Calmy-Rey se moque des Palestiniens
victimes d’une immense injustice. La réception du
représentant d’un État qui pratique sur une large échelle
l’épuration ethnique, le vol de la terre arabe, les
massacres d’innocents, et qui emprisonne et persécute la
population exsangue de Gaza, est une offense pour tous ces
gens soumis aux atrocités de l’occupation militaire
israélienne.
Prétendre vouloir parler de cette
mascarade appelée “processus de paix”,
avec le représentant d’un État criminel qui s’est toujours
servi des pourparlers “de paix” comme
couverture pour continuer la guerre et mettre les
Palestiniens devant des faits accomplis - autrement dit,
l’irréversible - est une sinistre comédie.
Par ailleurs, saisir, comme Calmy-Rey le
fait, toute rencontre officielle pour promouvoir cette
coûteuse farce qu’est l’“Initiative de
Genève” [1]
- fondée sur la perspective de “deux États”
- qu’elle aurait dû avoir le courage d’enterrer, est de
l’aveuglement. Ziyad Clot [2],
qui a participé aux pourparlers qui devaient aboutir à la
création de l’État palestinien en 2008, considère cette
initiative sans intérêt. [3]
Silvia Cattori :
Pas une ligne
n’est consacrée à l’“Initiative de Genève” dans votre
excellent ouvrage “Il n’y aura pas d’État palestinien”.
Votre silence à ce sujet est-il parlant ?
Ziyad Clot :
Personnellement, j’ai toujours pensé que l’“Initiative
de Genève” était dangereuse car elle implique des
renoncements graves sur les droits des réfugiés palestiniens
et, notamment, sur le droit au retour. Cette question reste
au cœur de l’expérience et de l’identité palestinienne. Le
caractère juste et équitable d’un éventuel accord de paix
-auquel je ne crois pas-, la capacité à le mettre en œuvre,
seront largement jugés à la lumière de la manière dont le
problème des réfugiés aura été traité.
L’“Initiative de Genève”
- au delà de toutes les réserves - a été condamnée par
beaucoup de Palestiniens ; notamment par toutes les
organisations de réfugiés parce qu’elles estimaient que
cette initiative passait à côté de ce qui est au cœur de la
question palestinienne.
Sur le terrain, il s’agit aussi de
prendre conscience que la situation dans les territoires
occupés palestiniens s’est radicalement transformée depuis
les accords d’Oslo (1993) en raison de l’accélération de la
colonisation israélienne. J’ai bien peur que ce processus ne
soit irréversible. Pour construire un État, il faut un
territoire. Or celui-ci est en voie de disparition avec la
présence de plus de 500’000 colons Israéliens en
Cisjordanie, incluant Jérusalem-Est. Il faut aussi une
continuité géographique. Or, le gouvernement israélien
s’oppose violemment à toutes les tentatives de
réconciliation entre le Fatah et le Hamas, condamnant ainsi
tout rapprochement entre la Cisjordanie et la bande de Gaza.
L’affaiblissement et les divisions du
leadership politique palestinien sont en définitive la
deuxième entrave à la constitution de l’État palestinien. Le
chaos politique qui subsiste côté palestinien empêche encore
d’exercer une pression suffisante sur Israël afin d’être en
mesure d’obtenir ce à quoi les Palestiniens ont droit.
Penser que les États-Unis, suivis des Européens, vont
changer de position et peser suffisamment sur Israël pour
qu’il accepte de se retirer des territoires occupés y
compris Jérusalem Est, représente à mon avis un immense
défi ; aujourd’hui on ne voit pas comment cela pourrait
arriver puisque même Barak Obama, considéré comme le
président états-unien le plus à même d’apporter une solution
à la question palestinienne, n’arrive même pas s’opposer
franchement à la poursuite de la colonisation israélienne.
Je crois que l’“Initiative
de Genève”, et avec elle la solution des “deux
États”, ne sont plus d’actualité. Je pense que l’on est
bien au delà du stade où la solution des deux États était
encore envisageable. Je me demande même si elle a jamais été
possible. Ce qui est certain c’est que les Palestiniens sont
aujourd’hui bien loin du compte.
