Réseau Voltaire
Greta Berlin : « Pourquoi nous
allons naviguer jusqu’à Gaza »
Entretien réalisé par Silvia Cattori
Bâtiment militaire israélien au large de
Gaza
6 juin 2007
Greta Berlin, 66 ans, est une femme
d’affaires de Los Angeles. Elle est mère de deux enfants
doubles nationaux palestiniens et états-uniens. Ces quatre dernières
années, elle a rejoint par deux fois l’International Solidarity
Movement en Palestine occupée. Également membre des Femmes en
noir, elle est l’une des nombreuses personnes qui ont organisé
un projet peu usuel : aller à Gaza en bateau. Leur intention
est de mettre au défi l’affirmation des autorités israéliennes
selon laquelle Gaza n’est plus occupée. Dans l’entretien
qu’elle accorde au Réseau Voltaire, Greta Berlin explique les
raisons de cette entreprise courageuse.
Silvia
Cattori : Sur votre site FREE GAZA,
on peut lire ceci : « Nous avons essayé d’entrer en
Palestine par la terre. Nous avons essayé d’y entrer par les
airs. Cette fois-ci nous allons prendre un bateau » [1]
C’est là une tentative unique. Pourquoi Gaza en particulier ?
Et pourquoi se rendre par bateau dans un des endroits les plus
surveillés au monde ?
Greta Berlin :
Israël affirme que Gaza n’est plus occupée. Bien : si
cela est vrai, alors nous avons le droit de nous y rendre. La vérité
est qu’Israël contrôle toutes les entrées à Gaza et que sa
population y est plus que jamais isolée du monde. Les
internationaux ne peuvent plus accéder à Gaza par la frontière
avec l’Égypte et, bien sûr, la frontière d’Erez avec Israël
est fermée à presque tout le monde.
Ainsi, 50 à 80 d’entre nous, hommes et femmes, partiront de
Chypres vers la fin de cet été. Beaucoup d’entre nous ont plus
de 50 ans : des hommes et des femmes de toutes origines et
nationalités - Palestiniens, Israéliens, Australiens, Grecs, États-Uniens,
Anglais, Espagnols, Italiens - embarqueront sur un bateau appelé FREE
GAZA. Un de ces passagers, Mme Hedy Epstein, est une
survivante de l’holocauste, et deux ou trois Palestiniens sont
des survivants de la Nakba. Beaucoup d’entre nous sont interdits
d’accès dans les territoires occupés parce que nous y sommes
allés pour porter témoignage de ce qu’Israël fait subir aux
Palestiniens.
Silvia
Cattori : Ce départ en mer vers la
Palestine survient 60 ans après le départ de Marseille du bateau
Exodus pour la Palestine, le 27 juillet 1947, avec 4500 réfugiés
juifs à son bord. Avez-vous voulu que votre départ coïncide
avec ce départ en 1947 ?
Greta Berlin :
C’est une pure coïncidence. La raison pour laquelle nous
partons en 2007 est qu’elle marque la deuxième année du prétendu
retrait de l’occupant israélien. Or, Gaza est plus que jamais
assiégée et les conditions de vie, déjà difficiles des
habitants de Gaza n’ont cessé de s’aggraver depuis lors. Il
s’agit donc pour nous d’attirer l’attention du monde sur la
terrible négation des droits civils et humains des Palestiniens.
Silvia
Cattori : Entrer dans les eaux de
Gaza ne va pas être chose simple ! Croyez-vous vraiment que
la marine militaire israélienne vous laissera y pénétrer ?
Greta Berlin :
Israël n’a pas le droit de nous empêcher d’aller à Gaza.
Alors nous y allons. La loi internationale dit que nous avons le
droit de nous rendre à Gaza. Souvenez-vous que, en juillet 2005,
les autorités israéliennes ont proclamé que La
bande de Gaza n’était plus occupée. Si Gaza n’est plus
occupée, pourquoi ne devrions-nous pas y aller ?
Laissons les autorités israéliennes prouver que Gaza n’est
plus occupée en nous laissant y entrer. Ce voyage est une
tentative de défier Israël sur ses propres mots. Nous sommes
invités par de nombreuses ONG à venir visiter leurs locaux et
cliniques. De quel droit Israël peut-il nous interdire ces
visites ?
Je le répète : nous devons faire tout ce qui est en notre
pouvoir pour attirer l’attention du monde sur le fait que le
blocus militaire israélien conduit à la mort lente les gens de
Gaza. Nous savons bien que ce voyage sera difficile, mais nous
sommes déterminés. Nous pouvons, soit nous lamenter sur
l’inertie de la communauté internationale, soit faire quelque
chose pour l’amener à se réveiller et à réagir. Si nous, qui
avons pu constater la gravité de la situation, ne faisons rien,
quelle crédibilité aurons-nous encore aux yeux des Palestiniens
sous occupation ?
