Le premier ministre Ehut Olmert a annoncé que le gouvernement
israélien avait obtenu ce qu’il voulait et qu’il pouvait
envisager unilatéralement un cessez-le-feu. Après une
« guerre », une offensive, et au fond un carnage de trois
semaines, l’administration israélienne « entend » les voix de
l’indignation à travers le monde. Un retour au calme serait donc
possible, et la paix envisageable.
De nombreux
analystes et commentateurs, dont le rédacteur en chef de la BBC
pour le Moyen-Orient, Jeremy Bowen, mettent en évidence les
calculs politiciens et stratégiques qui ont conduit à cette
décision. Si l’humanitaire et le respect de la vie des civils
avaient vraiment joué un rôle, ce cessez-le-feu aurait été
décidé bien avant. Après avoir décimé la bande de Gaza, et en
stoppant unilatéralement son offensive, Israël, d’une part, se
donne les moyens d’accueillir le nouveau président Barack Obama
(qui prend ses fonctions le 20 janvier) en position de force
(mais plus dans un rôle d’agresseur effectif) et il place,
d’autre part, les Palestiniens dans une situation difficile :
obligés de se plier aux conditions d’Israël, toutes
manifestations de résistance les mettraient du côté des
agresseurs et Israël aurait toute latitude pour recommencer
l’offensive par « légitime défense ».
Lavé l’affront de l’été 2006
en face du Hezbollah libanais ; rétablie la confiance des
Israéliens vis-à-vis de leurs dirigeants politiques juste avant
les élections israéliennes de février 2009 (à l’instar du
ministre de la défense Ehud Barak dont la côté de popularité a
grimpé ces derniers jours) et, enfin, symboliquement brisée la
force de résistance de Hamas à Gaza (un accord contre le
« trafic d’armes » en direction de Gaza a de plus été signé avec
les Etats-Unis) : une victoire stratégique apparemment totale.
Israël est en position de force, l’ « autorité palestinienne »
en déroute et « la communauté internationale » ne peut que
prendre acte du « fait accompli ». Sombres calculs, sombre
tableau : nul ne pourra contester aux responsables israéliens le
génie du calcul politique et de la maîtrise de la communication
(politique autant que médiatique).
Il faudra
pourtant faire les comptes et rendre des comptes. Car enfin des
limites ont été dépassées dans les dernières actions militaires
menées par Israël. Une population enfermée dans 360 km2, coupée
du monde, sans ressources (ni alimentaires, ni médicales, ni
militaires), et livrée à une offensive acharnée et à des
bombardements aveugles. Les organisations internationales et les
premiers médecins à entrer dans Gaza témoignent des horreurs et
de l’ampleur du carnage. Chris Gunness, le porte-parole de
l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens
(UNRWA), répète que des enquêtes devront être impérativement
menées pour déterminer si des « crimes de guerre » ont été
commis par l’armée israélienne, notamment (entre autres), lors
du bombardement de l’école (où étaient réfugiés des civils) et
de l’hôpital de Gaza (dont l’exacte localisation avait pourtant
préalablement été indiquée aux autorités israéliennes par les
responsables Nations Unies). Il faudra « établir des enquêtes
indépendantes » et « rendre des comptes », répète-t-il avec
force. Il faudra, oui, certainement.
La dernière offensive
israélienne, bien que stratégiquement intelligente sur le court
terme, pourrait bien avoir été la plus contreproductive de son
histoire sur le long terme. Au-delà des tergiversations des
gouvernements d’Occident ou d’Orient ( à l’exception du
Venezuela, de la Bolivie et des syndicats norvégiens), le
sentiment des populations à travers le monde a bien évolué : on
n’ « achète » plus aussi facilement les thèses israéliennes. Le
rejet et la condamnation s’étendent. Stéphane Hessel, ancien
déporté, rescapé de l’extermination, ex-ambassadeur français a
affirmé, faisant écho au sentiment général, que, sur le long
terme, Israël, qu’ « [il] aime tant », était en train de creuser
sa propre tombe en agissant de la sorte. Il faut cesser
l’arrogance, affirme-t-il, respecter le droit international et
les résolutions de l’ONU et entrer dans un vrai dialogue avec
toutes les composantes palestiniennes (Hamas compris car si
ceux-ci ne reconnaissent pas formellement Israël, ils ont prouvé
qu’ils savaient être pragmatiques en acceptant il y a plusieurs
années déjà les frontières de 1967). Israël ne pourra pas
longtemps encore se cacher derrière « des prétextes » pour ne
pas faire la paix : que ce soit avec le Fatah, Yasser Arafat,
Mahmoud Abbas, le Hamas ou autres…aucun des interlocuteurs n’a
rien obtenu au final (avant et après les accords d’Oslo).
Rien n’est fini au
Moyen-Orient, rien n’est acquis. Au-delà des émotions et de la
désolation, il faut poursuivre la lutte pour une paix digne,
juste et durable. J’ai lancé avec d’autres intellectuels à
travers le monde, le Mouvement Global de Résistance Non Violente
(www.tariqramadan.com), pour faire respecter le droit des
Palestiniens à la vie, à la dignité, à l’égalité et à un Etat.
L’existence d’Israël est un fait, il ne s’agit pas de le nier.
Il est impératif néanmoins de reconnaître le droit des
Palestiniens à leur Etat : on peut diverger sur les solutions
(deux ou un Etat binational – qui est à mon sens la seule
solution viable-) mais on se doit de rester ferme sur le
principe de ce droit. La politique israélienne du fait accompli
sur le terrain rend de plus en plus impossible l’émergence d’un
Etat palestinien. Tout le monde le sait. Il faut pourtant le
dire et le répéter, rompre le silence, s’opposer à l’occupation,
refuser le blocus à Gaza, s’opposer à la lente expansion des
colonies de peuplement en Cisjordanie.
C’est le silence
international qui, somme toute, produit la violence locale :
c’est à nous, aujourd’hui, citoyens à travers le monde, de
continuer la lutte de l’information et de la résistance. Sans
violence, avec l’arme de l’intelligence et de la critique, au
nom du droit et de la dignité. Quand la guerre a fini d’ébranler
nos émotions dans l’instant, il importe que notre sens de la
justice réveille nos intelligences dans le temps. Ce n’est
malheureusement pas gagné… nous oublions si vite !