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De la Tunisie, de
l'Algérie et du Niger...
Tariq Ramadan
Tariq Ramadan
Jeudi 13 janvier 2011
Il fallait bien un dictateur pour affirmer que les émeutes de
la rue tunisienne sont des ingérences « de l’étranger » et des
actes « impardonnables » assimilables au « terrorisme ». Le bon
pouvoir tunisien, démocratique et non corrompu, sait de quoi il
parle. Les alliés occidentaux manifestent quelques inquiétudes
mais pas, ou peu, de condamnations. La police et l’armée tirent
sur les civils à balles réelles, les morts se comptent déjà par
dizaines, mais ce n’est point encore suffisant pour alarmer les
cabinets occidentaux. L’allié tunisien a des privilèges
particuliers, au sein la communauté internationale, pour traiter
comme il se doit son opposition ou toute tentative de résister à
sa dictature et à son oppression.
La Tunisie n’est pas une démocratie : c’est une dictature qui
pratique l’assassinat politique, la torture et dont le
gouvernement vit de la corruption la plus répandue. Il faut
soutenir la population en général et les jeunes en particulier
qui descendent dans la rue et qui demandent à ce que leur
liberté et leurs droits soient protégés et respectés. Il est
l’heure, il est temps, de mettre un terme à cette mascarade de
démocratie et de progrès soi-disant « modernistes » destinée à
tromper les touristes ou les « mal-informés ». Il est l’heure,
il est temps, de dire au peuple qui se réveille que nous sommes
de son côté, que nous ne sommes point dupes et que les Tunisiens
ont raison de se révolter. Quant à tous ceux qui font silence ou
qui veulent préserver leurs intérêts politiques, économiques ou
touristiques… il leur restera la honte. Que ces émeutes
finissent par le succès ou l’échec, il restera le principe et la
cause : résister à un dictateur et dénoncer ses alliés
(dictateurs, démocrates ou/et hypocrites)
En Algérie, les choses semblent se calmer et pourtant les
revendications demeurent légitimes. Ou passe donc la manne
pétrolière ? Qui sont ces corrompus qui se remplissent les
poches de commerces, de gains frauduleux ou de commissions
illicites alors que le peuple d’Algérie s’appauvrit, que le
chômage augmente et que le système entier s’affaisse sur une
population qui étouffe. Un système fermé, une corruption
généralisée, des mensonges et des manipulations : l’Algérie va
mal alors que son président est malade. La rue s’est exprimée et
s’exprimera encore. Ces prochains jours ou ces prochaines
semaines : il faudra bien l’entendre. Il sera l’heure, il sera
temps.
Depuis le Niger nous parviennent les nouvelles de l’horreur.
Deux jeunes français enlevés puis froidement assassinés. La
condamnation de ces actes odieux est claire, tranchante,
définitive. Cela ne peut être, ne doit pas être et il faut
combattre ces groupes extrémistes, manipulés ou manipulateurs
(de la religion, de ses principes ou d’autres références ou
causes...). Comme nous l’avions fait au Colloque International
de Musulmans de l’Espace Francophone (CIMEF) en juillet 2010, il
faut répéter que rien ne peut justifier l’assassinat d’innocents
(et des actes de cette nature) au nom de l’islam ou d’un
quelconque engagement politique.
Au moment où nous prononçons cette condamnation de façon
ferme et audible, nous désirons exprimer des réserves tout aussi
claires sur la stratégie des gouvernements africains et français
quant au traitement de la menace de ces groupuscules et réseaux
extrémistes violents. Trois militaires africains rencontrés cet
été nous ont fait part de leur cas de conscience, de leurs
inquiétudes et de leurs angoisses résultants des ordres qu’ils
reçoivent et de la façon dont on leur demande d’opérer dans le
Sahel face à ces réseaux, où se mêlent des extrémistes, des
bandits et des pilleurs. On leur ordonne de ne faire aucun
prisonnier, de liquider tous les membres des groupes une fois
qu’ils sont localisés, armés ou pas, en état de combat ou non.
Un des militaires a une fois appelé son commandement en
l’informant qu’ils avaient localisé un groupuscule et que ce
dernier était restreint, pas en état de combat, et qu’il y avait
deux femmes parmi eux. La réponse ne s’est pas fait attendre
« Liquidez les tous ! On ne veut pas de prisonniers ». Pourquoi
donc ? Comment expliquer ces tueries ? Un autre militaire nous a
assuré avoir trouvé le cadavre d’un individu qu’il avait fait
arrêter dans une précédente expédition et à qui on avait dû
rendre la liberté pour qu’il se retrouvât parmi les morts
quelques semaines plus tard. Etrange stratégie, impitoyable,
mais surtout incompréhensible. L’armée française est au courant
de ces façons de faire et, dans une telle atmosphère de folie et
de non-sens, poursuivre des ravisseurs signifiait nécessairement
la mort de leurs deux captifs. Comment en douter ?
On ne saurait s’arrêter sur cette seule affaire et formuler
des condamnations mais c’est bien l’ensemble de la stratégie
africano-française au Sahel qu’il faut questionner. Le régime de
terreur, le mélange des genres (lutte contre le terrorisme, le
banditisme ou la corruption), les exécutions sommaires, le non
respect de la vie des hommes et des prisonniers, et les
manœuvres expéditives ne peuvent offrir la sécurité ni aux
Africains (Maliens, Nigériens, etc.) ni aux ressortissants
français. La France se trompe encore en Afrique. Encore. Elle
vient de tenter de sauver deux otages « à l’Africaine »…parce
que beaucoup d’Etats africains se trompent aussi en Afrique
même. Il serait temps, dans la lutte contre les extrémistes
violents, d’avoir une stratégie, de respecter certains principes
de dignité et de droit et de ne pas croire que ce qui se passe
au Sahel, loin des caméras, est protégé par la justification du
silence médiatique. Un jour des innocents paient,
personnellement et médiatiquement, ces erreurs. Il faut que cela
cesse, il est l’heure, il est temps.
Notre sympathie va aux familles de toutes les victimes en
Tunisie, en Algérie et en France… du côté des opprimés, des
victimes et des innocents. Toujours.
© Tariq Ramadan 2008
Publié le 13 janvier 2011
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