Nous avons planifié ce voyage
depuis longtemps, en réfléchissant très soigneusement à la
meilleure façon de montrer notre soutien. Nous avons discuté la
possibilité de nous rendre à Gaza pour soutenir le droit au
retour des Palestiniens chassés de chez eux en 1948. Notre voyage
devait-il marquer les 60 ans de l’occupation ? Mais nous
avons considéré qu’il était de la plus haute importance de
mettre au défi l’affirmation d’Israël selon laquelle Gaza
n’est plus occupée et ses habitants sont libres.
Selon la loi internationale, les
eaux de Gaza, sur ses 40 kilomètres de côte, appartiennent aux
Palestiniens et Israël n’a aucun droit de contrôle sur ces
eaux. Même les Accords d’Oslo reconnaissent que la côte de
Gaza appartient à ses habitants.
Silvia
Cattori : Que voulez-vous démontrer ?
Greta Berlin :
Nous voulons démontrer qu’Israël et les États-Unis sont en
train d’affamer les habitants de Gaza parce ceux-ci ont élu démocratiquement
le gouvernement Hamas. Nous voulons faire appel à la conscience
des citoyens du monde, en leur disant : « Réveillez-vous.
Vous ne pouvez pas continuer de détourner les yeux des crimes
commis par Israël. Vous ne pouvez pas continuer à fermer les
yeux sur le lent génocide des Palestiniens ».
Nous pensons qu’il est important
de démontrer qu’Israël a menti, que Gaza n’a jamais été
libérée. Les navires de guerre israéliens n’ont jamais cessé
de tirer sur les bateaux de pêche palestiniens, tuant de nombreux
pêcheurs au cours des deux dernières années. Qu’avaient fait
ces gens si ce n’est de pêcher pour nourrir leurs familles ?
Quelle sorte de crime commet Israël en tirant sur des gens qui
ont le droit de pêcher dans leurs propres eaux ?
Silvia
Cattori : Croyez-vous sérieusement
que vous pourrez faire face à la puissance militaire d’Israël ?
Greta Berlin :
Nous allons essayer. Notre mission est d’aller à Gaza. Bien sûr,
nous supposons que nous serons stoppés. Mais nous allons insister
sur le fait que nous avons, légalement et moralement, le droit
d’y aller. Et nous avons assez de journalistes à bord pour
raconter ce qui arrivera ; alors laissons-les essayer de nous
stopper. On pourra démontrer que la « liberté
pour Gaza » proclamée par Israël est une complète
mystification. Ce territoire est encore occupé et sa population
terrorisée quotidiennement.
Silvia
Cattori : Votre objectif est donc
essentiellement politique ?
Greta Berlin :
Exactement. Gaza a le droit d’être libre. Bien que nous en
emporterons avec nous, notre objectif n’est pas d’acheminer
des vivres et des médicaments. Comme tout autre peuple, le peuple
de Gaza veut pouvoir voyager, commercer, travailler en paix et bénéficier
du droit de contrôler son destin. Il devrait avoir le droit
d’utiliser son aéroport, détruit par les Israéliens il y a
cinq ans, et il devrait avoir le droit de pêcher dans ses eaux.
Bien sûr, la catastrophe humanitaire est importante, mais être
libre est d’une importance vitale pour ce peuple. La communauté
internationale doit faire pression sur Israël et aider à rétablir
les structures internes des Palestiniens leur permettant de
reconstruire leur société. Mais notre mission est d’avertir
Israël, les États-Unis et l’Union Européenne, qu’ils
portent la responsabilité du bien-être de 1,4 million de gens.
Silvia
Cattori : C’est un grand projet
que vous lancez !
Greta Berlin :
Les Palestiniens n’ont rien obtenu après tant de prétendus « processus
de paix ». Tous les efforts internationaux ont échoué.
Nous souhaitons contrer la désinformation répandue depuis près
de 60 ans en faveur d’Israël, à la place de l’histoire réelle
de la dépossession des Palestiniens. Le monde ne peut attendre
indéfiniment qu’Israël aille s’asseoir sérieusement à la
table des négociations. Même les ONG sont incapables de dire la
vérité par peur de perdre le soutien international. Plus de 65 résolutions
de l’ONU ont essayé de faire payer ses méfaits à Israël ;
mais elles se sont vu opposer à chaque fois le veto des États-Unis.
Pendant 60 ans, les Palestiniens ont attendu qu’on leur rende
justice. Pendant combien de temps encore devraient-ils payer le
prix de ce que l’Europe a fait subir aux juifs ? Combien de
temps encore la communauté internationale détournera-t-elle les
yeux en disant : « Nous n’avons pas vu, nous ne
savions pas » ?
Silvia
Cattori : Espérez-vous que
d’autres bateaux vous rejoignent ?
Greta Berlin :
Toute personne qui possède un bateau, toute personne qui veut se
joindre à nous pour briser le siège est la bienvenue. Plus de
bateaux se joindront à nous, plus grandes seront nos chances d’être
entendus.
Silvia
Cattori : Ne faut-il pas une
certaine dose de courage pour se lancer dans une telle aventure ?
