Opinion
L’engagement de l’Eglise catholique pour
la paix en Syrie
Silvia Cattori
Vendredi 6 septembre 2013
A l’appel du Pape François, demain 7
septembre sera « une
journée de jeûne et de prière pour la
paix en Syrie, au Moyen-Orient, et dans
le monde entier », initiative à
laquelle sont invités à s’unir
« par la manière qu’ils
retiendront la plus opportune, les
frères chrétiens non catholiques, les
adeptes des autres religions, ainsi que
les hommes de bonne volonté ».
Rarement l’Eglise catholique et le Pape
en personne auront fait entendre une
parole aussi forte pour tenter d’éviter
une guerre. On trouvera ici trois textes
qui témoignent de cet engagement :
l’Appel du Pape François du 1er
septembre ; sa lettre du 4 septembre au
président du G20, Vladimir Poutine ; et
un entretien avec le Père Adolfo
Nicolas, supérieur des Jésuites. -
(Silvia Cattori)
PAPE FRANÇOIS
Place Saint-Pierre
Dimanche, 1er septembre 2013
Chers frères et sœurs, bonjour !
Chers frères et sœurs, je voudrais me
faire aujourd’hui l’interprète du cri
qui monte de toutes les parties de la
terre, de tous les peuples, du cœur de
chacun, de l’unique grande famille
qu’est l’humanité, avec une angoisse
croissante : c’est le cri de la paix !
Etle cri qui dit avec force : nous
voulons un monde de paix, nous voulons
être des hommes et des femmes de paix,
nous voulons que dans notre société
déchirée par les divisions et les
conflits, explose la paix ; plus jamais
la guerre ! Plus jamais la guerre ! La
paix est un don éminemment précieux, qui
doit être promu et préservé.
Je vis avec une particulière souffrance
et préoccupation les nombreuses
situations de conflit qu’il y a sur
notre terre, mais, ces jours-ci, mon
cœur est profondément blessé par ce qui
se passe en Syrie et angoissé par les
développements dramatiques qui
s’annoncent.
J’adresse un appel fort pour la paix, un
appel qui naît du plus profond de
moi-même ! Que de souffrance, que de
destruction, que de douleur a provoqué
et provoque l’usage des armes dans ce
Pays affligé, particulièrement parmi les
populations civiles et sans défense !
Pensons : Que d’enfants ne pourront pas
voir la lumière de l’avenir ! Avec une
fermeté particulière je condamne l’usage
des armes chimiques ! Je vous dis que
j’ai encore fixées dans mon esprit et
dans mon cœur les terribles images de
ces derniers jours ! Sur nos actions il
y a un jugement de Dieu et aussi un
jugement de l’histoire, auxquels on ne
peut pas échapper ! Ce n’est jamais
l’usage de la violence qui conduit à la
paix. La guerre appelle la guerre, la
violence appelle la violence !
De toutes mes forces, je demande aux
parties en conflit d’écouter la voix de
leur conscience, de ne pas s’enfermer
dans leurs propres intérêts, mais de
regarder l’autre comme un frère et
d’entreprendre courageusement et
résolument le chemin de la rencontre et
de la négociation, en dépassant les
oppositions aveugles. Avec la même
fermeté, j’exhorte aussi la Communauté
internationale à fournir tout effort
pour promouvoir, sans délai ultérieur,
des initiatives claires fondées sur le
dialogue et la négociation pour la paix
dans cette Nation, pour le bien de tout
le peuple syrien.
Qu’aucun effort ne soit épargné pour
garantir une assistance humanitaire à
ceux qui sont touchés par ce terrible
conflit, particulièrement aux réfugiés
dans ce Pays et aux nombreux réfugiés
dans les pays voisins. Que soit garantie
aux agents humanitaires engagés à
alléger les souffrances de la
population, la possibilité de prêter
l’aide nécessaire.
Que pouvons-nous faire pour la paix dans
le monde ? Comme le disait le Pape Jean
XXIII : À tous incombe la tâche de
rétablir les rapports de la vie en
société sur les bases de la justice et
de l’amour (cf. Pacem in terris [11
avril 1963] : AAS (1963], pp. 301-302].
Qu’une chaîne d’engagement pour la paix
unisse tous les hommes et toutes les
femmes de bonne volonté ! C’est une
forte et pressante invitation que
j’adresse à toute l’Église catholique,
mais que j’étends à tous les chrétiens
d’autres Confessions, aux hommes et aux
femmes de chaque Religion, ainsi qu’à
ces frères et sœurs qui ne croient pas :
la paix est un bien qui dépasse toute
barrière, parce qu’elle est un bien de
toute l’humanité.
