article original :
"Hands up if you made billions of dollars out of the credit
crisis"
Les ‘maîtres de l’univers’ des fonds spéculatifs
confrontés à un interrogatoire parlementaire serré sur leur
rôle dans la crise mondiale du crédit.
Les
cinq directeurs de fonds spéculatifs (Hedge
Funds) les mieux payés – qui
ont gagné à eux cinq, l’année dernière, 12,6 milliards de
dollars, alors même que le monde financier commençait à se
désagréger autour d’eux – ont été traînés, hier, devant le
Congrès des Etats-Unis et attaqués sur leurs salaires
colossaux, leur avantages fiscaux et leur contribution à la
crise qui a submergé la planète.
Dans un numéro théâtral public qui reflétait non
seulement la crise actuelle, mais également une décennie ou
plus d’inégalité salariale croissante, ces cinq hommes se
sont déclarés innocents d’avoir provoqué le krach boursier
et insisté sur le fait que leurs richesses reflétaient leur
dur labeur et leur intuition en matière d’investissement.
Ainsi que l’un des parlementaires, Elijah Cummings, l’a
formulé, "voici cinq citoyens qui ont plus d’argent que Dieu
lui-même", et il a poursuivi en s’en prenant vertement aux
réglementations qui leur ont permis de ne payer qu’une
fraction des impôts qu’un professeur lambda, un pompier ou
un plombier pourrait payer. Philip Falcone, dont la société
Harbingder Capital est l’un des plus gros fonds
spéculatifs du monde, a souligné ses débuts modestes dans
une famille de neuf enfants vivant dans un quatre-pièces
dans le Minnesota. "Mon père occupait un poste de
contremaître dans un service public et ma mère travaillait
dans un atelier local de confection", a-t-il déclaré. "Je
suis très fier de mon éducation et il est important que les
gens sachent que parmi les dirigeants de fonds spéculatif
tous ne sont pas nés sur la cinquième avenue."
Bien que beaucoup de directeurs de fonds spéculatifs mènent
des vies de consommation ostentatoire, ils accordent autant
de valeur à leur vie privée qu’ils se cramponnent aux
réglementatons – ou à leur absence – qui leur permettent de
garder secrètes leurs stratégies d’investissement. Hier,
leurs témoignages sous serment, dans la salle ovale géante
de la commission à
Capitol Hill, les a fait sortir de
leur habitat naturel et, tout maîtres de l’univers qu’ils
soient, plusieurs d’entre eux étaient intimidés.
John Paulson – qui a soudainement rejoint les rangs des
milliardaires après avoir parié en 2005 que Wall Street
était inondé d’investissements surévalués dans des crédits
hypothécaires que des millions d’Américains seraient au bout
du compte incapables de rembourser – a été invité plus d’une
douzaine de fois à parler plus fort, afin que l’on puisse
l’entendre. Jim Simons, le mathématicien de génie dont le
groupe
Renaissance Technologies fait partie des fonds
d’investissement les plus respectés du monde, a été invité à
cesser de "marmonner".
Cette audition était la dernière de ce que les farceurs de
Wall Street appellent les "Procès en Sorcellerie de Waxman"
[
Waxman Witch Trials]. La commission parlementaire de
surveillance, dont le président est Henry Waxman, a assigné
à comparaître tous les principaux acteurs de cette crise,
après avoir humilié, lors d’une audition précédente, Dick
Fuld, le PDG de la banque
Lehman Brothers qui s’est
écroulée, et les patrons des agences de notation qui, selon
M. Simons, "ont permis de vendre de vulgaires cailloux au
prix des diamants".
Hier, M. Waxman a déclaré : "Nos quatre précédentes
auditions ont examiné les échecs. L’audition d’aujourd’hui a
un accent différent. Les cinq directeurs de fonds
spéculatifs qui témoigneront aujourd’hui ont connu une
réussite inouïe."
Dans le monde entier, les fonds spéculatifs ont été accusés
pour leur rôle dans l’effondrement des banques, dont
beaucoup ont souffert dans leurs phases terminales d’une
crise de confiance, provoquée, selon certains directeurs,
par la vente à découvert des actions de leurs sociétés. La
commission d’hier n’a fait exception, en décrit les fonds
spéculatifs qui pratiquent la vente à découvert
(c’est-à-dire, qui placent des paris sur la baisse du cours
d’une action)
[1] comme
d’une aide apportant de l’efficacité aux marchés boursiers,
en mettant en lumière les mauvaises sociétés. Mais la
plupart [des parlementaires] étaient d’accord sur le fait
que plus de régulation dans cette industrie serait
désirable, comme le serait une plus grande transparence sur
les positions [que prennent ces spéculateurs].
