Actualité MNA
Quelque chose
change dans le monde
Soraya Hélou
Vendredi 31 août 2012
Même
si les médias occidentaux préfèrent
ignorer l’évènement, il n’en reste pas
moins très important, à plus d’un titre.
La tenue du seizième sommet des pays
Non-Alignés à Téhéran constitue un sujet
qui fera couler beaucoup d’encre au
cours des prochaines semaines.
Certains commenceront par dire que le
Mouvement des Non-Alignés n’a plus sa
raison d’être depuis l’effondrement de
l’union soviétique et la fin de la
bipolarisation du monde en deux
camps, l’Est et l’Ouest. Mais les
développements sur la scène
internationale depuis 1989 qui ont
permis aux Etats-Unis de se transformer
en « hyperpuissance » selon le terme
inventé par l’ancien ministre français
des Affaires étrangères Hubert Védrine
ont montré qu’un seul pays, aussi
important soit-il, ne doit pas avoir le
monopole de la conduite du monde,
surtout s’il est de parti pris dans des
causes justes, comme celle de la
Palestine. Devenus les maîtres du monde,
les Etats-Unis n’ont cessé au cours des
vingt dernières années de vouloir
l’asservir à leurs propres intérêts,
voulant mettre la main sur les
ressources d’énergie et protéger
l’entité que l’Occident a créée au Moyen
Orient, "Israël". Ils ont lancé des
guerres, suscité des conflits, affaibli
l’Europe en l’empêchant de devenir une
puissance économique, politique et
militaire et cherché à isoler ceux qui
osaient s’opposer à leurs intérêts. Ils
ont ainsi envahi l’Irak, occupé
l’Afghanistan et mené une « guerre douce
» contre l’Iran accusée de vouloir se
doter de la bombe nucléaire. Ils
auraient pu croire qu’ils pouvaient
atteindre leurs objectifs et faire plier
le monde sous leur autorité. Mais la
résistance des peuples a commencé à leur
mettre des bâtons dans les roues. Ils
ont ainsi dû affronter dans le monde, la
Chine et la Russie ainsi que d’autres
puissances émergentes comme le Brésil,
l’Inde et l’Afrique du Sud, et dans la
région, l’Iran, mais aussi l’axe dit de
la résistance qui va de Téhéran jusqu’à
Gaza en passant par la Syrie et le
Liban.
La
tenue du sommet des Non-Alignés à
Téhéran reflète ainsi cette nouvelle
réalité. Le pays mis
an ban des nations et que les Etats-Unis
voulaient isoler avant de le détruire a
pu ainsi accueillir les représentants de
près de 120 pays, autrement dit, il a
accueilli une des plus importantes
réunions internationales après
l’Assemblée générale des Nations Unies.
Si ces pays sont en conflit sur de
nombreux sujets, ils sont tous d’accord
pour la nécessité de relancer le
mouvement des Non-Alignés pour créer un
contrepoids à l’unilatéralisme
américain. C’est d’ailleurs en gros la
teneur du discours prononcé par le
leader de la Révolution islamique en
ouverture du sommet.
Au-delà des discours politiques, cet
événement est donc de la plus haute
importance pour le monde dans son
ensemble puisqu’il annonce un changement
dans la stratégie. Les forces réunies à
Téhéran qui représente plus de la moitié
des habitants de la planète ont déclaré
même indirectement qu’elles veulent
désormais exister et défendre leurs
propres intérêts, qui parfois peuvent
coïncider avec ceux des Américains et
parfois y être opposés.
C’est
donc d’abord à ce niveau que le sommet
de Téhéran est important. Mais il existe
aussi d’autres
niveaux qui ne sont pas moins
importants, comme la participation de
l’Egypte avec l’arrivée à Téhéran de son
nouveau président Mohammed Morsi.
L’Egypte qui est l’un des pays
fondateurs du mouvement des Non-Alignés
du temps de Gamal Abdel Nasser est venue
marquer sa volonté d’exister sur la
scène internationale et régionale, non
pas en tant que pays aligné sur la
politique américaine, mais en tant que
pays qui se construit et qui se cherche
en essayant d’avoir une politique
propre. Cela aussi est un évènement de
la plus haute importance, surtout après
les années de rupture totale des
relations diplomatiques entre l’Iran et
l’Egypte. Certes, le pays des Pharaons
sera soumis à de fortes pressions de la
part des Etats-Unis et de leurs alliés
arabes, notamment sur le plan
économique, pour qu’il n’aille pas trop
loin dans ses nouveaux contacts, mais la
dynamique du retour de l’Egypte sur la
scène régionale et internationale est
lancée et elle ne s’arrêtera plus. Même
si elle doit prendre du temps. En tout
cas, l’Egypte compte visiblement
utiliser toutes les voies possibles pour
desserrer l’étau économique qui cherche
à l’étouffer quitte à brandir la carte
des relations avec l’Iran pour effrayer
les autres pays arabes et élargir
surtout sa propre marge de manœuvre.
Enfin,
si l’Iran a montré, à travers ce sommet
qu’elle ne se laissera pas entraîner
dans une discorde régionale
confessionnelle, comme le souhaitent les
Américains et leur allié israélien en
accueillant de nombreux pays arabes, la
présence de l’ancien secrétaire d’Etat
américain adjoint, promu conseiller
politique du secrétaire général de
l’Onu, Jeffrey Feltman à Téhéran n’est
certainement pas banale. L’homme qui a
longtemps constitué le fer de lance de
la politique étrangère américaine
d’hostilité contre Téhéran et contre
l’axe de la résistance est donc venu au
cœur de « l’axe du mal » et a même
assisté aux entretiens de Ban Ki Moon
avec les responsables iraniens. La
situation pourrait être risible si
quelque part, elle ne montrait pas un
changement dans l’attitude arrogante des
Américains dans la direction du monde.
Sans aller jusqu’à dire que c’est le
début d’un dialogue direct entre les
Etats-Unis et l’Iran, puisque Feltman
est officiellement à Téhéran sous le
label des Nations Unies, cette présence
est l’indice d’un changement dans
l’approche unilatérale américaine.
Feltman qui reste un citoyen américain
et dont la présence à l’Onu n’est que la
confirmation de la mainmise américaine
sur cette institution internationale, a
quand même voulu être aux premières
loges dans les discussions à Téhéran.
Pragmatisme, crainte de la relance
réelle du Mouvement des Non-Alignés sur
l’impulsion de Téhéran ? Les prochaines
semaines permettront d’avoir plus de
précisions sur la véritable mission de
Feltman à Téhéran, mais ce qui est sûr,
c’est que quelque chose a changé dans le
monde et les Etats-Unis sont à l’affût…
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