Les musulmans en Europe (I)
Les
chiffres dissipent la vision effrayante de « l’Eurabie »
Simon Kuper -
Financial Times
Paris
, le
20 août 2007
Muhammad
est le deuxième prénom le plus populaire pour les nouveaux nés
en Grande Bretagne si vous cumulez ensemble les différentes manières
de prononciation. A
la Seine
Saint
Denis en banlieue parisienne, Mohamed est le numéro un. Dans les
quatre plus grandes villes néerlandaises en 2005, soit Mohamed ou
Mohammed arriva en tête.
Des
faits comme ceux là ont conduit quelques experts à prévoir
l’islamisation de l’Europe – une future « Eurabie ».
Bernard Lewis, un érudit de l’Islam, a cité l’immigration en
provenance des pays musulmans et les taux de fertilité
relativement élevés parmi les immigrés comme des tendances qui
veulent dire « l’Europe aura des majorités musulmanes
dans la population vers la fin du 21e siècle au plus
tard ».
La
plupart des chercheurs universitaires qui ont analysé les données
démographiques ont démenti de telles prédictions.
Jytte
Klausen, un professeur des sciences politiques à l’université
de Brandeis (une université US se définissant comme université
non sectaire sponsorisée par la communauté juive aux USA, ndt)
qui étudie les Musulmans européens, dit : « Ceci a été
défendu par des gens qui ne consultent pas les chiffres. Toutes
ces affirmations sont vraiment des affirmations émotionnelles ».
Quelque fois elles sont avancées par des Musulmans ou des groupes
d’extrême droite qui partagent le même intérêt à exagérer
les chiffres.
Ce
qu’on nomme comme Musulmans, qu’ils soient religieux ou pas,
représentent 3 à 4 pourcent d’un total de 493 millions
d’habitants de l’Union Européenne. Leur pourcentage devrait
augmenter mais beaucoup plus modestement que les prédictions extrêmes.
Cela
est essentiellement dû au fait que les Musulmans en Europe et
dans les principaux « pays d’émigration » comme le
Turquie et l’Afrique du Nord font moins de bébés. « Personne
ne sait combien de Musulmans il y a en Europe », dit Mme.
Klausen.
Peu
d’états européens interrogent leurs citoyens sur leurs
croyances religieuses. Des estimations fondées sur les origines
nationales suggèrent que 16 millions de Musulmans vivent dans
l’Union Européenne. Il y a environs 5 millions en France, 3,3
millions en Allemagne et de 1,5 à 2 millions en Grande Bretagne.
« Berlin
est une ville musulmane, paris est une ville musulmane et c’est
même le cas de Madrid ou Turin à un certain degré », dit
Jocelyn Cesari, un expert des Musulmans européens à
l’université de Harvard (elle est chercheuse au CNRS et
professeur invitée à l’université de Harvard, ndt).
Le
pays le plus islamique dans l’UE est
la Bulgarie
, où un million de Musulmans compte pour presque un septième de
la population.
Mais
les taux de fertilité des immigrés musulmans en Europe sont en
train de tomber bien qu’ils sont encore au-dessus de la moyenne
de l‘UE. Le taux de fertilité des femmes nord africaines en
France baissait depuis 1981, déclarent Jonathan Laurence et
Justin Vaisse dans leur livre, Intégrer l’Islam.
« Plus longtemps les femmes immigrées vivent en France,
moins elles font d’enfants ; leur taux de fertilité
approche celui des femmes françaises d’origine ».
A
la dernière estimation, les femmes algériennes vivant en France
avaient une moyenne de 2,57 enfants contre 1,94 enfants pour les
femmes françaises.
La
baisse dans les taux de fertilité est plus spectaculaire en
Afrique du Nord elle-même. Les femmes là bas utilisent davantage
les contraceptives et font des bébés plus tard que d’habitude.
Il y a 35 ans en Algérie et au Maroc, une femme avait sept
enfants en moyenne. Selon les Nations Unis, c’est maintenant 2,5
en Algérie (presque pareil en Turquie), 2,8 au Maroc, et ça
continue de baisser dans tous ces pays.
Le
‘World Factbook’ de l’Agence Centrale des Renseignements des
Etats-Unis (CIA) présente même des estimations plus basses des
taux de fertilité algérien, tunisien et turque : en dessous
du taux français et en dessous du seuil de renouvellement de 2,1
enfants par femme. Les pays d’émigration n’exportent plus des
taux de fertilité élevés vers l’Europe.
L’Europe
du Nord a connu une remontée dans la fertilité. Plusieurs pays
ont introduit des politiques – comme un congé parental plus
long et des meilleurs services d’aide à l’enfance – pour
encourager les gens à faire des enfants.
Le
taux de fertilité de
la France
est proche du seuil de renouvellement de 2,1. Le taux de
la Grande
Bretagne
est le plus haut depuis 1980, largement grâce à des mères plus
âgées ou des mères immigrées – dont seulement une minorité
de Musulmanes. Le nombre de bébés nés en Allemagne a rebondi
depuis le niveau le plus bas depuis l’après-guerre enregistré
en 2005. Les incitations pécuniaires semblent avoir aidé, mais
les taux de fertilité en Europe du Sud et de l’Est demeurent
bas.
Le
Conseil National des Renseignements des Etats-Unis (National
Intelligence Council) prévoit un nombre entre 23 et 38 millions
de Musulmans dans l’UE en 2025, soit 5 à 8 pourcent de la
population. Mais après 2025, la population musulmane devrait ne
plus augmenter aussi rapidement étant donné la baisse de son
taux de fertilité.
En
bref, l’islamisation – encore moins les lois de la Charia –
n’est pas une perspective démographique pour l’Europe.
© Copyright The
Financial Times Ltd 2007
http://www.ft.com/cms/s/0/694a6eb0-4eb5-11dc-85e7-0000779fd2ac.html
Les musulmans en Europe
(II)
: Les Musulmans de l'Europe unis seulement par le nom
Les
musulmans en Europe (III) : Là où les musulmans français se
battent pour s’intégrer
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