Entretien
Palestine :
Les gens vont voter avec leur estomac
Propos
recueillis par Silvia Cattori
Mohammed
Dahlan en compagnie d’Ehud Olmert
20
décembre 2006
L’annonce
de nouvelles élections présidentielles et législatives par Abou
Mazen a jeté le peuple palestinien, qui souffre déjà atrocement
de la terreur que fait régner l’armée israélienne, dans
des affrontements sanglants. Nous avons recueilli le témoignage
d’Ali, (1) un Palestinien de 35 ans, qui réside avec sa famille
dans ce chaudron que l’on appelle curieusement « Bande de
Gaza ». Son inquiétude contraste avec l’optimisme avec
lequel ces nouvelles élections sont présentées par les représentants
palestiniens au-dehors, comme Elias Sanbar par exemple. (2)
« C’est
terrifiant ce qui se passe ici. Avec l’annonce de nouvelles élections
Abou Mazen a fait exploser Gaza. Cette décision nous jette dans
l’incertitude. Cela a rendu comme fous les gens qui ont élu le
gouvernement du Hamas. Nous restons enfermés dans nos maisons.
Nous ne bougeons pas. On a peur de sortir, peur d’être pris
dans un accrochage. Et quand les enfants vont à l’école notre
crainte est de ne pas les revoir. Jusqu’ici le 90 % des blessés
et des tués sont des passants qui n’ont rien à voir avec ces
combats entre le Fatah et le Hamas.
C’est
une situation terrible. Abou Mazen n’a pas le droit de demander
de nouvelles élections avant quatre ans. Il pouvait uniquement
demander l’approbation du Conseil législatif pour obtenir la démission
du gouvernement. Partant de là, la seule chose qui pouvait être
faite était de demander la formation d’un autre gouvernement.
Abou Mazen s’est conduit en dictateur. Ce qu’il a fait n’était
pas légal. Il est passé par dessus la tête du Premier ministre
Hanyie. Il a ignoré le fait que le Hamas possède la majorité au
Conseil législatif et qu’il a plus de pouvoir que lui.
Nous
pensons qu’Abou Mazen est tombé dans les pièges tendus par la
bande des quatre : Abed Yasser Rabbo, Hassan Takhmad,
Mohammed Dahlan et Saëb Erekat. Ce sont des marionnettes entre
les mains d’Israël et de la CIA. Tout le monde a pu voir à la
télévision Dahlan et Erekat assis au premier rang et applaudir,
sauter de joie, exulter dès l’annonce de nouvelles élections
par Abou Mazen. Ils se sont vus au pouvoir.
Nous
pensons qu’Abou Mazen est un homme faible, qui s’est laissé
pousser à aller aux élections par cette bande qui, depuis des
mois, a tout fait pour faire capoter un gouvernement d’union
nationale comme le Hamas les y invitait. Dahlan et Erekat savent
que cette décision est de nature à provoquer une cassure, une
guerre civile, mais ils s’en fichent car leur but est
d’arriver au pouvoir.
Dahlan
apparaît de plus en plus comme l’héritier d’Abou Mazen.
C’est l’homme le plus détesté en Palestine, même parmi les
gens du Fatah. Mais il a toutes les chances d’être leur
candidat officiel pour les présidentielles. Il a acheté des
politiques, des militaires, et des hommes dans l’appareil de sécurité.
Il a pu et peut toujours distribuer autant d’argent qu’il veut
pour consolider son pouvoir à partir du compte alimenté par la
CIA. Dahlan a obtenu ce qu’il voulait. Nous sommes inquiets à
l’idée que Dahlan puisse prendre le pouvoir. Dahlan travaille
pour son intérêt. Israël lui donne toutes les facilités
d’aller et venir comme il veut. Il fera tout ce que voudra Israël.
Et nous avons tout à craindre de lui.
La
situation est très grave. Ces élections sont perçues comme un
coup d’Etat. Cela a mis le feu aux poudres. C’est un coup monté
pour exclure le Hamas du gouvernement et du Conseil législatif.
Nous pensons que le Hamas va refuser ce coup d’Etat contre son
gouvernement démocratiquement élu et qu’il ne participera pas
à cette élection. La situation ne peut que s’envenimer car le
Hamas a la loi de son côté. Sa dignité et la dignité de son
peuple est de s’y opposer. Il a l’obligation de refuser ce
coup d’Etat et ne pas laisser ces élections se dérouler.
Abou
Mazen a mené notre peuple vers une situation très sombre. Nous
ne savons pas ce qui va se passer demain. L’annonce de nouvelles
élections nous a emplis de douleur. Car cela veut dire que notre
peuple va se battre, soit pour soutenir la décision du Fatah,
soit pour que le vote des dernières élections en faveur du
Hamas soit respecté. On prie pour que cela ne se produise pas.
Israël
et les Etats-Unis soutiennent Abou Mazen. Cela crée encore plus
de dissensions entre nous. Ce n’est pas un combat entre gens du
Fatah et gens du Hamas comme on le dit. C’est un combat entre
ceux qui collaborent avec l’occupant et ceux qui se battent pour
leur libération. Il y a eu des manifestations pour soutenir le
Hamas, des manifestations pour soutenir la décision du Fatah. Il
y a des gens même dans le camp du Fatah qui ne sont pas
d’accord avec la décision d’Abou Mazen. Tout cela nous éloigne
de ce qui devrait nous unir : la lutte pour nous libérer de
l’occupant. Est-ce cela que veut notre président et sa bande de
conseillers ? S’allier à Israël, recevoir les armes d’Israël
pour en finir avec le Hamas ?
Nous
sommes inquiets car nous pensons que les objectifs d’Abou Mazen
et du Fatah ne se réaliseront pas sans heurts. Même si nous
sommes conscients que, s’il y a de nouvelles élections, le
peuple va voter avec son estomac. On l’a affamé. Les gens sont
dans la misère. On ne peut pas demander à quelqu’un qui a faim
de voter pour un idéal. Moi j’ai huit enfants à nourrir
et je suis sans travail. Je me débrouille comme je peux. En une
semaine j’ai gagné 14 shekels en vendant des bricoles. Comparé
à mes voisins, qui sont dans une misère encore plus noire que la
mienne, je me considère privilégié ».
1) Nous
n’avons donné que le prénom d’Ali pour des raisons de
sécurité. A Gaza les gens ont très peur du Service de sécurité
préventive (qui collabore semble-t-il avec le Shabak) qui déjà
sous Arafat a arrêté, torturé, tué des Palestiniens qui s’étaient
opposé aux processus d’Oslo ou qui étaient liés aux
mouvements de résistance musulmane. Ces forces de sécurité -
aujourd’hui sous l’autorité d’Abou Mazen - sont armées et
entrainées par la CIA.
2) Elias
Sanbar était l’invité de France culture le 19 décembre 2006.
Représentant palestinien auprès de l’Unesco depuis 20 ans, rédacteur
en chef de la Revue
d'études palestiniennes, il est membre du Conseil
National Palestinien depuis 1988.
Silvia Cattori. 21 décembre 2006
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