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L'Imposture et la
Lumière
Tariq Ramadan
Tariq Ramadan
Mardi 18 janvier 2011
On savait que la transition allait être difficile. Des hommes
proches du pouvoir essaient encore de tirer leurs cartes du jeu
ou simplement de sauver leur avenir ou leur vie. Rien n’est
gagné et le peuple tunisien ainsi que ses intellectuels, ses
hommes politiques, jusqu’au commandement de l’armée, doivent
faire preuve tout à la fois de détermination, de modération et
de patience. Rien ne sera facile. Ce n’est pas un dictateur
qu’il faut simplement chasser, c’est un système autarcique, basé
sur le clientélisme et la corruption, qu’il faut démanteler et
empêcher de nuire encore. Ce sera long, il faut rester vigilants
afin que cette révolution ne soit pas détournée, confisquée,
manipulée par des individus ou des réseaux aux intérêts sombres
et peu démocratiques. Le gouvernement de transition qui
s’installe aujourd’hui est une belle mise en scène qu’il faut
critiquer et refuser : offrir le ministère de l’intérieur à un
ancien du régime en dit long sur les tentatives de récupération.
L’alternative doit être sereine et plurielle, certes, mais
radicalement nouvelle pour préparer comme il se doit les
élections dans six mois.
On s’attendait, nous l’avions dit, à entendre des voix
nouvellement converties à la « belle démocratie » en Tunisie.
Ils louent aujourd’hui « le courage du peuple » et « cet
extraordinaire mouvement » vers la liberté. Les voilà qui se
font entendre aujourd’hui à l’image de Abdelwahab Meddeb qui, il
y a deux ans sur le plateau de Ce soir ou Jamais,
défendait le régime tunisien qui avait raison, "au nom de la
laïcité" disait-il, de ne pas être démocrate. Le voilà
aujourd’hui, lui comme tant d’autres, parmi les signataires d’un
appel à la démocratie et à la modération. Et les medias français
- qui peinent encore à entendre la voix des peuples libres des
anciennes colonies - lui demandent encore, à lui et à ses
acolytes complices du régime qui tombe, d’expliquer la Tunisie
aux Français. Avec ou sans Ben Ali, les seules voix légitimes du
Maghreb, dans les salons parisiens comme dans une majorité de
rédactions de medias, restent les esprits soit colonisés, soit
achetés, soit vendus. Une honte, une imposture.
On ferait mieux d’entendre les voix d’autres intellectuels,
politiques ou journalistes, à l’image de Moncef Marzouki dont
personne ne pourra nier la cohérence, dans leur combat légitime
pour une vraie démocratie en Tunisie. Il existe des centaines de
femmes et d’hommes, et de tout bord politique, qui sont restés
droits et qui doivent être associés à la construction de
l’avenir de la Tunisie. Une construction digne, transparente et
libre.
Des femmes et des hommes tentent de faire bouger les choses
de la Jordanie, à l’Egypte en passant par l’Algérie ou la Syrie.
Les régimes sont sur pied de guerre et s’opposeront à l’évidence
à toute velléité de changement populaire. Il y a fort à parier
que rien ne se passera dans les jours qui viennent mais on
aimerait tant, tellement, que les peuples se réveillent et
qu’ils ébranlent ces régimes que les leaders politiques, les
partis d’opposition et les intellectuels n’ont pas réussi à
réformer ou à renverser. On aimerait tant que de tels mouvements
de population, déterminés et non-violents, prennent corps dans
tous les pays arabes – et partout où règne la dictature ce
faisant – et que cet exemple soit un chemin vers un avenir plus
lumineux.
Quelque chose s’est passé en Tunisie : un moment historique.
Un verrou psychologique et politique a été brisé. C’est à chacun
de nous de travailler à ce que ce mouvement demeure vivant pour
la dignité des peuples et leur liberté. Il y a un prix à payer :
des mouvements non violents et populaires compteront leurs morts
mais à terme c’est l’avenir et de la vie des femmes, des hommes
et des jeunes générations qui sera protégé. Cet avenir est notre
affaire. Où que nous soyons.
© Tariq Ramadan 2008
Publié le 18 janvier 2011
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