Face
au dernier massacre israélien, la seule option pour le
nationalisme palestinien est d’adopter la solution d’un seul
état.
L’attaque
de Gaza, planifiée depuis plus de six mois et exécutée au
meilleur moment, visait largement, comme
Neve Gordon l’a justement observé , à aider les partis
politiques israéliens pour gagner les prochaines élections. Les
morts palestiniens ne sont guère plus que de la chair à
élections dans une joute cynique entre la droite et l’extrême
droite israélienne. Washington et ses alliés de l’Union
Européenne, parfaitement informés que Gaza allait être attaquée,
comme dans le cas du Liban en 2006, se sont installés pour
assister au spectacle.
Washington accuse les palestiniens
pro-Hamas, comme à son habitude ; Obama et Bush chantant le même
hymne sur la partition de l’AIPAC [American Israeli Political
Activity Committee]. Les politiciens de l’UE, ayant observé la
mise en place du siège, la punition collective infligée à Gaza,
les civils pris pour cibles, etc (pour tous les détails
sanglants voir, dans London Review of Books, l’essai terrifiant
de
Sara Roy, chercheuse à Harvard) furent d’avis que c’était
les tirs de roquettes qui avaient ’provoqué" Israel, mais
appelèrent les deux camps à mette fin à la violence, sans effet.
La dictature bouffée aux mites de Mubarak en Egypte et les
islamistes favoris de l’OTAN à Ankara n’ont même pas été
capables d’une protestation symbolique comme le rappel de leurs
ambassadeurs. La Chine et la Russie n’ont pas demandé la réunion
du conseil de sécurité de l’ONU pour discuter de la crise.
Résultant de cette apathie officielle,
l’une des conséquences de cette dernière attaque sera
d’enflammer les communautés musulmanes à travers le monde et
grossir les rangs de ces organisations que l’Ouest se targue
justement de combattre, dans la "guerre contre le terrorisme".
La bain de sang à Gaza soulève, pour les
deux camps, de plus amples questions stratégiques, liées à
l’histoire récente. Un fait que l’on se doit de reconnaitre est
qu’il n’y a pas d’Autorité Palestinienne.. Il n’y en a jamais
eu. Les accords d’Oslo furent un désastre complet pour les
Palestiniens, créant un ensemble de ghettos déconnectés et
minuscules, sous la surveillance permanente et brutale d’un
garde chiourme. L’OLP, qui incarnait autrefois l’espoir
palestinien, n’est guère plus qu’un quémandeur d’argent
européen.
L’enthousiasme occidental pour la
démocratie s’arrête lorsque sont élus ceux qui s’opposent à sa
politique. L’Occident et Israël ont tout essayé pour assurer la
victoire du Fatah ; les électeurs palestiniens ignorèrent
menaces et promesses concertées de la "communauté
internationale", au cours d’une campagne qui vit les membres du
Hamas et autres opposants régulièrement arrêtés ou attaqués par
l’armée israélienne, leurs affiches confisquées ou détruites,
les fonds européens et états-uniens alimentant la campagne du
Fatah et les membres du congrès US déclarant que le Hamas de
devrait pas être autorisé à se présenter.
Même la date des élections fut choisie pour
influencer les résultats. Prévue à l’été 2005, elle fut reportée
en janvier 2006, pour donner à Abbas le temps de distribuer des
prébendes à Gaza – selon un officier de renseignement égyptien,
"le public soutiendra alors l’Autorité contre le Hamas".
Le souhait populaire d’un grand coup de
balai, après 10 années de corruption, intimidation et arrogance
du Fatah, s’est révélé plus fort que tout cela. Le triomphe
électoral du Hamas fut considéré comme un signe inquiétant de la
montée du fondamentalisme, et un coup terrible pour les
perspectives de paix avec Israël, par les gouvernants et
journalistes de tout l’Occident. Des pressions diplomatiques et
financières furent immédiatement appliquées pour forcer le Hamas
a adopter les mêmes politiques que celles des partis qu’il avait
vaincus dans les urnes. Sans compromission avec l’avidité et la
dépendance combinées de l’Autorité Palestinienne,
l’enrichissement personnel de ses porte-paroles et policiers
serviles, et leur approbation d’un "processus de paix" qui n’a
mené que plus d’expropriation et de misère à la population, le
Hamas a offert l’alternative d’une simplicité exemplaire. Sans
la moindre des ressources de son rival, il a mis en place des
cliniques, des écoles et des hôpitaux, des programmes de
formations et de protection sociale pour les pauvres. Ses
dirigeants et ses cadres vivaient frugalement, au niveau des
gens ordinaires.
C’est cette réponse aux besoins de la vie
courante qui a valu au Hamas un large soutien, et non pas la
récitation quotidienne des versets du Coran. On ne peut dire à
quel point sa conduite lors de la deuxième Intifada a accru son
degré de crédibilité. Ses attaques armées contre Israel, comme
celles de la Brigade des Martyres d’Al-Aqsa, issue du Fatah, ou
du Jihad Islamique, étaient des représailles contre une
occupation plus meurtrière que jamais. Comparés aux tueries de
l’armée israélienne, les frappes palestiniennes ont été peu
nombreuses et espacées dans le temps. La dissymétrie apparut
clairement durant le cessez-le-feu unilatéral du Hamas, commencé
en juin 2003, et maintenu durant tout l’été malgré des raids
israéliens répétés et les arrestations en masses qui ont suivi,
lors desquelles quelques 300 cadres du Hamas furent capturés en
Cisjordanie.
