce que je ne cesse de faire, ce qui m’a fermé les portes de nombreux pays comme l’Arabie saoudite.

Est-ce que, finalement, Ben Laden n’a pas complètement nui à votre cause ?

J’ai l’habitude de dire que les secondes victimes du 11 septembre, après les victimes directes, ce sont les musulmans eux-mêmes. Ma position a toujours été claire : j’ai condamné avec la plus grande fermeté ces attentats qui sont anti-islamiques et contre ma religion.

Mais les terroristes du 11 septembre, eux, disaient agir au nom d’Allah…

Oui, mais c’est là que les gens doivent nous entendre et comprendre que la très grande majorité des musulmans à travers le monde ont condamné ces attentats. Il ne faut pas seulement entendre les voix extrêmes et minoritaires qui font du bruit, mais être à l’écoute des voix majoritaires paisibles, pacifistes et respectueuses.

Rêvez-vous, comme le prétendent vos détracteurs, d’un monde entièrement musulman ?

Non. Je suis né, j’ai vécu et j’ai étudié en Suisse, toute ma formation philosophique provient de là. J’ai toujours considéré que ceux qui ne partageaient pas mes croyances me permettaient d’être mieux moi même. Le pouvoir absolu ou l’uniformisation d’une religion sur la Terre, c’est la corruption et la mort. Le pire qui puisse arriver aux musulmans, c’est que tout le monde devienne musulman ! Ce n’est pas même le projet divin. Il faut qu’il y ait la diversité et la différence. Parce que la différence nous apprend l’humilité et le respect.

Quand vous entendez un Michel Houellebecq déclarer que « l’islam est la religion la plus conne du monde », vous réagissez comment ?

Je ne réagis pas à ce genre de provocations. Penser qu’une religion peut être la plus conne du monde, c’est un peu con, non ?

Votre fameux débat télévisé en 2003 face à Nicolas Sarkozy a marqué les esprits. N’avez-vous pas l’impression, avec le recul, d’avoir perdu la partie ?

Sur le fond, pas du tout. J’ai presque envie de dire aujourd’hui que Sarkozy a été mon premier assistant en relations publiques. Il a vraiment permis à mon propos d’être entendu par tous et partout. Ma proposition a concrètement fait avancer le débat sur la peine de mort, les châtiments corporels et la lapidation parmi les musulmans. Sarkozy, à la recherche d’un coup médiatique, voulait me faire condamner la lapidation sans autre forme de procès que de dire que celui qui admet la lapidation est un dérangé et un malade mental. Deux ans plus tard, c’est le même Sarkozy qui explique que l’Arabie saoudite, pays où la lapidation se pratique, est un pays finalement recommandable avec lequel on peut faire des affaires. Qui est dans le double discours ?

Reste que vous avez choqué en réclamant un moratoire sur la lapidation et la peine de mort, sans les condamner…

On n’a pas toujours compris la logique de mon propos : je veux qu’on arrête tout de suite ces peines extrêmes au nom de l’islam et non contre l’islam. Pour changer les mentalités, il faut parler de l’intérieur. Nous parlons de textes sacrés que les musulmans prennent au sérieux. Ma question est simple : que disent les textes et quelles sont les conditions de l’application ? Ouvrons le débat et cessons l’application de ces peines. Quand Amnesty International demande un moratoire sur la peine de mort aux Etats-Unis ou en Chine, tout le monde comprend et est d’accord avec la logique de l’approche.

Des questions en rafales, à répondre par oui ou par non. Condamnez-vous tous les fanatismes ?

Oui. Tous les fanatismes et dogmatismes, d’où qu’ils viennent.

Condamnez-vous les prises d’otages, comme celle du soldat Shalit en Israël ?

Oui. Et celles des milliers de Palestiniens aussi.

Peut-on recruter un enfant kamikaze au nom de l’islam ?

Non.

Condamnez-vous l’Iran, qu’on soupçonne de se doter de l’arme nucléaire ?

Oui. Je condamne toute possession d’armes nucléaires, sans exception.

Reconnaissez-vous le droit à l’existence d’Israël ?

Oui.

Etes-vous pour ou contre le pacs ?

Pour. J’ai même été plus loin en disant aux musulmans que le pacs pouvait être un cadre contractuel intéressant pour les citoyens musulmans.

Allez-vous un jour vous lancer en politique, comme le laissent supposer certains ?

Non définitif. Ma sensibilité est à gauche. Si l’on me forçait la main, je me verrais plutôt dans un parti proche de l’écologie.

Avez-vous parfois peur d’être la cible d’extrémistes ?

J’ai reçu des menaces. Rien de grave.

Vous devez être l’un des hommes les plus écoutés par tous les services secrets de la planète, non ?

Cela m’importe peu. J’essaie de garder une ligne : mon engagement politique est clair.

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© Tariq Ramadan 2008



Source : Tariq Ramadan
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