Je le répète à haute voix : ce n’est pas
la culture de l’affrontement, la culture
du conflit qui construit la vie
collective dans un peuple et entre les
peuples, mais celle-ci : la culture de
la rencontre, la culture du dialogue :
c’est l’unique voie pour la paix.
Que le cri de la paix s’élève pour
arriver au cœur de tous et que tous
déposent les armes et se laissent guider
par le souffle de la paix.
Voilà pourquoi,
frères et sœurs, j’ai décidé d’organiser
pour toute l’Église, le 7 septembre
prochain, veille de la célébration de la
Nativité de Marie, Reine de la Paix, une
journée de jeûne et de prière pour la
paix en Syrie, au Moyen-Orient, et dans
le monde entier, et j’invite aussi à
s’unir à cette initiative, par la
manière qu’ils retiendront la plus
opportune, les frères chrétiens non
catholiques, les adeptes des autres
religions, ainsi que les hommes de bonne
volonté.
Le 7 septembre, sur la Place
Saint-Pierre – ici – de 19h00 à 24h00,
nous nous réunirons en prière et dans un
esprit de pénitence pour invoquer de
Dieu ce grand don pour la bien-aimée
Nation syrienne et pour toutes les
situations de conflit et de violence
dans le monde. L’humanité a besoin de
voir des gestes de paix et d’entendre
des paroles d’espérance et de paix ! Je
demande à toutes les Églises
particulières, outre le fait de vivre
cette journée de jeûne, d’organiser des
actions liturgiques à cette intention.
À Marie, nous demandons de nous aider à
répondre à la violence, au conflit et à
la guerre, par la force du dialogue, de
la réconciliation et de l’amour. Elle
est mère : qu’elle nous aide à retrouver
la paix ; nous sommes tous ses enfants !
Aide-nous, Marie, à dépasser ce moment
difficile et à nous engager à construire
chaque jour et dans tous les domaines
une culture authentique de la rencontre
et de la paix. Marie, Reine de la paix,
prie pour nous !
Source :
http://www.vatican.va/holy_father/francesco/angelus/2013/documents/papa-francesco_angelus_20130901_fr.html
Lettre du pape
François au président du G20, Vladimir
Poutine
À son excellence
M. Vladimir Poutine
Président de la fédération de Russie
Au cours de cette année, vous avez
l’honneur et la responsabilité de
présider le groupe des vingt plus
grandes économies du monde. Je suis
conscient que la Fédération de Russie
fait partie de ce groupe depuis sa
création et a toujours eu à jouer un
rôle positif dans la promotion d’une
bonne gouvernance de l’économie
mondiale, qui a été profondément touchée
par la crise de 2008.
Dans le contexte d’interdépendance
actuel, nous avons un cadre financier
global avec ses propres règles justes et
claires pour parvenir à un monde plus
équitable et fraternel, dans lequel il
est possible de vaincre la famine,
d’assurer des emplois décents et des
logements pour tous, ainsi que les soins
nécessaires. Cette année, votre
présidence du G20 s’ est engagée à
consolider la réforme des organisations
financières internationales et à
parvenir à un consensus sur les normes
financières qui conviennent aux
circonstances actuelles. Cependant,
l’économie mondiale ne se développera
que si elle garantit à tous les êtres
humains une vie digne, du plus vieux
jusqu’à l’ enfant à naitre, pas
seulement pour les citoyens des pays du
G20, mais pour chaque habitant de la
planète, même ceux qui sont dans des
situations sociales extrêmes ou dans des
endroits reculés.
De ce point de vue, il est clair que,
pour les peuples du monde, les conflits
armés sont toujours une négation
délibérée de l’harmonie internationale,
et créent de profondes divisions et des
blessures profondes qui nécessitent de
nombreuses années pour guérir. Les
guerres sont un refus concret
d’atteindre les grands objectifs
économiques et sociaux que la communauté
internationale s’est fixée, comme nous
avons pu le constater par exemple avec
les Objectifs du Millénaire pour le
Développement. Malheureusement, les
nombreux conflits armés actuels qui
continuent d’affecter le monde nous
offrent quotidiennement des images
spectaculaires de misère, de famines, de
maladies et de mort. Sans la paix, il ne
peut y avoir aucune forme de
développement économique. La violence
n’engendre jamais la paix, condition
nécessaire au développement.
