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La révolution en Tunisie, prémices d'un printemps arabe ?
Tariq Ramadan


Tariq Ramadan

Dimanche 23 janvier 2011

La « révolution de jasmin » tunisienne est-elle le début d’une onde de choc démocratique dans le monde arabe ? Le scénario semble peu probable pour Tariq Ramadan, professeur d’Études islamiques contemporaines à l’université d’Oxford.

« Un verrou s’est brisé, il faut espérer le réveil des peuples »

On est encore étonné de la rapidité avec laquelle s’est effondré le régime Ben Ali... Qu’est-ce-qui a fait la spécificité de ce mouvement de révolte ?

D’abord, il faut faire très attention à la façon dont on formule les choses : ce n’est pas le système Ben Ali qui est tombé, c’est Ben Ali qui est parti. Le système est toujours là, et ce sera plus long de s’en débarrasser.

Ensuite, je dirais qu’il y a plusieurs facteurs qui ont déclenché cette révolution tunisienne. Depuis un certain nombre d’années, la gouvernance reposait sur le clientélisme et les passe-droits. Même si les chiffres donnaient une impression de réussite économique, la population étouffait sous le manque de liberté. Il ne faut pas oublier que c’était un des régimes policiers les plus sophistiqués d’Afrique du Nord. Deuxième élément, ce mouvement est strictement populaire. Personne ne pouvait prévoir que l’étincelle - l’acte quasi sacrificiel de Mohamed Bouazizi - déclencherait un incendie. Enfin, le troisième facteur, c’est que l’armée a choisi l’apaisement en décidant de ne pas suivre les ordres appelant à la violence.

Les islamistes d’Ennahda, parti interdit depuis 1991 et absent du gouvernement d’union, demandent à être légalisés. Pourraient-ils représenter une alternative politique crédible ?

Sur le principe, tout développement vers une démocratie réelle, transparente, respectueuse de l’état de droit, de l’égalité citoyenne et du suffrage universel doit permettre à toutes les forces politiques - celles qui n’étaient ni inscrites dans la géographie de la dictature ni dans la violence - d’exister dans le jeu démocratique. C’est ce que dit notamment Moncef Marzouki [opposant historique de la gauche laïque au régime Ben Ali, NDLR].

Maintenant, je ne pense pas qu’Ennahda représente une alternative à brève échéance : la population tunisienne est très jeune, les caciques du mouvement ont vécu loin du pays et sont âgés. Les islamistes auront certainement une voix dans le jeu démocratique, mais je ne pense pas que ce sera la plus forte.

L’opinion publique réagit à cette révolution, surtout en Algérie et en Égypte, mais aussi au Maroc, en Jordanie, au Yémen... La révolution tunisienne marque-t-elle le début d’un printemps arabe ?

Je l’aimerais et je le souhaite, mais je crois que c’est plus complexe que cela. C’est vrai qu’on a vu ces derniers jours des hommes et une femme s’immoler par le feu en espérant que quelque chose allait se déclencher. Le premier à réagir à ce qui se passait en Tunisie a été Kadhafi, tous les autres dirigeants sont restés silencieux mais ont immédiatement mis en marche l’appareil sécuritaire. Je ne vois donc pas à brève échéance quelque chose qui se déclencherait de la même façon dans ces autres dictatures. Tous les cas sont singuliers.

Y a-t-il néanmoins des pays plus vulnérables que d’autres ?

Il y a des pays arabes où on est à la limite de l’explosion - ou de l’implosion - sociale. Par exemple en Egypte, où la présidentielle approche et où l’on assiste à la passation de pouvoir entre le père et son fils [Hosni Moubarak est au pouvoir depuis 1981, son fils Gamal est pressenti pour prendre sa suite, NDLR]. Les Egyptiens étouffent. Je pense aussi à la Jordanie, la Libye, la Mauritanie, enfin l’Algérie, qui a vécu des manifestations récemment. Au Maroc c’est un peu différent, car Mohammed 6 a intégré les partis d’opposition au jeu politique.

Je ne pense pas qu’il y aura un effet domino immédiat, mais c’est sûr qu’un verrou s’est brisé, qu’un espérance est rendue possible. Ni les opposants politiques, ni les intellectuels n’ont réussi à enclencher une révolte, c’est le peuple qui est descendu dans la rue et qui a mené un mouvement pacifique et non-violent. Il faut donc espérer le réveil des peuples qui vivent sous une dictature, qu’elle soit arabe ou non.

Le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, a appelé le 19 janvier à répondre à « la colère et la frustration sans précédents » de la population, lors d’un sommet des pays arabes en Egypte, sur fond de crainte de contagion des événements tunisiens.

La révolution tunisienne fait aussi penser à la révolution avortée en Iran en juin 2009...

Encore une fois, ce n’est pas le même régime et pas la même situation. En Tunisie, le régime était en fait une sorte de réseau à la fois corrompu, mafieux et dictatorial. En Iran, il ne faut pas oublier que le mouvement conservateur au pouvoir est populaire pour un pourcentage important de la population. Autre différence : la révolte sur Internet, notamment les réseaux sociaux, a touché massivement la population en Tunisie, alors qu’en Iran, cette « révolte 2.0 » n’a concerné que certaines couches de la population.

Les dirigeants arabes ont-il peur ?

Il y a de l’inquiétude, c’est certain. Quelque chose s’est passé, et de façon extrêmement rapide. Les régimes arabes ont donc raison d’être inquiets. On voit aussi que le regard des États-Unis a changé : tout ce qui se passe en Afrique aujourd’hui est un enjeu et le président américain l’a bien compris. Il a donc salué le courage du peuple tunisien beaucoup plus vite que ne l’ont fait la France ou l’Europe, qui ont réagi tardivement et timidement.

Il faut maintenant que nous Occidentaux nous mobilisions, en demandant à nos dirigeants non pas de soutenir la révolution tunisienne une fois qu’elle a eu lieu, mais de soutenir la démocratie pour que les réformes soient engagées dans ces pays qui sont nos alliés, pour le meilleur mais souvent pour le pire.

20.01.2011Propos recueillis par Laure Constantinesco

Source: http://www.tv5.org/cms/chaine-franc...

© Tariq Ramadan 2008
Publié le 24 janvier 2011

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Source : Tariq Ramadan
http://www.tariqramadan.com/...


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