Cependant, le pugnace Ken Griffin, du groupe
Citadel
basé à Chicago, a tenu bon devant la marée. Plus de
transparence "équivaudrait à demander à Coca-Cola de
dévoiler leur formule secrète." Et il a dit aux
parlementaires de ne pas répéter les erreurs du passé,
lorsque les débats politiques sur une plus grande régulation
ont poussé en grande partie vers l’étranger le marché des
produits dérivés. "Cela me brise le cœur", a dit M. Griffin,
"lorsque je me rends à
Canary Wharf [le "quai des
canaris", dans la City de Londres], et que je vois ces
milliers d’emplois hautement rémunérés du marché londonien
des dérivés, des emplois qui appartiennent à l’Amérique."
George Soros, l’une des plus hautes autorités de l’industrie
des fonds spéculatifs, a déclaré qu’il était sorti de sa
retraite pour gérer son fonds, face au tsunami financier qui
menaçait sa fortune personnelle de pertes importantes.
Le philosophe, le petit malin, l’homme tranquille, le joueur
et l’acheteur :
Les hommes qui se trouvent derrière les
fonds spéculatifs
George Soros - Getty images
Soros Fund Management
Rémunération en 2007 : 2,9 milliards de dollars
Célèbre pour avoir été celui “qui a mis à terre la Banque
d’Angleterre ”, après avoir fait plus d’1 milliard de
dollars nets en pariant que la livre sterling chuterait
après sa sortie du Système Monétaire Européen en 1992, cet
homme de 78 ans s’en est pris au capitalisme du libre
échange débridé comme étant à la racine de crise
d’aujourd’hui.
James Simons - Getty images
Renaissance Technologies
Rémunération en 2007 : 2,9 milliards de dollars
A 70 ans, le directeur de fonds spéculatif le plus cher du
monde, charge 5% par an à ses clients, plus un pourcentage
monstrueux de 44% sur les retours sur investissement au-delà
d’un certain seuil. Son fonds fait tourner des programmes
"black box" [boite noire] qui récoltent des profits
minuscules sur des millions d’opérations boursières
automatisées.
John Paulson - Getty images
Paulson & Company
Rémunération en 2007 : 3,7 milliards de dollars
Après avoir un géré un obscur fonds spéculatif pendant 14
ans, cet homme de 52 ans a construit ce que ses rivaux
appellent "le plus formidable fonds spéculatif de tous les
temps". En conséquence, il est parti mener ses opérations
boursières dans les Hamptons, le terrain de jeu des
new-yorkais sur la pointe orientale de l’Etat de New-York,
où il s’est offert une propriété fortifiée au bord d’un lac
pour la modique somme de 41 millions de dollars.
Philip Falcone - Getty images
Harbinger Capital Partners
Rémunération en 2007 : 1,7 milliards de dollars
Cet homme de 47 ans a fait sa fortune en échangeant des
obligations pourries dans les années 80. Sa firme a été
fondée en 2001 et il a fait fortune l’année dernière en
pariant contre les obligations hypothécaires subprime. Ses
deux fonds ont réalisé en 2007 d’obèses retours sur
investissement, respectivement de 114 et 176%.
Kenneth Griffin - Getty images
Citadel Investment Group
Rémunération de l’année dernière : 1,5 milliards de dollars
L’année dernière, on a cru que ce tout juste quadragénaire
aurait pu devenir l’un des plus gros joueurs mondiaux de la
finance après avoir acheté un si grand nombre de fonds, de
banques et de courtiers dans la détresse. A présent, il
lutte pour sauver son propre fonds qui a fondu cette année
de 35%.
Traduction [JFG-QuestionsCritiques] -
Photos : (Getty images)
Note :
[1]
La vente à découvert consiste à vendre au règlement mensuel
une action que l’on ne possède pas et de la racheter
lorsqu’elle a atteint un cours plus bas. Sur ce marché, où
son cotées les plus grosses entreprises, il n’est pas
nécessaire de livrer les actions ou d’en prendre possession.
En fin du mois, on fait les comptes et les spéculateurs
empochent leurs bénéfices ou règlent leurs pertes. En cas de
pertes il est possible de demander un "report", moyennant un
modique pourcentage sur les sommes en jeu. Grâce à cette
technique, les fonds spéculatifs peuvent vendre en masse sur
le marché des actions (qu’ils ne possèdent pas) et créer
ainsi des paniques sur tel ou tel titre. C’est ainsi qu’au
prétexte de jouer le rôle d’arbitre ("arbitragist"),
ces fonds parviennent parfois à massacrer certaines actions,
à tel point que la capitalisation boursière d’une société
peut se retrouver en dessous de ses fonds propres. Une fois
l’objectif atteint, les fonds rachètent en masse les titres
bradés par les petits porteurs paniqués, faisant ainsi
remonter les cours et empochant d’énormes bénéfices.
Parfois, ils prennent le contrôle de l’entreprise. Une fois
ce deuxième objectif atteint, l’entreprise peut être
démembrée en se débarrassant de ses départements ou filiales
les moins rentables et des plans de réduction d’effectifs
sont exigés pour maximiser les profits. Voilà comment on
plonge des régions entières dans le chômage en les excluant
de l’activité économique et comment l’on plume les petits
porteurs.
Publié le 15 novembre 2008
avec l'aimable autorisation de Questions Critiques
Crédits photos : Getty images