Egypte
Horreurs en Egypte
: Dire et répéter
Tariq Ramadan
© Tariq
Ramadan
Samedi 17 août 2013
J’ai reçu beaucoup de remarques et de
critiques relatives à mes différentes
prises de position sur les soulèvements
dans le monde arabe et l’évolution de la
situation en Tunisie et, bien sûr, en
Égypte. Ma position sur les soulèvements
arabes, leur historique et leurs enjeux,
est restée exactement la même que celle
exposée dans mon livre Islam et le
Réveil Arabe. Les récents événements
n’ont fait que la confirmer et j’y
renvoie les lecteurs en quête de
précisions et de clarifications.
À ceux qui affirment que ma position
critique vis-à-vis de l’islam politique
et de son évolution historique est
nouvelle et opportuniste, je renvoie à
mes ouvrages (en plus du dernier) "Islam,
le Face à Face des civilisations"
(1995), "La Réforme Radicale"
(2007), écrits bien avant les
soulèvements et qui offrent un exposé
clair de mes positions sur le plan
politique, les processus de libération
et sur les objectifs du contre-pouvoir
social et économique. Mes derniers
articles sont des textes de synthèse qui
réaffirment, et précisent, mes positions
à la lumière des récents événements. Dès
la fin des années quatre-vingt au
Soudan, puis en Algérie, en Égypte, en
Palestine, je n’ai eu de cesse d’écrire
et de m’exprimer en gardant la même
ligne d’analyse.
Par ailleurs, j’ai également établi
une critique argumentée de la
polarisation des débats entre les
laïques et les islamistes, notamment en
Tunisie et en Égypte. Mes récentes
prises de position concernant le Coup
d’Etat militaire ont poussé des
intellectuels et des activistes
anti-gouvernement Morsi à réduire ma
position à celle d’un pro-Morsi,
pro-Frères Musulmans, pro-islamistes et
à mettre en marche ladite propagande
mensongère. Comme si les choses étaient
si simples. On ne peut pas, décemment,
me reprocher de ne pas avoir été clair
vis-à-vis de l’action du gouvernement de
Morsi et du positionnement idéologique
des Frères Musulmans. Les choses ont été
dites et répétées et les "libéraux",
soutenant le Coup d’Etat et amis des
militaires, qui font mine de ne rien
avoir entendu ou lu et qui qualifient
tous leurs opposants d’ "islamistes" ou
de "terroristes" seraient bien inspirés
de mieux écouter la substance des propos
tenus et ont, eux, à répondre à des
questions cruciales.
Les femmes et les hommes qui ont
manifesté pendant plus de cinq semaines
ont été présentés comme des "pro-Morsi",
essentiellement membres des Frères
Musulmans. Or cette nomination est
fausse, réductrice et mensongère : ce
sont les médias d’Etat qui répètent ces
contre-vérités et 80% des agences de
presse occidentales reprennent ces
qualificatifs. Or, les manifestants se
sont unis sous la bannière des
"anti-coup d’Etat" et il y a parmi eux
des femmes et des hommes qui
n’appartiennent pas aux Frères Musulmans
et qui ne sont ni salafistes ni
islamistes. Certains sont de jeunes
bloggeurs, des laiques et des coptes.
L’Armée égyptienne n’a jamais quitté
la scène politique. La préservation de
ses intérêts politiques et financiers,
de même que ses liens rapprochés avec
l’Administration américaine, expliquent
sa stratégie de répression. Elle est
également certaine que les différentes
Administrations occidentales, comme
Israël, observent d’un bon œil leur
répression massive. La timidité des
condamnations occidentales, la nature de
l’intervention du Président Barack Obama
(s’en tenant à annuler un exercice
militaire conjoint, confirmant son
soutien financier et soutenant
implicitement le Coup d’Etat), puis le
matraquage médiatique sont autant de
cartes blanches offertes pour terminer
le travail de "nettoyage" au gré de
l’état d’urgence à nouveau instauré. La
répression est loin d’être terminée et
la mort, la torture et les
emprisonnements massifs participent de
l’ avenir de l’Egypte.
Rien de nouveau malheureusement. Les
médias d’Etat mentent et répandent des
informations manipulées. Vieilles
stratégies. L’Armée et la Police
affirment agir en légitime défense : ils
ont tiré sur les manifestants à balles
réelles et le nombre de morts est
constamment sous-estimé. Des mosquées
ont été brûlées avec, à l’intérieur, les
corps des manifestants qui avaient été
tués. Il s’agit de faire disparaitre les
preuves. D’autres mosquées, comme celle
d’al-Iman, ont été encerclées alors que
des familles préparaient et pleuraient
leurs morts. Pour pouvoir les enterrer,
celles-ci devaient signer un document
affirmant qu’il s’agissait d’un suicide
ou alors post-dater le jour de la mort.
Une nouvelle horreur... d’anciennes
méthodes. On aurait par ailleurs
découvert des caches d’armes, filmées et
les images ont été distribuées partout à
travers le monde : les stupides
manifestants, mal préparés, après six
semaines de manifestations et une
semaine de menaces d’intervention
militaire, n’auraient pas eu le temps de
les utiliser. Évidemment. Les Églises
brûlées rappellent les méthodes des
prédécesseurs d’al-Sissi : diviser le
peuple et présenter les "terroristes
islamistes" comme opposés aux Coptes. Il
s’agit de faire d’une pierre deux
coups : justifier la répression et
gagner la sympathie de l’Occident. Les
anti-coup d’Etat seraient ainsi d’une
stupidité accablante : non violents et
disciplinés pendant des semaines, et
même après le massacre du 8 juillet,
puis les voilà agissant soudain dans le
sens exact de ce que veulent les
militaires, exactement au bon moment. De
qui se moque-t-on et de qui se moquent
ceux qui font mine de les croire...
La question centrale ici demeure
celle de la liberté et de la démocratie
pour le peuple égyptien et ce qui se
passe en Égypte est une manipulation et
une horreur. L’Armée maintient le pays
sous son autorité de fer, sa corruption,
les exécutions sommaires, les
emprisonnements, les tortures et le
mensonge d’Etat : elle est soutenue par
l’Occident, les États-unis et Israël.
C’est la seule vraie réalité et celles
et ceux qui, parce qu’ils s’opposent ou
haissent les islamistes, soutiennent
aujourd’hui les militaires et la police,
qui tuent et répriment, devront un jour
rendre compte de leurs choix. Ils
devront aussi nous livrer leurs analyses
et leur programme politique
"démocratique" à l’ombre des casernes,
au cœur de la corruption, au sein de ce
Moyen-Orient déstabilisé, divisé et
perdu. Leur reponsabilité est immense
au-delà du goût très amer que laisse
aujourd’hui leur propos soutenant et
justifiant la répression de civils non
armés. Très étranges "libéraux", tristes
"progressistes".
© Tariq Ramadan
2010
Publié le 17 août 2013
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