Les raisons pour lesquelles le processus
de paix survit encore sont essentiellement politiques. Elles
tiennent au fait que, du côté occidental, on ne veut pas
voir la réalité en face et que, au niveau des directions des
différents acteurs de ce conflit, notamment Israël, l’OLP et
le Hamas en Palestine, et les États-Unis, on ne veut
absolument pas considérer une alternative à la création d’un
État palestinien. Parce que l’on sait très bien que, s’il
n’y a pas de création d’un État palestinien, la seule option
qui reste sur la table – au delà du statu quo ou à moins
d’une expulsion des Palestiniens que l’on ne peut exclure -
c’est la solution de l’État unique, un État binational qui
serait synonyme de la fin de l’État d’Israël en tant que
réalisation du projet sioniste.
Si on se replonge dans les modalités du
plan de partition de 1947, on voit très bien que la solution
des “deux États” n’a jamais été une
solution de séparation complète : Jérusalem devait avoir le
statut de ville internationale et on envisageait une union
douanière entre l’État juif et l’État arabe. C’est la preuve
que les experts n’ont jamais cru à une totale partition
viable en termes à la fois économiques, sociologiques ou
politiques.
Le constat auquel j’arrive est qu’il y a
déjà un État unique, totalement bancal, dans lequel vivent
des communautés israéliennes et des communautés
palestiniennes. Côté palestinien, à Gaza, en Cisjordanie ou
à Jérusalem-Est ou en Galilée on voit – et on vit - des
réalités très différentes qui me font dire que tous les
Palestiniens n’ont pas forcément les mêmes aspirations et
les mêmes expériences. Je crois qu’on pourrait aussi
appliquer dans une certaine mesure cette analyse-là à
Israël, notamment à la division entre les laïcs et les
religieux ; toutes ces personnes sont obligées de vivre
ensemble. L’État unique nous l’avons déjà sous nos yeux avec
toutes ces communautés totalement imbriquées les unes aux
autres.
(*) L’ONG suisse “Droit
pour tous”, a porté plainte contre Shimon Peres auprès
du procureur général de Genève pour “crimes
de guerre et crimes contre l’humanité” le jour où
Micheline Calmy-Rey le rencontrait.
Voir aussi : “Le
criminel de guerre Shimon Peres reçu sous les huées à Oxford”,
par le PACBI,
info-palestine.net, 20 novembre 2008.
[1]
Le 12 octobre 2003, après deux années de négociations “secrètes”,
le “projet d’accord définitif” préparé
sous l’impulsion de M. Alexis Keller (projet nommé “Initiative
de Genève”) a été “finalisé”, en
présence de nombreux invités palestiniens et israéliens –
par le DFAE- dans un Palace jordanien, sur la mer morte.
Voir le site Web officiel de l’Initiative de Genève (http://www.geneva-accord.org)
où on peut trouver le texte de l’Accord (http://www.geneva-accord.org/mainmenu/english),
des cartes des territoires palestiniens selon l’initiative
de Genève (http://www.geneva-accord.org/mainmenu/static-maps/)
et les activités et dernières nouvelles des deux délégations
israélienne et palestinienne de l’Initiative de Genève.
L’initiative de Genève est appelée en anglais “Geneva
agreement”.
Sur l’Initiative
de Genève, voir également :
“La
diplomatie suisse s’obstine à poursuivre une initiative
mort-née”, par Silvia Cattori,
silviacattori.net, 3 décembre 2010.
“Les
errements de la diplomatie suisse”,
par Silvia Cattori, Réseau Voltaire, 10
janvier 2009.
“La
diplomatie suisse doit défendre le droit international”,
par Silvia cattori, silviacattori.net,
27 avril 2007.
“L’Accord
de Genève est une erreur – Entretien avec Sam Bahour”,
par Silvia Cattori, silviacattori.net,
24 avril 2007.
“Un
plan de paix sur fond de sang et de larmes”,
par Silvia Cattori, silviacattori.net, 5
décembre 2003.
“L’Initiative
de Genève vue de Naplouse”, par
Silvia Cattori, silviacattori.net, 1er
décembre 2003.
“La
charrue avant les bœufs”, par
Silvia Cattori, silviacattori.net, 19
octobre 2003.
[2]
Ziyad Clot, jeune avocat français, auteur du livre “Il
n’y aura pas d’État palestinien” ( Max Milo Editions :
Paris, 2010), est le petit-fils d’exilés palestiniens.
[3]
Propos recueillis par Silvia Cattori en décembre 2010