Les personnages
Sayed (33 ans), sa femme (33), la fille (8)
et le fils (3).
Le lieu
Immeuble de 7 étages, 28
appartements. Il y a un ascenseur, mais ils ne s’en servent pas.
Sayed : "Parfois, il est bloqué".
Sa femme : "En fait, il est
claustrophobe". La porte principale
est ornée d’un dessin floral portant l’inscription "Maison des
Kashtan" [1].
Sayed : "C’est le nom de famille
d’origine". Sa femme :
"Il vit dans le déni."
Sayed : "Le peuple palestinien
n’existe pas."
L’historique immobilier
La femme vient d’un
village détruit en 1947. Les habitants ont été expulsés ; les
membres de sa famille se sont dispersés, beaucoup sont arrivés à
Tira, en tant que réfugiés, d’autres ont trouvé refuge en
Cisjordanie, en Jordanie et au Danemark. Auparavant, la famille
avait des terres fertiles, des orangeraies, des champs de blé et
du bétail. Rien ne leur est resté après l’expulsion. La femme :
"Nous avons tout perdu à cause du
sionisme."
Le sionisme
Sayed :
"Je ne crois pas à toutes ces histoires sur
son village. Ils n’ont pas été expulsés, ils se sont enfuis. Et
d’ailleurs, qui n’a pas accepté le Plan de partition (de l’ONU,
en 1947, ndt), hein ? Ils oublient de demander ça. Et vraiment,
je n’ai pas envie, là tout de suite, d’entrer dans 2 000 ans
d’histoire. Ce n’est pas un sujet dont je veux parler devant les
gosses au salon."
Le salon
Deux canapés en skaï. En
été, on se brûle les fesses dessus, en hiver on se les gèle ("on
regrette de les avoir achetés"). Une
table rectangulaire et un buffet assortis, d’ID Design. Sayed :
"Voleurs et fils de voleurs."
Sa femme : "La même qualité que chez
IKEA en deux fois plus cher, tout ça parce que Sayed est
incapable d’utiliser un tournevis."
L’utilisation du
tournevis
Dans la chambre à coucher.
Une fois par mois en moyenne. Sa femme :
"Ces derniers temps, pas tant que ça."
Sayed : "A cause de la situation
financière."
La situation financière
Excellente.
Biographie de Sayed (par
lui-même)
Son grand-père est né à
Pereyaslav (Ukraine). Son père, socialiste et membre d’un
mouvement de jeunesse à Odessa, a fait son alya dans les années
20. Il est l’un des fondateurs de Kfar Tira. En 1943, sa mère,
née à Cracovie, a fait son alya après un bref séjour à Chypre.
"Une histoire très dure".
Son père, militant comme son grand-père, accueillait les "ma’apilim"
(immigrants juifs illégaux, avant et après la 2e Guerre
mondiale) et a emmené sa future femme à Tira.
Tira
L’idéalisme est mort. Ce n’est plus comme au
temps de son enfance.
Enfance
OK, en gros. Même si ce
n’a pas été toujours facile pour un garçon à moitié polonais de
grandir à Tira ("J’ai eu du mal à
survivre").
Survie
L’alcool.
Biographie de sa femme
Comme tout le monde à l’époque, elle aussi
est née à Tira. Ecole élémentaire de Tira, Collège de Tira,
Lycée de Tira. Puis trois ans pour une licence, et deux pour une
maîtrise. Et puis encore au moins trois ans pour un autre
diplôme.
Etudes de Sayed
Comme sa femme sauf
qu’après le lycée, il a fait son service au Nahal. Ah oui, il
n’y a pas eu de diplôme ("à
l’université, j’étais très occupé").
Sa femme : "Il a passé son temps à
dormir."
La rencontre
Sayed revenait des
dortoirs (de l’Université) du Mt Scopus, ivre.
"En fait, je m’en souviens très bien. Je suis
rentré vers 8h, complètement beurré."
Sa femme était en route pour son premier cours. Elle avait de
longs cheveux qui flottaient au vent, et un sac en simili-cuir
enroulé à son épaule. Sayed est immédiatement tombé amoureux.
Elle, en revanche, n’a pas fait particulièrement attention à
lui, mais elle l’a remarqué quand il s’est évanoui devant
l’entrée des dortoirs. Selon sa femme, il avait une réputation
de bon à rien tout le temps saoul. Personne ne lui prêtait
attention. Elle et ses amis méprisaient les étudiants comme lui.
Mais tout a changé quand il a commencé à lui envoyer des
lettres.
Les lettres
Sa femme :
"Je me sentais vraiment désolée pour lui.
Tous les jours, je recevais trois ou quatre lettres, qui
contenaient une seule phrase : Si tu ne sors pas avec moi, je me
suicide." Sayed :
"Et puis j’ai commencé à lui envoyer des
lettres d’amour, en fait plutôt des petites nouvelles. A
l’époque, je lisais les nouvelles de Bukowski, Keret et Calvino,
et elle - comment dire sans passer pour un vantard ? - elle n’a
pas pu résister devant tant de talent. Elle est tombée amoureuse
instantanément. Je peux la comprendre."
