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Times Online
Rendu aveugle et grièvement brûlé : Mahmoud (quatorze ans),
victime d'un bombardement israélien au phosphore blanc (arme
prohibée)
Sheera Frenkel
Mahmoud Mattar, inconscient,
dans un hôpital.
Deux de ses amis, avec qui
il marchait dans la rue, ont été tués sur le
coup.pan>
depuis Le Caire
on The Times Online, 20 janvier 2009
http://www.timesonline.co.uk/tol/news/world/middle_east/article5549100.ece?Submitted=true
Les trois semaines d’offensive israélienne
dans la bande de Gaza ont certes pris fin, mais Mahmoud Mattar,
quatorze ans, ne sera pas à même de ressentir le calme qui règne
désormais dans sa ville, Jabalya.
Ayant perdu les deux yeux, le torse couvert
de brûlures au troisième degré, Mahmoud est étendu, inconscient,
à l’Hôpital Sheikh Zayid, dans la banlieue du Caire. Il n’a pu
prononcer que quelques mots, depuis ce 6 janvier où un
bombardement israélien contre son village situé dans le nord de
la bande de Gaza l’a laissé pour mort, dans la rue, devant la
mosquée où il se rendait. Les médecins disent qu’il restera
aveugle, et que ses brûlures ont été causées par du phosphore
blanc, une arme incendiaire interdite qu’Israël niait avoir
utilisée.
« Il se rendait à la mosquée quand
l’attaque a commencé », a expliqué son oncle Nihad Mattar.
« Deux de ses amis, qui marchaient à ses côtés, ont été tués sur
le coup. Leurs corps ont été déchiquetés. Mahmoud a été frappé,
et son corps a commencé immédiatement à brûler. »
« Il était recouvert de sang et de lambeaux
de chair. Impossible, au début, de dire ce qui était sa propre
chair, ou celle de ses malheureux compagnons… »
Des témoins, à Jabalya, décrivent les
particularités d’un bombardement au phosphore : une épaisse
fumée blanche, une odeur insupportable et des incendies qu’il
est impossible d’étouffer, même avec du sable. Ils racontent que
des dizaines d’autres victimes ont été brûlées de la même
manière, au cours du même bombardement.
Israël, qui avait initialement nié
l’utilisation de phosphore blanc à Gaza, alors que nous [The
Times] lui avions posé la question, voici de cela quinze jours,
a dit, depuis, que toutes les armes utilisées à Gaza
« respectaient la loi internationale ». La plupart des pays de
l’Otan, dont la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, utilisent le
phosphore pour créer des écrans de fumée. L’utilisation du
phosphore comme arme de guerre dans des zones où se trouvent des
civils est interdite par la Convention de Genève de 1980.
Nous [The Times] avons découvert des
dizaines d’incidents au cours desquels des médecins disent que
des civils ont été blessés par du phosphore blanc, un métalloïde
dont la combustion dégage une température très élevée et se
poursuit tant que l’oxygène n’est pas épuisé. La semaine
dernière, des responsables de l’Onu à Gaza étaient certains du
fait que leur bâtiment avait été atteint par des obus au
phosphore blanc.
Hier, Amnesty International a indiqué que
son équipe a trouvé des preuves de l’utilisation de phosphore
blanc dans des zones résidentielles densément peuplées, comme la
ville de Gaza et le nord de la bande de Gaza, par l’armée
israélienne. « Nous avons vu des rues et des venelles jonchées
de pièces à conviction, dont des boules de phosphore continuant
à se consumer et des restes des obus et des containers tirés par
l’armée israélienne », a déclaré Christopher Cobb-Smith, un
expert en armement ayant effectué une inspection à Gaza, avec
une équipe d’enquêteurs d’Amnesty.
