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Opinion
Jour de colère et
lendemain amer
Soraya Hélou
Mercredi 26 janvier 2011
Le Courant du Futur a accompli hier son baroud d’honneur, qui
n’est d’ailleurs nullement en l’honneur de son chef l’ancien
Premier ministre Saad Hariri. Certes, ses partisans ont prouvé
lundi et mardi leur capacité de nuisance dans plusieurs régions
du pays, de la Békaa au Nord, en passant par la capitale et le
Chouf côtier. Mais on était bien loin du déploiement discipliné,
silencieux et rapide de mardi dernier effectué par des partisans
de l’opposition dans certains quartiers de la capitale. Les
partisans du Courant du Futur sont descendus dans la rue pour y
semer le chaos, le désordre et la peur chez les citoyens. Routes
barrées, vitrines cassées, immeubles brûlés, rien n’a été
épargné à ce pauvre pays, livré à la colère des partisans de
cheikh Saad, dérangés par le fait que ce dernier a perdu la
bataille politique et constitutionnelle de la désignation à la
tête du prochain gouvernement. Non seulement à travers la
terrible journée d’hier, les masques sont tombés sur ceux qui
depuis cinq ans se posent en défenseurs de la démocratie et de
ses valeurs, mais aux yeux de nombreux sympathisants du 14 mars,
ils sont devenus les véritables causes du désordre et de
l’angoisse sur l’avenir. Comment expliquer en effet tous ces
actes de violence et cette paralysie du pays en riposte à un
processus démocratique et constitutionnel? Pourquoi toute cette
hargne et cette haine avec des slogans insultants alors que le
successeur de Saad Hariri au sérail n’est pas une figure du 8
mars et est aussi un homme apprécié des sunnites à travers ses
nombreuses œuvres de bienfaisance ?
Il y avait réellement quelque chose de démesuré dans cette
réaction de colère de ce qu’on a appelé la rue sunnite et
d’ailleurs, sur toutes les chaînes de télévision hier, les
proches de cheikh Saad tentaient de justifier l’injustifiable et
surtout de diminuer l’ampleur des actes de violence que tous les
Libanais ont pourtant pu voir. Les Tripolitains étaient
d’ailleurs les plus choqués face à l’invasion
( c’est pratiquement de cela qu’il s’agissait) des partisans du
député Khaled Daher venus du Akkar pour casser et semer le chaos
dans leur ville, tout comme ils se sont sentis humiliés par le
discours prononcé sur la place principale de leur ville par des
orateurs venus de Beyrouth. Même les députés de la ville membres
du Courant du Futur comme Samir Jisr se sentaient dépassés et
n’appréciaient pas ce qui se passait. Ils étaient d’ailleurs les
mieux placés pour sentir l’atmosphère de leur ville et ils
pensaient que si des élections législatives se tenaient demain,
le Courant du Futur les perdrait à Tripoli.
En dépit du chaos généralisé, des scènes de casse et de
l’explosion de haine, le chef du Courant du Futur a pris son
temps pour s’adresser à ses partisans, espérant sans doute
modifier la nouvelle équation politique en effrayant le Premier
ministre désigné. Mais il a surtout fait l’objet d’une plus
grande condamnation. Comment expliquer qu’un leader politique
qui se veut rassembleur, respectueux de la démocratie et des
institutions de l’Etat laisse ses partisans faire ce qu’ils ont
fait pour la seule raison que la majorité des députés a voté
pour un autre que lui ? Son attitude ressemblait bien plus à
celle d’un Néron des temps modernes (qui a brûlé sa propre cité)
qu’à celle d’un Abdel Nasser qui reconnaît la défaite et propose
de se retirer…
Mais n’est pas homme d’Etat et leader qui veut, en dépit de
toues les efforts déployés pour lui en donner l’allure, voire
l’envergure. C’est dans les temps de crise que l’homme révèle sa
véritable trempe et on ne peut pas dire que cheikh Saad a été à
la hauteur. Face à la main tendue par Négib Mikati, il a lancé
un vindicatif : « ne donnez pas de raison au peuple de se mettre
en colère ». Et tout en condamnant les dérapages, il n’a, à
aucun moment, demandé à ses partisans de se retirer de la rue,
montrant à ceux qui avaient encore des doutes qu’il était
derrière la décision des manifestations, dans le but de pousser
son successeur désigné à se récuser ou ne pas pouvoir accomplir
la mission qui lui a été confiée. Tout au long de ses cinq
années de leader sunnite, Saad Hariri a utilisé deux armes:
l’argent et la fibre confessionnelle et même pour son départ du
pouvoir, il a voulu les utiliser encore une fois. En vain.
Tripoli est fière de son nouveau Premier ministre et à Beyrouth,
beaucoup de sympathisants se posent des questions. Pourquoi le
pays a-t-il été paralysé pendant deux jours et sont-ce vraiment
ces hordes qui vont construire l’Etat de droit tant chanté et
promis dans les slogans électoraux?
La journée de colère se termine pour cheikh Saad par un
lendemain amer: un coup sérieux a été porté à sa crédibilité et
à sa popularité, l’allié d’hier à Tripoli s’est détaché de lui
et même les capitales du monde occidentales qui l’appuyaient ont
publié des déclarations pour dire: nous attendons les actions du
nouveau gouvernement pour le juger. Le rideau est tombé et les
mauvais acteurs doivent se retirer de la scène.
Article publié sur Résistance islamique au Liban
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