Les lettres (suite)
Sa femme :
"Je ne voulais pas sortir avec lui. Je me
disais : qu’il se suicide, un cas pathologique, c’est tout ce
dont j’ai besoin. Alors, il a commencé à répandre des rumeurs
sur moi à l’université. A un moment, il a menacé d’aller voir
mes parents, qui sont très traditionalistes. J’avais peur qu’à
cause de ce dingue, ils m’empêchent de continuer mes études, et
les études, c’était pour moi le plus important. Il est venu voir
mes parents avec son père et ses tantes. Il leur a dit qu’on
sortait ensemble, qu’on s’aimait, et que lui, en tant que
personne religieuse, ne pouvait pas continuer dans la voie du
péché et qu’il devait se marier. Mes parents ont eu peur pour
leur réputation et ils m’ont forcée à l’épouser."
Sayed :
"Tout ce que je voulais, c’était quelqu’un
qui écoute mes histoires, qui lise ce que j’écrivais, et elle,
ça lui a tourné la tête. En fait, elle est devenue complètement
accro. Pour lui faire la surprise, je suis allé avec mon père et
mes tantes voir ses parents pour leur demander sa main. Ils ont
tout de suite été d’accord. Je leur ai donné à lire une
nouvelle, assez osée, où un étudiant en rut profite d’une jeune
fille. A la fin, sa réputation est sauvée le jour du mariage."
Le jour du mariage
La femme :
"Un jour de deuil. J’ai pleuré sans arrêt."
Sayed : "Tu aurais dû voir tes larmes
de joie ! Elle n’arrivait pas à croire que son rêve se
réalisait." La femme :
"Il avait bu comme un trou. Il a fini par
s’évanouir par terre. Un cauchemar. Il a fallu quatre types pour
le soulever et le ramener chez lui."
Sayed : "Wow, je me rappelle comment
j’ai dansé ! Et quatre ou cinq amis m’ont m’ont porté sur leurs
épaules, et on a dansé ensemble pendant tout le trajet jusqu’à
chez moi. Et aujourd’hui, regardez-nous. Qui aurait cru que, 10
ans plus tard, on serait pris dans ce genre de routine ?"
La routine
La femme se réveille la
première, à 6h. Elle se fait un café instantané et le boit tout
en préparant le petit déjeuner pour les enfants. Elle lit le
journal en faisant les sandwiches que les enfants emporteront à
l’école. Quant tout est prêt, elle va dans la salle de bain.
Quand elle est prête, vers 6h45, elle réveille les enfants et
les prépare pour l’école. A 7h30, elle les conduit en voiture.
Sayed dort encore ("à cette heure-là,
je ne suis jamais debout").
L’école
Mixte. Avec des Arabes qui
veulent que leurs enfants grandissent sans accent, et des gens
de gauche qui se servent de leurs enfants pour soulager leur
conscience. Les enfants s’y plaisent bien. La fille est en CE1 ("c’est
marrant"), et le garçon en 1e année de
maternelle. La fille parle déjà couramment hébreu et, cette
semaine, le garçon a prononcé sa première phrase complète en
hébreu : "Ahmed, ne mets pas les Lego
partout."
Le reste de la journée
La femme finit son travail à 15h, et se rue à
l’école pour récupérer les enfants. Vers 16h, ils sont de
retour. Leur mère les plante devant la télé pendant qu’elle
finit de leur préparer à dîner. Ils font leurs devoirs. Deux
fois par semaine, elle les emmène à des activités
extra-scolaires. Ils rentrent, se douchent, et alors, vers
19-20h, si tout va bien et qu’on a retrouvé la tétine du garçon,
les enfants sont endormis.
L’emploi du temps de
Sayed
Il n’a pas d’emploi du
temps régulier. Il dit être un artiste et refuse que quelqu’un
lui dicte son emploi du temps de travail. Mais il travaille dur
("je me casse le cul").
Sa femme : "J’en doute. A la base, il
dort à peu près tout le temps. Les mardis, il se lève, bâcle son
article en une demi-heure et retourne se coucher."
Le sommeil
Sayed :
"Le sommeil me donne de l’inspiration. En
fait, tout mon processus de pensée et de travail a lieu pendant
le sommeil. Je dors donc je suis."
Le gagne-pain
Sayed se dépêche de
répondre : "Tout est sur moi."
Sa femme : "Malheureusement, il a
raison. Il y a des individus qui encouragent son comportement et
qui sont prêts à payer pour ses actes et ses livres."
Les livres
La femme : Ghassan Kanafani, Mahmoud Darwish,
Emile Habibi, Emile Toma, Jibrin Ibrahim, Gibran Khalil Gibran,
Salim Barakat, etc.
Sayed : la Bible, Bialik, Alterman, A. D. Gordon, Ahad Ha’am,
Jabotinsky, Haim Gouri, Ben-Gourion, etc. [2]
Indice de bonheur
(échelle de 1 à 10)
Femme 3 ("au
moins, j’aime encore l’école") ; Sayed
9 ("il me faut de nouveaux oreillers"),
fille 6 ("je viens de comprendre que
mes parents sont arabes"), garçon 5 ("de
toute façon, il ne sait compter que jusqu’à 5, et il vient de
recevoir un nouveau ballon de foot il y a deux jours").