La rencontre des chefs d’État et des
gouvernements des 20 plus importantes
puissances économiques, correspondant au
2/3 de la population mondiale, et à 90 %
du PIB mondial, n’a pas pour but
principal la sécurité internationale.
Néanmoins cette rencontre n’omettra
surement pas la situation au
Moyen-Orient et en particulier en Syrie.
Il est regrettable que, depuis le début
du conflit en Syrie, des intérêts
unilatéraux aient prévalu, et aient de
ce fait entravé la recherche d’une
solution qui aurait permis d’éviter le
massacre insensé qui a lieu. Les leaders
du G20 ne peuvent rester indifférents à
la situation dramatique du bien aimé
peuple syrien, qui dure depuis bien trop
longtemps et qui risque d’ apporter une
plus grande souffrance à une région
amèrement touchée par des conflits et en
quête de paix. Aux leaders présents, à
chacun, je lance un appel sincère pour
permettre de trouver des moyens de
surmonter ces conflits et de mettre de
côté la poursuite futile d’une solution
militaire. Plutôt, qu’il y ait un
engagement renouvelé à chercher, avec
courage et détermination, une solution
pacifique au travers du dialogue et de
la négociation entre les parties,
supportée unanimement par la communauté
internationale De plus, tous les
gouvernements ont le devoir moral de
faire tout leur possible afin d’ assurer
une assistance à ceux qui souffrent à
cause ce conflit, que ce soit d’un côté
ou de l’ autre des frontières.
Monsieur le Président, dans l’ espoir
que ces pensées puissent être une
contribution spirituelle valable à cette
rencontre, je prie pour le succès des
travaux du G20 à cette occasion.
J’invoque l’abondance des bénédictions
du sommet de Saint-Pétersbourg, sur les
participants et les citoyens des États
membres, et sur le travail et les
efforts de la présidence russe 2013 du
G20.
Tout en appelant à vos prières, je
saisis cette occasion pour vous assurer,
Monsieur le Président, de ma très haute
considération.
Pape François
Vatican, 4 septembre 2013
Source :
http://www.mondialisation.ca/lettre-du-pape-francois-au-president-du-g20-vladimir-poutine/5348430
Le supérieur des
Jésuites critique les Etats-Unis et la
France
Rompant avec sa discrétion habituelle,
le préposé général de la Compagnie de
Jésus, le Père
Adolfo Nicolas, a critiqué en
termes forts les Etats-Unis et la France
susceptibles d’intervenir militairement
en Syrie. Le supérieur général des
jésuites, dans une interview publiée le
4 septembre 2013 sur le site de la curie
romaine de l’ordre, juge "inacceptable"
un éventuel recours à la force en Syrie.
Le religieux espagnol prévient que les
Etats-Unis pourraient commettre une
"grosse erreur" et déplore que la
France, "qui a grandement contribué à la
civilisation et la culture", soit
aujourd’hui tentée "de conduire
l’humanité à faire marche arrière vers
la barbarie".
Q. : Le pape est sorti du
protocole habituel pour parler en faveur
de la paix en Syrie. Que pensez-vous de
ce sujet ?
Père Adolfo
Nicolas : Je n’ai pas
l’habitude de commenter les situations
internationales ou les affaires
politiques. Mais, dans le cas présent,
nous sommes devant une situation
humanitaire qui va au-delà des limites
normales pouvant justifier le silence.
J’avoue, je dois le dire, ne pas
comprendre qui a donné l’autorisation
aux Etats-Unis ou à la France d’agir
contre un pays d’une manière qui, sans
nul doute, ajoutera aux souffrances
d’une population qui a déjà souffert
plus que l’on ne peut l’imaginer. La
violence ou les interventions violentes
comme celles qui se préparent ne sont
justifiables que comme des moyens
ultimes utilisés d’une manière telle
qu’ils n’atteignent que les seuls
coupables. Dans le cas d’un pays, cela
est totalement impossible, et c’est
pourquoi ce recours à la force me paraît
totalement inacceptable. Nous jésuites,
nous appuyons l’action du pape à 100 %
et désirons du fond du cœur que l’action
punitive annoncée n’ait pas lieu.
Q. : Mais le monde n’a-t-il pas
la responsabilité de faire quelque chose
contre ceux qui abusent de leur pouvoir
par des actions contre leur propre
peuple, comme dans le cas d’un
gouvernement qui utilise les armes
chimiques ?