Greta Berlin :
Je me dis que, si Hedy Epstein qui a 82 ans, et Mary Hugues qui en
a 73, et tant d’autres qui ont plus de 70 et plus de 80 ans
peuvent faire ce voyage, je dois aussi en être capable. Je ne
pense pas que quiconque parmi nous se considère comme courageux ;
je pense que nous sommes déterminés à faire entendre la voix
des Palestiniens et que, si nous le pouvons, nous le devons. Nous
ne pouvons pas détourner les yeux alors qu’Israël bombarde
chaque jour des femmes et des enfants.
Silvia
Cattori : Pourquoi êtes-vous si
sensible au drame des Palestiniens ?
Greta Berlin :
Quand je vivais à Chicago, Illinois, j’ai épousé un
Palestinien, réfugié depuis 1948. C’est alors que j’ai
commencé à découvrir la vérité au sujet du nettoyage ethnique
de 750 000 Palestiniens pour établir un État juif. Comme je
m’engageais davantage, dans les années 60 et 70, un groupe nommé
Jewish Defence League a menacé de s’en
prendre à mes deux enfants en bas âge, disant qu’elle les
tuerait si je continuais à militer pour la justice pour les
Palestiniens. Pendant près de 20 ans, j’ai abandonné la lutte,
me consacrant à mes enfants et à ma carrière professionnelle.
Je n’étais pas prête à mettre en danger leur sécurité de
mes enfants pour la cause que je soutenais.
En 1977, mes enfants étant grands
et ayant quitté la maison, j’ai recommencé à écrire des
lettres et à militer. Je ne pouvais pas croire que, après 20 années,
la situation des Palestiniens empirait chaque jour. Le 29
septembre 2000, Mohammed Al Dura, un petit garçon de Gaza âgé
de 12 ans fut tué par un soldat israélien. Quelqu’un avait
filmé ce meurtre. J’en fus épouvantée et bouleversée.
Quand Rachel Corrie [2]
fut écrasée par un bulldozer israélien, en mars 2003, et que
Tom Hurndall [3]
fut atteint d’une balle à la tête quelques jours plus tard
–deux personnes qui défendaient les droits de l’homme au sein
de l’International Solidarity Mouvement à
Gaza – j’ai décidé de me rendre dans les territoires occupés
pour voir de mes propres yeux ce qu’Israël fait endurer aux
populations des territoires qu’il occupe.
Silvia
Cattori : L’International
Solidarity Mouvement (ISM) n’est-il pas considéré par Israël
comme un mouvement terroriste ?
Greta Berlin :
En fait, non. Les volontaires de l’ISM sont des gens pacifiques
qui croient en la protestation non violente contre l’occupation.
Le seul terrorisme que j’ai vu durant les cinq mois que j’ai
passés en Palestine, entre 2003 et 2005, a été la violence
militaire israélienne contre nous, et la violence des colons illégaux
contre les Palestiniens et ceux d’entre nous qui essayaient de
les protéger. J’ai été blessée à une jambe par une balle
d’acier enrobée de caoutchouc, alors que je protestais contre
le mur terrifiant qu’Israël est en train de construire. Et,
comme des centaines de militants pour la paix, j’ai eu à subir
les grenades lacrymogènes et les bombes assourdissantes jetées
sur moi à Bil’in. Alors que j’accompagnais à l’école des
enfants palestiniens à Hébron, les enfants des colons nous ont
jeté des pierres et j’ai été blessée à la main et au fémur.
Presque tous ceux qui vont embarquer sur le bateau ont été
battus, blessés par balles, ou asphyxiés de gaz lacrymogènes
par les militaires israéliens. Beaucoup d’entre nous ont été
arrêtés pour avoir protégé des femmes et des enfants. Les
autorités israéliennes savent très bien que nous n’avons
aucun lien avec des organisations terroristes. Mais Israël est
terrifié à l’idée que nous puissions revenir dans nos pays
respectifs dire la vérité sur ce que ses soldats font subir au
peuple palestinien sous occupation. C’est cela qu’Israël
craint : la vérité.
Nous nous sommes engagés à aller
à Gaza. Et nous attendons ardemment le soutien de tous les
progressistes qui se joindront à nous. Même si nous ne parvenons
pas à accoster, nous aurons essayé et nous aurons fait connaître
au monde la situation réelle. Je crois que tous, sur ce bateau,
partagent les mêmes convictions. Nous connaissons les obstacles.
Et il ne s’agit pas d’un seul voyage. Nous y retournerons ;
il s’agit d’une stratégie pour faire connaître au monde la vérité
sur l’occupation israélienne.
Silvia
Cattori : Que comptez-vous faire une
fois arrivés à Gaza ?
Greta Berlin :
Nous irons pêcher. Venez, rejoignez-nous, prenez vos cannes à pêche.
Entretien réalisé par Silvia
Cattori
[1]
Voir le site : www.freegaza.org
[2]
Voir : http://www.rachelcorrie.org
[3]
Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Tom_Hu...
|