Des experts médicaux de Gaza ont indiqué
qu’ils étaient en train de collecter des échantillons de tissus
prélevés sur des victimes brûlées afin de les analyser, mais ils
ne sont pas certains que ces échantillons pussent être envoyés
aux laboratoires ad hoc. Des médecins, en Egypte, ont interdit
aux journalistes l’accès d’hôpitaux où des centaines de blessés
palestiniens ont été admis. Ces médecins refusent de faire
publiquement des commentaires sur les blessures. Mais, en privé,
ils se sont déclarés certains d’avoir affaire à des brûlures
causées par des armes chimiques au phosphore.
Allison El Soukkary, une infirmière
britannique habitant au Caire, et qui a travaillé plusieurs
années dans une unité de soins aux grands brûlés dans l’Essex
[Angleterre] a dit : « L’aspect des brûlures…, de petits
cratères s’enfonçant profondément sous la peau : ce sont les
endroits où les gouttes de phosphore en fusion ont atteint la
peau et ont commencé à s’enfoncer en carbonisant les chairs… »
Les médecins ne sont pas en mesure de dire combien de temps il
faudra à Mahmoud pour se rétablir. Il respire difficilement, de
manière irrégulière, et il ne comprend pas où il se trouve, ni
pourquoi il souffre. Le jour où il fut blessé, son père et son
frère l’ont amené à l’Hôpital Shifa, à Gaza. Ils prononcèrent la
prière des morts, car ils étaient persuadé qu’il allait mourir.
Une fois arrivés à l’hôpital, il n’y avait aucun lit de libre,
alors, ils l’avaient laissé sur le sol, avec tous les autres.
En raison de l’étendue de ses blessures,
une autorisation spéciale a été accordée aux proches de Mahmoud,
pour des soins en Egypte. Mais le convoi composé de quatorze
ambulances qui tentait de faire route vers la frontière ayant
été canardé par les Israéliens, ils ont dû faire demi-tour. Deux
jours plus tard, ils ont pu traverser la frontière avec
l’Egypte, à Rafah.
A l’Hôpital Sheikh Zayid, il y a vingt-neuf
patients évacués des zones de combat de Gaza. Au moins cinq
d’entre eux ont des brûlures attribuables au phosphore, disent
les experts. Muhammad Hassanat (26 ans) et son voisin de
chambre, Tamer Omar Ellouhe (18 ans), ont tous deux perdu leurs
jambes quand une volée de tirs d’artillerie a frappé leur
quartier, Zeitoun, dans les faubourgs de Gaza-Ville – ce même
quartier où plusieurs dizaines de membres de la famille Samouni
ont été enterrés vivants lors d’une frappe israélienne. Les
survivants ont dû attendre plusieurs jours durant l’arrivée des
ambulances, qui avaient dû se risquer au milieu des combats.
Hier, on retirait encore des corps de membres de la famille
Samouni des décombres.
Mahmoud Hassanat, le frère de Muhammad, est
assis à la cafétéria en marbre poli de l’hôpital, partageant son
angoisse pour les membres de sa famille encore à Gaza et les
blessés, à l’étage.
« Je l’avais laissé pour mort »,
explique-t-il. « Je suis allé au cimetière afin de préparer une
tombe, et notre père était allé chez nous pour dire à notre mère
que son fils venait d’être tué. Notre mère s’est précipitée en
courant dans la rue, et il a découvert que Muhammad respirait
encore faiblement. Les médecins, eux aussi, pensaient qu’il
allait mourir, mais il vit encore… »
Amputé des deux jambes, le bras, la
mâchoire et plusieurs côtes cassés, Muhammad ne pourra plus
désormais faire vivre son épouse et leurs quatre enfants ; il
devra abandonner son métier d’électricien. « Nous avons été
attaqués par une armée. Mais nous ne sommes pas une armée, nous
n’avons aucun moyen de nous défendre », nous a dit son frère.
« Nous rentrerons chez nous. Nous ne sommes pas politisés, mais
une chose est sure : nous soutiendrons le Hamas. Vous voyez
autre chose ? »
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
Copyright 2009 Times Newspapers Ltd.
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