Père Adolfo
Nicolas : Cette question en
contient en fait trois qu’il convient de
séparer clairement. La première porte
sur le fait que tout abus de pouvoir
doit être condamné et rejeté. Avec tout
le respect que j’ai pour le peuple des
Etats-Unis, je crois que l’usage précis
de la force qui se prépare actuellement
est en lui-même un abus de pouvoir. Les
Etats-Unis d’Amérique doivent cesser
d’agir et de réagir comme s’ils étaient
le ‘grand frère’ d’un quartier qui
s’appellerait le monde. Une telle
attitude conduit inévitablement à des
abus, à des chocs violents et à des
démonstrations de force devant les
membres les plus faibles de la
communauté.
La deuxième est que, si des armes
chimiques ont été utilisées, il faut
encore satisfaire à l’obligation d e
montrer au monde, de manière claire, que
cet usage est le fait d’une partie en
conflit, et non pas de l’autre. Il ne
suffit pas qu’un membre du gouvernement
du pays qui désire attaquer dise qu’il
en a la conviction. Il faut démontrer au
monde qu’il en est ainsi, sans laisser
quelque doute que ce soit, afin que le
monde puisse faire confiance à ce pays.
Cette confiance n’existe pas
actuellement, et les spéculations ont
déjà commencé sur les visées ultérieures
que les Etats-Unis pourraient avoir dans
ce projet d’intervention.
La troisième est que les moyens
considérés comme appropriés pour punir
l’abus commis à l’origine - une fois que
l’on a montré que tel est bien ce qui
s’est passé - ne blessent pas à nouveau
les mêmes personnes, déjà victimes.
L’expérience du passé nous apprend que
c’est impossible… quand bien même on
désignerait les victimes par
l’euphémisme ‘dommages collatéraux’. Au
final, c’est la souffrance des citoyens
ordinaires innocents et étrangers au
conflit qui augmente. Nous savons tous
que le grand souci des sages et des
fondateurs religieux de toutes les
traditions et cultures est : ‘comment
alléger la souffrance humaine ?’ Il est
très préoccupant que, au nom de la
justice, nous planifiions une attaque
qui va augmenter la souffrance des
victimes.
Q. : N’êtes-vous pas
particulièrement dur à l’égard des
Etats-Unis ?
Père Adolfo
Nicolas : Je ne le crois pas.
Je n’ai aucun préjugé contre ce grand
pays et, en ce moment même, je travaille
avec des jésuites de ce pays dont
j’estime beaucoup les avis et l’aide. Je
n’ai jamais eu de sentiments négatifs à
l’égard des Etats-Unis, un pays que
j’admire énormément pour beaucoup de
raisons, parmi lesquelles son ardeur au
travail, sa spiritualité et sa pensée.
Ce qui me soucie le plus est que
précisément ce pays, que j’admire
sincèrement, soit sur le point de
commettre une grosse erreur.
Et je pourrais dire quelque chose de
semblable à propos de la France : un
pays qui a été un véritable guide pour
l’esprit et l’intelligence, qui a
grandement contribué à la civilisation
et la culture, et qui est maintenant
tenté de conduire l’humanité ; à faire
marche arrière vers la barbarie, et cela
en contradiction ouverte avec tout ce
qu’il a représenté durant bien des
générations. Que ces deux pays
s’unissent aujourd’hui pour une aventure
aussi horrible est l’un des éléments de
la colère éprouvée en bien des pays du
monde. Ce n’est pas le fait d’attaquer
que nous craignons ; ce qui nous
atterre, c’est la barbarie vers laquelle
nous sommes conduits.
Q. : Et pourquoi parler ainsi
maintenant ?
Père Adolfo
Nicolas : Parce que le problème
se pose maintenant. Parce que le pape
prend des mesures extraordinaires pour
nous rendre conscients de l’urgence du
moment. Avoir déclaré la journée du 7
septembre comme temps de jeûne pour la
paix en Syrie est une mesure
extraordinaire, et nous voulons nous
unir à cette initiative. Nous pouvons
nous rappeler que, dans un passage de
l’Evangile, les disciples n’étaient pas
parvenus à libérer un jeune du mauvais
esprit, et Jésus leur dit : "Ce type
d’esprit ne peut sortir que par la
prière et le jeûne". Il m’est très
difficile d’accepter qu’un pays qui se
considère chrétien - ou en tout cas qui
fait référence à ce nom - ne puisse
envisager que l’action militaire
lorsqu’il se trouve face à une situation
de conflit, au risque de conduire le
monde, à nouveau, vers la loi de la
jungle.
Source :
http://fr.radiovaticana.va/news/2013/09/04/le_sup%C3%A9rieur_des_j%C3%A9suites_critique_les_etats-unis_et_la_france/fr1-725601
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