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Opinion
Le summum de
l'opportunisme politique
Soraya Hélou
Boutros Harb
Jeudi 6 janvier 2011
C’est le comportement le plus laid en politique: profiter d’un
climat d’angoisse au sein d’une communauté pour faire passer des
projets sectaires et se présenter en défenseur de cette
communauté. C’est pourtant ce qu’a fait le député et ancien
ministre Boutros Harb, qui a eu au cours de sa longue carrière
des initiatives plus heureuses, en présentant son dernier projet
de loi sur l’interdiction de la vente de terrains entre les
communautés libanaises. Le timing de la présentation de ce
projet est en lui-même désagréable puisqu’il dénote une volonté
d’exploiter à des fins politiques étroites des événements
dramatiques. Cela ne montre pas seulement de l’opportunisme
politique, mais aussi une grande irresponsabilité puisque dans
cette région du monde et dans une étape aussi délicate, on ne
joue pas avec les sentiments confessionnels. Il faut croire
toutefois que chez les chefs chrétiens du 14 mars, le sentiment
d’échec et de perte de vitesse a atteint un tel degré que seule
compte désormais pour eux les moyens les plus sectaires de
reconquérir un peu de popularité. Même aux dépens des intérêts
de leur communauté.
Cela n’est certes pas nouveau chez cette partie qui a longtemps
tenu les commandes au sein de la communauté chrétienne et qui
l’a menée de défaite en échec et d’exode au compte gouttes ou
massif en désenchantement et en malaise. Refusant de faire la
moindre concession et convaincue que le Liban a été créé pour
elle, cette partie a parié sur l’Occident et s’est retrouvée au
cœur d’une guerre civile qui s’est terminée par l’accord de Taëf,
lequel a rééquilibré les pouvoirs entre les communautés au
détriment des chrétiens. Sans tirer les leçons de ce passé
sanglant, cette partie a, pour camoufler sa défaite, exacerbé
chez les chrétiens un sentiment de malaise et de victimisation,
les empêchant de s’intégrer dans les institutions de l’Etat et
leur faisant croire qu’un retournement de situation est encore
possible, alors que la réalité sur le terrain devrait la pousser
à plus de pragmatisme. Elle a continué dans ses mauvais choix,
que certains pourraient qualifier de suicidaires jusqu’au retour
du général Michel Aoun et la signature de l’accord historique
avec le Hezbollah le 6 février 2006, qui a redonné confiance aux
chrétiens de leur avenir dans ce pays en reconstruisant la
confiance entre les différentes composantes de la société
libanaise.
Au lieu de se rallier à cette initiative louable, cette partie
chrétienne du 14 mars n’a cessé de chercher à la dénigrer,
poursuivant sa campagne en faveur de la haine entre les
communautés et cherchant à rallumer le sentiment de
victimisation chez les chrétiens et donc de repli sur soi.
L’exode massif et les massacres contre les chrétiens d’Irak
ainsi que plus récemment le massacre dans une église copte en
Egypte ont servi de point de départ à une relance de cette
campagne en faveur d’un rejet chrétien des autres communautés et
toujours du retour aux options sectaires.
Le projet de loi de Boutros Harb profite donc de ces événements
pour pousser les chrétiens à se replier sur eux-mêmes sous
prétexte de les protéger et de les maintenir sur le sol
libanais. En filigrane, c’est surtout contre la prétendue
expansion chiite que souhaite lutter le député héroïque. Mais on
dirait que le fait que ce sont surtout les sunnites et les
Arabes du Golfe qui achètent en masse à Achrafieh, au Metn et au
Kesrouan (autrement dit dans les régions à majorité chrétienne)
lui a totalement échappé. Il ne viendrait pas à l’idée de
M.Harb de s’insurger contre ces achats massifs de biens
immobiliers directement ou par le biais de prête-noms, mais que
des Libanais de la confession chiite achètent des terrains dans
leur propre pays le dérange au point de vouloir élaborer un
projet de loi sur le sujet. Boutros Harb sait parfaitement que
son projet de loi n’a aucune chance d’aboutir et cela lui
importe peu en réalité, parce qu’il ne veut surtout pas empêcher
les sunnites d’acheter et les Arabes d’investir au Liban, cela
risquerait de coûter très cher à son camp politique. Mais ce
qu’il voulait c’était gagner quelques voix électorales en se
présentant comme défenseur des intérêts des chrétiens. Et tant
pis si son projet de loi coïncide dangereusement avec les appels
israéliens de faire d’Israël un Etat juif, c’est-à-dire
ouvertement raciste. Ce projet a d’ailleurs attiré l’attention
des médias sionistes qui lui ont consacré une importante
couverture médiatique…
Il a toutefois échappé à cheikh Boutros Harb qu’une grande
partie des chrétiens, notamment dans sa circonscription
électorale, a, elle, tiré les leçons du passé et sait désormais
faire la distinction entre les choix suicidaires et ceux qui lui
permettent de s’enraciner dans la région et de vivre sa
véritable identité chrétienne d’Orient. L’heure où l’Occident
pouvait croire que les chrétiens du Liban sont une place forte
occidentale en terre d’Orient est révolue pour une grande partie
des chrétiens libanais qui s’apprêtent à célébrer la fin de
l’année du Jubilé de la fondation de l’Eglise maronite à Brad en
Syrie, le 9 février. Les tragiques événements d’Irak et d’Egypte
les confortent dans leur choix et leur montre encore plus que ni
l’alliance avec les Etats-Unis ni la paix avec « Israël »
n’apporte la sécurité aux chrétiens. Seule l’entente avec leur
environnement est leur voie de salut. En face, Boutros Harb et
ses alliés n’ont à proposer, par légèreté et par intérêt
immédiat, que la peur et le rejet de
l’autre qui mènent inexorablement à l’exil et à la perte de soi.
Le choix est facile.
Article publié sur Résistance islamique au Liban
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