Le
19 août 2003, à Hébron, une cellule auto-proclamée du Hamas,
non-reconnue et dénoncée par la direction officielle, fit sauter
un bus à Jérusalem ouest. Après quoi, Israël assassina
promptement le négociateur du Hamas pour le cessez-le-feu,
Ismail Abu Shanab. Hamas, à son tour répliqua. En retour,
l’Autorité Palestinienne et les états arabes bloquèrent le
financement de ses œuvres de bienfaisance et, en septembre 2003,
l’UE déclara organisation terroriste tout le mouvement du Hamas,
comme Tel Aviv l’exigeait depuis longtemps.
Ce qui a réellement distingué le Hamas,
dans ce combat désespérément inégal, ce ne sont pas les
attentats suicides, auxquels ont eu recours différents groupes
concurrents, mais sa discipline supérieure – démontrée par la
capacité à maintenir un cessez-le-feu unilatéral contre Israël
durant l’année passée. Toute mort de civil doit être condamnée,
mais puisque Israël en est le principal responsable, le credo
des euro-américains ne sert qu’à démasquer ceux qui le
prononcent. Sans commune mesure, le meurtre est l’apanage de
l’autre camp, qui agresse sauvagement la Palestine avec une
armée moderne équipée d’avions, de tanks et de missiles, lors de
l’oppression armée la plus longue de l’histoire moderne.
"Personne ne peut rejeter ou condamner la
révolte d’un peuple qui a souffert sous l’occupation militaire
pendant 45 ans", a dit en 1993, le général Shlomo Gazit, ancien
chef du renseignement militaire israélien. Ce que l’UE et les US
reprochent vraiment au Hamas, c’est d’avoir refusé d’accepter la
capitulation des accords d’Oslo, et d’avoir rejeté tous les
efforts qui ont suivi, de Taba à Genève, pour rendre
responsables les Palestiniens de leurs propres malheurs. Depuis,
la priorité de l’Occident a toujours été de briser cette
résistance. Couper les fonds de l’Autorité Palestinienne est une
arme évidente pour forcer le Hamas à se soumettre. Une autre a
consisté à renforcer les pouvoirs présidentiels de Abbas –
publiquement désigné par Washington, comme l’a été Karzai à
Kaboul – aux dépends du conseil législatif.
Aucun effort sérieux n’a été fourni pour
négocier avec la direction palestinienne élue. Je ne sais pas si
le Hamas aurait pu être rapidement subordonné aux intérêts
israéliens et occidentaux, mais cela n’aurait pas été sans
précédent. L’héritage programmatique du Hamas reste hypothéqué
par la faiblesse la plus fatale du nationalisme palestinien : la
croyance que les choix politiques sont soit rejeter entièrement
l’existence d’Israël, soit accepter les restes démembrés d’un
cinquième du pays. Entre le maximalisme fantaisiste du premier
et le minimalisme pathétique du second, l’écart est trop court,
comme l’histoire du Fatah l’a montré.
Le test pour le Hamas n’est pas de savoir
s’il peut être domestiqué pour satisfaire l’opinion occidentale,
mais plutôt de savoir s’il peut rompre avec cette tradition
handicapante. Peu après la victoire électorale du Hamas à Gaza,
un Palestinien m’a demandé en public ce que je ferais à leur
place. "Dissoudre l’Autorité Palestinienne" fut ma réponse, et
en finir avec la mascarade. Faire ainsi ramènerait la cause
nationale palestinienne sur ses propres bases, avec l’exigence
que le pays et ses ressources soit partagés équitablement, en
proportion des deux populations qui sont de taille égale – pas
80% à l’une et 20% à l’autre, une dépossession d’une injustice
telle qu’aucun peuple se respectant ne s’y soumettra jamais sur
le long terme. La seule solution acceptable est celle d’un seul
état pour Juifs et Palestiniens, dans lequel les exactions du
sionisme soient réparées. Il n’y a pas d’autre voie.
Et les citoyens israéliens pourraient
méditer les mots de Shakespeare (dans Le Marchand de Venise),
que j’ai légèrement modifiés :
"Je suis Palestinien... un Palestinien
n’a-t-il pas d’yeux ? Un Palestinien n’a-t-il pas de mains ?...
des organes, des proportions, des sens, des émotions, des
passions ? N’est-il pas nourri de même nourriture, blessé des
mêmes armes, sujet aux mêmes maladies, guéri par les mêmes
moyens, réchauffé et refroidi par le même été, le même hiver,
comme un Juif ? Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ? Si
vous nous chatouillez, ne rions-nous pas ? Si vous nous
empoisonnez, ne mourons-nous pas ? Si vous nous faites tort, ne
nous vengerons-nous pas ? Si nous vous ressemblons dans le
reste, nous vous ressemblerons aussi en cela... La vilenie que
vous m’enseignez, je la pratiquerai et ce sera dur, mais je veux
surpasser mes maîtres.”